• Le mec de la tombe d'à côté, Katarina MAZETTIDésirée se rend régulièrement sur la tombe de son mari, qui a eu le mauvais goût de mourir trop jeune. Bibliothécaire et citadine, elle vit dans un appartement tout blanc, très tendance, rempli de livres. Au cimetière, elle croise souvent le mec de la tombe d'à côté, dont l'apparence l'agace autant que le tape-à-l'œil de la stèle qu'il fleurit assidûment. Depuis le décès de sa mère, Benny vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières. Il s'en sort comme il peut, avec son bon sens paysan et une sacrée dose d'autodérision. Chaque fois qu'il la rencontre, il est exaspéré par sa voisine de cimetière, son bonnet de feutre et son petit carnet de poésie. Un jour pourtant, un sourire éclate simultanément sur leurs lèvres et ils en restent tous deux éblouis... C'est le début d'une passion dévorante. C'est avec un romantisme ébouriffant et un humour décapant que ce roman d'amour tendre et débridé pose la très sérieuse question du choc des cultures.

    Mon avis :

    En débutant ce roman qui a eu un énorme succès à sa sortie, en 2006, je ne savais trop à quoi m’attendre. On entre lentement dans l’histoire, passant des pensées de Désirée à celles de Benny. Volontairement caricaturaux (une bibliothécaire carriériste, cultivée et organisée, et un fermier prosaïque débordé par la gestion de ses terres) les personnages n’ont rien en commun si ce n’est leur solitude. Se fiant à l’apparence de l’autre, ils laissent libre cours à leurs préjugés en imaginant à quoi ressemble sa vie et le déteste cordialement. Jusqu’au jour où ils échangent un sourire qui va bouleverser l’ordre des choses.

    Je me suis rapidement attachée à ces deux personnages. J’ai apprécié l’alternance des chapitres qui leur donnent la parole à tour de rôle et permet au lecteur de découvrir le point de vue de l’un et de l’autre, leur questionnement, leurs émotions... Radicalement différents, dans leurs idées comme dans leurs réactions, ils sont entiers et ne trichent pas, conscients que leur histoire, si elle dure, ne sera pas simple. Maladroits, émotifs, sincères, ils cherchent un langage commun à une relation dont ils n’ont pas les codes.

    On dit que les contraires s’attirent. Ce roman pose la question de la différence sur le long terme et des concessions que l’on est prêt à faire, ou non, pour rejoindre l’autre dans son univers. La passion peut-elle déboucher sur une relation stable et durable quand l’on doit renoncer à ce qui fait notre vie ?

    Avec humour et légèreté, l’auteure traite d’un sujet sérieux. Le style est fluide et rythmé, les dialogues impertinents et subtils, les réflexions justes. Il y a beaucoup de tendresse dans ce roman et j’ai passé un bon moment, entre rire et émotion, à le lire.

    Une bonne surprise que ce roman frais et délassant.

     

     Le mec de la tombe d'à côté, Katarina MAZETTI

     

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  • Terminus, Grand Large, Hélène MONTARDREUn homme qui fait les cent pas devant un immeuble. Un médaillon trouvé par terre. À l'intérieur, le portrait d'une jeune femme brune aux yeux couleur violette... Qui est cette belle inconnue ? A-t-elle un rapport avec l'homme mystérieux ? Flora et Aurélie se lancent dans l'enquête. Direction: Grand Large.

    Mon avis :

    Je suis tombée par hasard sur ce roman d’Hélène Montardre datant de 2003. Un court récit qui allie suspens et amitié entre deux fillettes. Ce joli texte délicat et sensible est idéal pour les enfants dès dix ans.
    Poussées par leur curiosité et leur imagination débordante, Aurélie et Flora, deux amies d’enfance se mettent à la recherche d’une mystérieuse inconnue dont elles ont trouvé le médaillon devant chez elles. Pour y parvenir, elles vont rivaliser d’ingéniosité et de sang froid.
    Ecrit à la 3e personne, le récit est entrecoupé de textes en italiques à la 1e personne. Chacun correspond aux pensées des différents personnages que croisent les fillettes. Ils confient leur point de vue, dévoilent des informations sur certains faits qui permettent à l’énigme de prendre corps. Les personnages entrent ainsi en relation. Le procédé, un peu complexe pour de faibles lecteurs, est original et permet aux nombreux rebondissements d’être reliés les uns aux autres.

    J’ai apprécié ce roman et l’évocation du pouvoir de l’imaginaire. Il met en évidence le besoin que chacun a de s’évader en transformant le quotidien. Pouvoir particulièrement présent chez les enfants.
    Une lecture idéale pour des sixièmes primaires ou des premières différenciées.

     

     

     

     

     

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  • La face cachée de Margo, John GREENMar-go-Roth-Spie-gel-man, le nom aux six syllabes qui fait fantasmer Quentin depuis toujours. Alors forcément, quand elle s'introduit dans sa chambre, une nuit, par la fenêtre ouverte, pour l'entraîner dans une expédition vengeresse, il la suit. Mais au lendemain de leur folle nuit blanche, Margo ne se présente pas au lycée, elle a disparu.
    Quentin saura-t-il décrypter les indices qu'elle lui a laissés pour la retrouver? Plus il s'en approche, plus Margo semble lui échapper...

    Mon avis :

    C’est l’annonce de la sortie du film qui m’a donné envie de lire ce roman de John Green. Un auteur jeunesse qui a le vent en poupe et que je n’avais pas encore lu.

    Margo est une jeune fille fantasque, peut-être trop mûre pour les jeunes de son âge. Les bizutages, les moqueries, tout ce qui abaisse les autres... cela ne la fait pas rire. Mais elle a du cran et une certaine aura et parvient à imposer l’ordre au lycée où elle est respectée. Quentin, son voisin, est fasciné par elle depuis toujours. Petits, ils étaient amis mais en grandissant, Margo a pris des distances. Quentin, Q pour ses amis, est réfléchi, sérieux, sans surprise. Trop sage pour Margo qui vit sa vie à cent à l’heure. Lorsqu’elle disparait, après une soirée mémorable qui m’a beaucoup fait rire, Quentin craint qu’elle ne mette fin à sa vie. Sachant que lors de ses fugues précédentes, elle avait laissé des indices à ses parents pour signaler sa destination, il se met à leur recherche.

    L’essentiel de l’histoire est la narration de l’enquête que Quentin mène, aidé de ses amis. Nous suivons ses réflexions, son cheminement pour localiser Margo grâce à des références culturelles qu’elle a utilisées comme autant de petits cailloux. J’ai trouvé cela assez subtile pour un roman jeunesse, même si cela donne lieu à quelques longueurs qui cassent le rythme du récit.
    J’ai beaucoup apprécié la référence au poème de Whitman (que j’ai découvert jadis grâce au « Cercle des poètes disparus) qui sert de fil rouge à Quentin. L’allusion aux villes de papier est également une jolie trouvaille car je suis sûre que peu d’adolescents savent de quoi il s’agit (et apprendre en s’amusant est toujours agréable). De plus, cela renforce habilement le côté dramatique de l’histoire.
    Ce livre m’a séduite aussi par le mélange des genres qu’il propose. Tour à tour récit de vie, récit à énigme, road movie à suspens et roman initiatique, il surprend le lecteur à chaque fois qu’il croit savoir où l’auteur le mène. Le scénario est habile et on se laisse entrainer dans les péripéties de l’intrigue. Le tout finement écrit et jouant sur l’humour de situation autant que sur l’autodérision dont sont capables les adolescents dépeints par l’auteur.

    Au fil du récit, la personnalité de Margaux apparait en filigrane. Entre dérision et drame, elle se cherche, repousse sans cesse ses limites et rompt avec la vie étriquée et trop lisse que voudraient la voir vivre ses parents. Cela nous donne quelques jolies pages de réflexion sur l’avenir, le passage à l’âge adulte et la peur de passer à côté de la vie.

    « La face cachée de Margo » est aussi une belle histoire d’amitié et la découverte du sentiment amoureux (pas toujours aussi rose qu’on l’espère). Il a donc tout pour plaire aux adolescents et ils ne s’y sont pas trompés.

    Reste à voir le film en espérant qu’il ne dénature pas trop le récit.

     

     

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  • "Eux", Patrick ISABELLEEux est l’histoire vraiment bouleversante d’un jeune ado. Il nous raconte son harcèlement à l’école, l’escalade de la violence dont il est victime et les actes qu’il commet suite à ça.
    L’histoire commence quand il arrive dans un nouveau collège. Dès son premier jour d’école, il se fait prendre à parti dans les toilettes par des grands. Il n’osera jamais en parler et n’aura pas d’ami suite aux humiliations perpétuelles. Il sera seul et sera maltraité par tout le collège. Sans doute certains ont-ils pitié mais par peur que cela leur arrive aussi, ils préfèrent fuir ou fermer les yeux. Lorsqu’il en parle à ses parents, ceux-ci ne le croient pas. La violence va donc monter jusqu’au jour où...

    Mon avis :

    J’ai aimé ce livre car il nous parle de faits dont on n’ose pas parler en classe ou entre amis. On sait que cela peut arriver mais ça ne se dit pas. (Je pense cependant qu’en Amérique, les faits sont plus fréquents que chez nous). De plus, l’histoire est bien écrite et rythmée. Les chapitres sont courts et parfois, les pages aussi. On sent la peur, l’envie d’en finir et l’urgence à la fin.
    Tout le monde devrait être informé de ce phénomène mais je ne conseillerais pas ce livre à tous car je l’ai trouvé assez dur et triste. Il faut le savoir avant de le lire.
    "Eux" est un roman québécois que m'a vivement conseillé ma maman. Elle a bien fait.

     

     

     

     

     

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  • Courir après les ombres, Sigolène VINSONDu détroit de Bab-el-Mandeb au golfe d'Aden, Paul Deville négocie les ressources africaines pour le compte d'une multinationale chinoise. De port en port, les ravages de la mondialisation lui sautent au visage et au cœur de la beauté du monde dont il ne peut empêcher la destruction. Les merveilles qui ne s'achètent pas ne risquent-elles pas de disparaître dans un système où toute valeur se chiffre ? Paul se met alors à chasser un autre trésor : les "écrits jamais écrits" d'Arthur Rimbaud ; il veut le croire, le marchand d'armes n'a pas tué le poète. Inlassablement, il cherche. Trouvera-t-il plus que le soleil aveuglant, la culpabilité d'être et la fièvre ?

    Mon avis :

    Depuis des années, la Chine se développe et constitue un réseau de bases navales dans les pays voisins afin de garantir la sécurité de ses voies d’approvisionnement en matières premières. Elle s’efforce de tisser un réseau d’alliances commerciales et maritimes autour de l’Inde, sa rivale, en créant « un collier de perles » en mer Rouge, comme le disent les Américains. En échange de l’installation des bases navales, la Chine établit des contrats commerciaux, goudronne des routes, construit des hôpitaux, renouvelle les infrastructures...

    Paul Deville travaille pour une compagnie chinoise, la Shangaï Petroleum, Chemical and Mineral Corporation. Trader en matières premières, il participe à l’élaboration de ces bases. Ce diplômé en économies est aussi un rêveur et un poète. A Djibouti, il recherche les écrits jamais écrits d’Arthur Rimbaud. Aidé de Harg, un ami qu’il paie pour cela, il fouille un bateau vapeur, Le Pingouin, qui aurait appartenu à John T. Rountree, le dernier amant de Rimbaud. Il sait que tout cela est faux, issu de son imagination, mais il persiste à croire que le marchand d’armes n’a jamais tué le poète.

    A Mascate, il a rencontre Mariam, une jeune pêcheuse somalienne. Elle l’attend de mois en mois, amoureuse, et espère partir avec lui. Mais la différence d’âge le tient à l’écart de cette gamine solitaire, intuitive qui l’émeut pourtant. Lui qui tente de se forger un destin et une identité, il admire cette jeune fille de quatorze ans qui sait qui elle est et ce qu’elle veut. Il lui offrira un collier de perles. Tout un symbole.

    Paul voudrait créer un nouvel ordre mondial, un nouveau système économique soucieux de l’écologie, de l’humain, dans toutes ses dimensions. Il y a longtemps travaillé après la remise de sa thèse. Il avait jugé que les ressources étaient à chercher du côté des biens immatériels et des forces créatrices, des livres et des poèmes jamais écrits. Mais malgré une certaine reconnaissance, il avait vite compris que face à la course au profit, il demeurerait impuissant. Aussi a-t-il décidé de participer au système actuel de l’intérieur pour en précipiter la chute.

    Cette fable moderne nous plonge dans un contexte poétique et romanesque malgré la noirceur du décor, les mensonges et les tromperies. Comme ce contrat signé afin d’exploiter le sel du lac Assal à Djibouti alors que c’est le lithium qu’il contient qui intéresse la compagnie. Du lithium acheté au prix du sel !

    Porté par une langue brute et poétique, ce roman met en scène un idéaliste. Conscient de sa propre finitude et de son humble condition, il ira au bout de son absolu pour contrer les ravages de la mondialisation.
    De sa plume vive, l’auteure secoue nos certitudes. L’Occident admire l’ascension économique et sociale de la Chine. Une ascension fulgurante mais à quel prix ?

    Heureusement, la poésie sauvera les hommes d’être des hommes.

    Un récit étonnant et fort, mon premier coup de cœur de la rentrée.

     

     

    Courir après les ombres, Sigolène VINSON4e

    Merci à NetGalley et aux éditions Plon pour cet envoi numérique.

     

     

     

     

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  • Soeurs de miséricorde, Colombe SCHNECK« Elle n’a pas le choix, elle doit partir. À Santa Cruz, tout est fermé, plus rien ne circule, l’argent, les gens, même les fruits pourrissent sur les arbres. Les femmes partent les unes après les autres, de plus en plus loin. Comment trouver du travail, un logement, quand on ne connaît personne ? Ni la langue, ni les rues, ni ce qu’on mange, ni les règles ? »
    Née en Bolivie dans une famille indigène, Azul a grandi dans un paradis où les fruits, les fleurs, les couleurs, les goûts prospéraient. Immigrée économique, laissant mari et enfants, langue et robes indiennes, rites et prières, elle va découvrir l’Europe et ses riches propriétaires. Comment montrer à ses patronnes ce que leurs yeux ne voient pas du monde ? Comment conserver la bonté reçue dans l’enfance ?

    Mon avis :

    Azul travaille à Paris comme femme de ménage chez madame Isabelle. Dans le RER, elle croise trois jeunes filles qui lui rappellent un épisode de son passé et repense à son enfance, sa vie. Tout ce qui l’a amenée ici à Paris.

    Nous sommes alors plongés au cœur de la Bolivie, dans une famille Quechuas, qui vit du troc des fruits du jardin. Azul a cinq ans au début de l’histoire et raconte son quotidien, ses jeux dans le fleuve Rio Chico, l’école des Sœurs au village où elle apprend l’espagnol, ses huit frères et sœurs et sa mère, veuve, qui travaille d’arrache-pied pour les nourrir et les éduquer. Elle est heureuse, insouciante. Elle rêve d’apprendre, toujours, de partir vivre à la ville pour poursuivre ses études. Elle sait que même en travaillant dur, en étant respectueuse, elle ne peut échapper à son monde. Mais elle s’accroche à son rêve. « L’éducation ouvre les cœurs et les bonnes volontés. » A douze ans, elle part pour Santa Cruz, rejoindre sa sœur ainée, Natalia qui a 16 ans et travaille comme femme de ménage. Grâce à elle, Azul et Julio, les deux plus jeunes pourront étudier. Azul deviendra secrétaire, Julio avocat. Mais la vie est dure, la crise éclate, les indigènes ne sont pas respectés.
    Azul a conscience d’être une Quechua, elle est fière de ses ancêtres qui ont fondé Cuzco au 13e siècle, la première ville inca. Elle est déterminée à les honorer, à se battre pour réussir, à ne jamais baisser les bras, malgré les adversités. Et Dieu sait s’il y en aura.

    C’est en rencontrant une Bolivienne à Paris que Colombe Schneck a eu l’idée d’écrire ce roman. Elle-même petite fille d’immigrés, elle s’interrogeait alors sur ses origines et ce qui avait finalement fait d’elle une Française. L’histoire d’Azul est celle d’une immigrée parmi d’autres, ce qu’elle vit, des milliers d’autres le vivent : l’éloignement, le déracinement, le choc entre deux cultures, deux mondes et surtout deux modes de vie. Chez elle, on pensait que la richesse n’est pas l’accumulation de biens mais de liens à l’autre. Ici, on vit le repli sur soi, l’égoïsme. Azul tente de s’adapter même si elle souffre. Et elle donne, généreusement, sans compter, gardant pour elle ses soucis pour ne pas alourdir le fardeau des autres. Toujours, elle fait bonne figure, reste optimiste, se montre forte. Chaque jour est un nouveau combat qu’elle doit gagner.

    Cette histoire d’une grande tendresse porte un regard plein de respect sur ces femmes qui quittent tout pour l’amour de leurs enfants, de leurs familles. Que de sacrifices elles s’imposent ! On ne peut qu’être touché par Azul et entrer en empathie avec elle. Mais elle nous livre aussi une belle leçon de vie et de courage.

    C’est pour cela que j’ai beaucoup aimé ce récit ainsi que pour les paysages colorés des hauts plateaux andins, la saveur des fruits du verger, les descriptions de la vie en Bolivie et le rappel des valeurs véritables que l’Europe semble avoir oubliées. J’ai moins goûté le style haché aux phrases courtes et l’écriture de l’auteure. Mais la force de l’histoire les fait passer au second plan.

    Une lecture nécessaire pour relativiser nos petits soucis quotidiens, remettre les valeurs humaines à l'avant plan et rendre aux immigrés la dignité qu’on leur refuse trop souvent. A lire.

    Soeurs de miséricorde, Colombe SCHNECK3e

    Merci aux éditions Stock et à NetGalley pour cet envoi numérique.

     

     

     

     

     

     

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  • Soeurs volées, Emmanuelle WALTERLa disparition d’une jeune femme est toujours un drame. Pour la victime d’abord mais aussi pour ses proches, sa famille, ses amis... tous ceux qui restent et attendent impatiemment des nouvelles, veulent comprendre. Cela est pire encore quand les autorités ne prennent pas cela au sérieux ou ne font rien. Que dire quand il ne s’agit pas d’une mais de 1181 victimes ? 1181 femmes autochtones du Canada disparues ou assassinées. 1181 femmes autochtones c’est, proportionnellement, 55 000 Françaises. Comment comprendre que cela n’émeut personne ? Le racisme, l’indifférence, l’apathie politique font en sorte que la disparition d’une femme autochtone touche moins la majorité que celle d’une femme blanche. Ces femmes sont doublement victimes ; de meurtre d’abord, d’indifférence surtout.

    Emmanuelle Walter, journaliste française installée au Québec depuis plusieurs années, a décidé de mener l’enquête. Comment comprendre qu’un pays réputé pour la qualité de ses mœurs démocratiques et de son dialogue social refuse de prendre à bras le corps un tel drame collectif ?
    Pour cela, elle a choisi d’enquêter sur la disparition de deux jeunes adolescentes, deux amies, Maisy Odjick et Shannon Alexander, portées disparues le 6 septembre 2008. Elle nous raconte ici ses rencontres avec les familles, la mère et la grand-mère de Maisy, le père et la grand-mère de Shannon, les frère et soeurs, la communauté Anishnabé, l’Association des Femmes Autochtones du Canada, Michèle Audette sa présidente, tous ceux qui luttent à leur côté... En 2004, l’AFAC a lancé la campagne « Sœur d’esprit » pour sensibiliser la société canadienne à ces violences faites aux femmes autochtones. Elle avait pour objectif d’éduquer le public aux causes de la violence que vivent ces femmes. Elle a aussi élaboré un projet de recherche et a été appuyée par Amnesty International qui a rédigé un rapport On a volé la vie de nos sœurs : discrimination et violence contre les femmes autochtones au Canada, en août 2004. Et en 2015, nous en sommes toujours au même point !

    Pendant longtemps, les autorités n’ont pas pris au sérieux ces disparitions, des fugues pour la plupart selon elles. Puis elles ont incriminé les victimes et leur mode de vie, les risques pris en faisant par exemple du stop... Des heures précieuses, des jours ont été perdus avant que, parfois, une enquête ne soit ouverte. Débouchant au mieux sur la découverte d’un cadavre, au pire n’aboutissant à rien.

    Cela fait trente ans que des voix s’élèvent pour dénoncer cela. Trente ans ! Des marches ont lieu chaque année le 14 février. Des appels toujours plus nombreux demandent l’ouverture d’une commission d’enquête nationale sur la mort et la disparition de ces presque 1200 femmes autochtones. Et rien ne bouge !

    Patiemment, Emmanuelle Walter consigne les étapes de son enquête, ses démarches, elle décrit les lieux de vie, les coutumes, le quotidien de la communauté. Il ne faut pas croire que la majorité des cas se déroulent dans les communautés autochtones, au contraire la plupart des agressions et des enlèvements ont lieu en pleine ville, Vancouver ou Montréal par exemple. Alors comment expliquer l’inertie de la police et des autorités ?

    Il y a les conséquences de plusieurs siècles de colonialisme, de racisme, de violence administrative et institutionnelle envers les peuples des Premières nations, les politiques gouvernementales visant à assimiler et exploiter ces peuples... Celle qui m’a le plus fait frémir est la Loi sur l’éducation des Indiens qui a permis que soient enlevés et donnés à l’adoption des milliers d’enfants pour les éloigner de leur famille jugée incompétente et forcé les autres (150 000) à être scolarisés dans des pensionnats sous le contrôle de l’Etat. Des endroits horribles où tous les sévices étaient permis. Sous couvert d’un but humanitaire (la scolarisation) cela visait en fait à « ôter l’Indien en eux », à soustraire les enfants aux « influences dégradantes de leur milieu ». Comment s’étonner qu’avec ce déracinement, cet arrachement des enfants à leur mère... les conséquences aient été désastreuses ? Dépressions, alcoolisme, désespoir, manque de considération pour soi-même et ses origines...

    Le travail d’Emmanuelle Walter est remarquable. Elle a vécu auprès des principaux intéressés, à lu des milliers de pages de rapports sur la situation (vingt sont listés à la fin de l’ouvrage) a participé à des rencontres, des marches, des manifestations... Elle s’est approchée au plus près de ces familles, de leur souffrance et de leur colère. Après avoir démontré la légèreté avec laquelle ces affaires sont traitées, elle insiste sur la nécessité d'une prise de conscience collective. Aujourd’hui, elle arpente l’Europe pour la promotion de son livre et dénonce partout cette situation inconcevable à notre époque. Elle, une Française, quand des millions de Canadiens restent indifférents.

    C’est avec une réelle émotion que j’ai parcouru cet ouvrage. Femme et mère, je comprends leur colère, leur tristesse, leur lutte pour vivre et non survivre. Amoureuse de ce pays que je cite si souvent en exemple, notamment en ce qui concerne la pédagogie et l’enseignement, je ne peux comprendre l’inertie du gouvernement et le manque de volonté politique d’arrêter ce féminicide. Il serait temps d’ouvrir les yeux sur la réalité et d’agir. Trente ans d’immobilisme, ça suffit !




    Table ronde sur les Premières Nations en présence de l'auteure racontée ici.

     

     

     

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