• Les conquêtes véritables, Nicolas MARCHALUn narrateur trentenaire, marié avec enfants, vient d’acquérir une maison où les travaux ne manquent pas. Mais voilà, ce « héros » n’est pas un bricoleur, ce serait même tout le contraire, ou alors bricoleur de mots et d’idées car Monsieur est écrivain… plus exactement il essaie de le devenir. Heureusement, une proposition en or est faite à la petite famille, celle d’occuper provisoirement la maison du grand-père de la jeune femme, mort peu de temps auparavant. Enfin du répit et de l’espace pour que notre héros avance dans son Œuvre! Mais écrire dans le bureau du grand-père n’est pas une mince affaire. Le vieil homme, passionné de Napoléon, a constitué année après année une bibliothèque quasiment exhaustive consacrée à l’Empereur. Il a lui-même écrit un ouvrage définitif sur son passage en Belgique. C’est dire si les lieux fleurent bon l’ordre militaire, le savoir, la rigueur. Climat on ne peut plus éloigné de l’esprit fantasque du narrateur, baignant plutôt dans l’univers de Rimbaud, Cendrars ou Céline. Tout cela va entraîner le jeune écrivain vers des territoires inconnus, parsemés de grognards, de marcheurs saouls, d’un cyborg et de quelques Indiens frigorifiés.

    Mon avis :

    On rit beaucoup en lisant le roman de Nicolas Marchal. Ce premier roman paru aux Editions Diagonales est non seulement original mais aussi jubilatoire. La confrontation de l’univers de cet écrivain en devenir et de celui de ce grand-père passionné de Napoléon est la bonne idée du roman. Comment trouver l’inspiration dans ce temple dédié à cet empereur un rien mégalo ?
    D’une grande théâtralité, ce roman raconte l’histoire d’un roman qui a du mal à s’écrire. Auteur infiniment petit face à l’imposante bibliothèque du grand-père et au poids de ce qu’elle représente, elle, l’œuvre de toute une vie, comment sera-t-il à la hauteur de la tâche ?
    Le narrateur nous confie ses difficultés, l’angoisse de la page blanche, l’inspiration qui ne vient pas... et l’omniprésence de Napoléon qui va finir par l’obséder. De belles pages sur l’écriture, la littérature, les livres, l’Histoire parsèment ce récit un brin déjanté. Un humour surréaliste qui m’a souvent fait rire tant il est fin et loufoque à la fois.

    C’est drôle, imaginatif en diable, bien écrit et l’on sent une telle passion chez ce jeune auteur qu’on ne peut qu’adhérer. Surtout quand on est soi-même un grand lecteur passionné J 
    Un court roman vraiment original et réussi dont il est difficile de parler pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture. Prix Première en 2009, ce roman paru aux Editions Diagonales a été suivi de quatre autres depuis, dont « Le Grand Cerf » que Nadège a chroniqué dernièrement sur le blog d’Anne. J’ai hâte de les découvrir tous, tant l’écriture de Nicolas Marchal m’a enthousiasmée.

    Enseignant, Nicolas Marchal aime les livres. Les lire, s’en entourer, en écrire. Ce dernier plaisir, dit-il, lui est venu en rhéto, grâce à un prof fabuleux qui avait axé son cours sur les capacités créatives des élèves. Il doit se réjouir aujourd’hui de voir qu’il a permis à un talent d’éclore.

     

     Les conquêtes véritables, Nicolas MARCHAL

     

     

     

     

     

     

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  • Le blues des sacrifiés, Richard STE-MARIEPour Francis Pagliaro, l'affaire débute quand l'un de ses proches collègues, le policier expert en informatique Nicolas Turmel, est froidement assassiné chez lui d'une balle en pleine tête. Le jeune père de famille était assis devant son ordinateur, casque d'écoute sur la tête. Motif de l'agression : inconnu.
    Pour Louis Collard, professeur de musique à l'université Laval, l'affaire s'enclenche le lendemain quand il apprend que sa femme Geneviève, une décoratrice de théâtre, vient d'être tout aussi froidement tuée d'une balle en plein cœur. Motif de l'agression : inconnu.
    Très vite, les enquêteurs de Montréal et de Québec découvrent qu'un élément relie ces deux meurtres sordides : l'arme du crime. De fait, tout indique qu'un pistolet de fabrication russe, dont la possession est interdite au Canada, a été utilisé. Pour Pagliaro, il ne fait aucun doute qu'un « professionnel » est à l'origine de ces meurtres, et qu'il faudra découvrir ce qu'il cherchait avant de pouvoir même penser l'appréhender !
    C'est pourquoi il décide de creuser dans le passé de Louis Collard. Or, le saxophoniste, dévasté par la mort de sa femme, n'a jamais porté les policiers dans son cœur, et sa collaboration est loin d'être acquise. C'est pourtant lui qui, sans le savoir, détient la clé de l'affaire, ce dont Collard commence à se douter quand il découvre qu'une de ses vieilles connaissances a elle aussi été victime du tueur...

     Mon avis :

    Après nous avoir plongés dans le monde de l’art pictural avec « Repentir(s) », Richard Ste Marie nous entraine cette fois dans le milieu musical qu’il connait tout aussi bien.
    Comme Louis Collard, héros malgré lui de cette histoire, Richard est saxophoniste. Après ses études au Conservatoire, il a été musicien de fanfare militaire, de boite de jazz, de fanfare de rue dont celle du Cirque du Soleil. Il nous immerge donc dans un milieu dont il maitrise les codes, les termes et les relations. Louis Collard semble d’ailleurs être son double de papier. Les anecdotes sont tellement réalistes, les situations si vraisemblables que l’on sent que Richard Ste Marie a bien connu la vie d’artiste et s’est inspiré de la sienne.
    Ayant moi-même un fils saxophoniste, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ces anecdotes, à découvrir ces références musicales qui me renvoyaient parfois aux partitions qu’il apprend... C’est d’ailleurs toujours pour moi un atout, de découvrir un milieu de vie, une communauté, à travers un récit policier. Mais rassurez-vous, on peut trouver plaisir à lire ce roman sans maitriser les termes du métier. Ils sont cependant indissociables de l’histoire et du décor dans lesquels évoluent les personnages.

    La narration du roman est double. D’un côté, un narrateur externe nous raconte les avancées de l’enquête du sergent-détective philosophe Francis Pagliaro. De l’autre, Louis Collard nous confie les événements qu’il a vécus, ses émotions et réactions après le meurtre de sa femme, ainsi que son approche personnelle de l’affaire, puisqu’il « enquête » également de son côté pour tenter de comprendre. Ces deux hommes au caractère bien différent (l’un est calme et réfléchi, amateur de musique classique ; l’autre impatient, en souffrance, fonceur et passionné de jazz) vont pourtant s’apprivoiser au fil du temps et conjuguer leurs efforts. L’enquête ne semble rien révéler pouvant justifier les meurtres mais l’un comme l’autre sont conscients que les éléments clés sont sous leurs yeux et leur échappent. Comme il en a l’habitude, Pagliaro base son travail sur la réflexion. Pas de précipitation. Et cette progression, lente en apparence, permet au lecteur de jouer également les détectives et d’avancer ses propres hypothèses.

    J’ai trouvé ce quatrième roman vraiment abouti. Le style est agréable et donne envie de progresser dans l’histoire, l’humour est présent et la langue est naturelle. De plus, l’auteur fait de son histoire le reflet de la société et nous offre un miroir de la réalité. En s’ancrant dans l’actualité à différents niveaux, le récit en devient très crédible. Il est de plus servi par des personnages à la personnalité travaillée, sans être trop typée, ce qui les rend vraisemblables et attachants.

    La description du milieu et les nombreuses réflexions sur la musique, la vie d’artiste, l’engagement... font de ce roman policier à l’intrigue accrocheuse et à l’écriture fine, une réussite.

     

    Merci aux éditions Alire et à Richard Ste-Marie de m'avoir permis de faire cette lecture au moment de sa sortie au Québec. Pour les Européens, patience. Il arrive très bientôt.

    Un petit blues à écouter pendant la lecture ?  https://www.youtube.com/watch?v=QMClreF1zyY

    https://www.youtube.com/watch?v=31vusp5-uN8

     

     

     


     


     

     

     

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  • La quatrième forme de Satan, Pieter ASPEPas de répit pour le commissaire Van In. Qu'arrive-t-il au flic le moins fréquentable de la Belgique, sur le point de devenir père, quand s'abattent sur lui crimes déguisés en suicides, attentat à la sortie de la messe, secte satanique et trafic de drogue ? Rien qui puisse le mettre de bonne humeur... Pieter Aspe scrute avec humour et férocité les turpitudes de la très bourgeoise Bruges, dont les dessous se révèlent beaucoup plus ténébreux que ne le laissent penser les dépliants touristiques !

    Mon avis :

    Je découvre Pieter Aspe avec son 4e roman mettant en scène le commissaire Van In. Il nous entraîne dans le Bruges des années nonante où semble sévir une secte satanique. Déjà angoissé par la naissance imminente de son premier enfant, Pieter Van In doit en plus accepter à ses côtés une journaliste que lui impose sa hiérarchie. Tout cela le rend vraiment irritable d’autant que l’enquête piétine.

    Plongeant dans la vie de la bourgeoisie brugeoise avec laquelle il ne semble pas très à l’aise, Van In se rend vite compte que derrière la façade rutilante, le décor est loin d’être parfait. Mensonge, manipulation, trahison semblent en effet le quotidien de ce milieu que l’auteur n’hésite pas à égratigner au passage.

    Pieter Aspe est né à Bruges où il a longtemps vécu et s’est donc servi tout naturellement de ce merveilleux décor pour situer l’action de ses romans. Ecrivain belge de langue flamande, né en 1953, il se consacre à l’écriture depuis 1995. Dans son roman, il mêle avec doigté un suspense de facture classique, la description de la ville de Bruges, personnage à part entière, et la vie d’un commissariat avec ses amitiés, ses coups de gueule et ses rivalités. Son personnage principal, toujours flanqué de son brigadier et ami Versavel, est compétent, généreux mais irascible, jaloux et cynique. Amateur de Duvel, il n’hésite pas à en boire quatre ou cinq sur la journée tout en enquêtant. Les deux policiers, qui s'entendent comme larrons en foire entrainent le lecteur dans tous les estaminets de Bruges, de la rue de Jérusalem à l'impasse du Poisson Gras lui offrant par là même une visite guidée de la ville. Dotés d’un humour caustique, les réparties des deux hommes sont piquantes et vives et cela m’a souvent fait sourire.

    Non seulement la psychologie des personnages est parfaite mais en plus Pieter Aspe parle vrai. Ancrant son récit dans l’Histoire de la Belgique et son actualité, il n’hésite pas à évoquer les conflits ouverts entre police et gendarmerie (la réforme des polices n’a pas encore eu lieu) l’accident du Hérald of Free Enterprise dans le port de Zeebruges ou à se moquer de l’architecture du palais de justice de Bruges, véritable labyrinthe, dont l’architecte aurait dit selon Aspe « qu’il avait tenté de donner corps au concept de jurisprudence. Les avocats brugeois erraient donc dans les couloirs comme des âmes en peine avant de plaider la prescription de leur affaire. »

    Au fil du récit, on sent également l’amour qu’il porte à sa ville natale et il n’hésite pas à mettre dans la bouche de son personnage ce qu’il déplore lui-même : que le centre ville se soit vidé de ses habitants en raison du coût de l’immobilier et de l’afflux massif de touristes. Comparant à plusieurs reprises la ville de son enfance et celle qu’elle est au moment de la rédaction, on perçoit sa nostalgie d’une époque où les relations de voisinage étaient plus spontanées et la vie plus simple même si elle n’en était pas moins dure.

    Bref, la découverte de cet auteur ne m’a pas déçue et son roman aux multiples rebondissements m’a fait passer un bon moment. Je pense que je poursuivrai mon incursion dans son univers ne serait-ce que pour apprendre ce que deviennent ses personnages.

     

    La quatrième forme de Satan, Pieter ASPE

     

     

     

     

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  • Engrenages, Eric NEIRYNCKEric n’aime pas les psy et c’est pourtant au contact de l’une d’elles qu’il connaitra ses plus grandes circonvolutions émotionnelles. 
    Courte, trop courte, cette relation le conduira de Bruxelles à Paris où il tentera de trouver un sens  ce qu’il a vécu avec elle.

    Mon avis :

    Eric est dépressif. Désabusé, alcoolique, drogué, il erre dans la vie sans attache. Autour de lui, tout est solitude, vide, noirceur. Incompris, mal aimé, il n’a jamais pu nouer de relation stable sur le long terme. Ne faisant confiance à personne, et surtout pas aux psy, il se laisse pourtant convaincre de tenter le coup une dernière fois. Son médecin lui a dit qu’elle était très pro, très compétente. Un, deux, trois rendez-vous... il se sent à confiance. Il se met même à écrire ses pensées comme elle le lui a demandé et cela lui procure du plaisir... Ainsi débute le récit que nous propose Eric Neirynck.

    Cette courte, très courte, nouvelle se lit bien. L’écriture est plaisante, la plume vive, directe, parfois crue. L’humour noir, un brin corrosif est aussi bien présent. La narration hachée m’a cependant laissé sur ma faim. Il y a de nombreux non dits qui se transforment vite en zone d’ombre ne permettant pas d’appréhender le sens en profondeur ; on saute d’un moment à l’autre, d’un lieu à l’autre avec trois mots d’explication...

    Le monde d’Eric (le narrateur) est sombre, étouffant et malgré ses affirmations, il semble s’y complaire. On a plus d’une fois envie de lui donner un grand coup de pied au cul, qu’il se prenne en main. Il se regarde vivre, comme suspendu dans un espace-temps parallèle, noir et atone.

    Pas entièrement convaincue par l’univers d’Eric Neirynck dans cette nouvelle, j’ai cependant aimé son style. J’attends donc un récit un peu plus dense pour me faire une idée précise. Il y a un vrai potentiel dans son écriture, une maitrise des mots dont il joue habilement. J’ai hâte de les voir mis au service d’une autre histoire.

    Eric Neirynck est publié par Lilys éditions, une jeune maison d’édition belge, à suivre aussi.

     

    Engrenages, Eric NEIRYNCK

     

     

     

     

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    Grand Procès du Festival du Film Policier de Liège : Violette Nozière

    Les faits :

    En 1933, Violette a 18 ans. Son père, Baptiste Nozière, est mécanicien dans les chemins de fer. Avec sa mère, Germaine, son père et elle, ils vivent dans un minuscule appartement. Ses parents, de condition modeste, rêvent pour Violette d’une existence autrement plus brillante que la leur. La fille, étouffée par cette atmosphère petite-bourgeoise, s’enfuit la nuit, fréquente des étudiants. Elle ne tarde pas à contracter la syphilis. C’est le scandale. Violette est exaspérée par l’attitude lâche de ses parents. Elle tente une première fois de les empoisonner.

    Mais Violette tombe amoureuse d’un garçon médiocre, Jean Dabin, qui rapidement profite d’elle. La fille vole les économies de ses parents. Sa famille lui est de plus en plus insupportable. Violette empoisonne Baptiste et Germaine qui, elle, est sauvée. Sa fille indigne est arrêtée. Le procès mobilise la presse et l’opinion.

    Violette déclare qu’elle ne désirait pas la mort de sa mère mais celle de son père parce que ce dernier aurait abusé de sa vertu. Germaine accuse néanmoins sa fille d’une double tentative de meurtre.

    Grand Procès du Festival du Film Policier de Liège : Violette NozièreGrand Procès du Festival du Film Policier de Liège : Violette Nozière

     

    Le procès :

    Dans le cadre du Festival du Film Policier de Liège, ce grand procès qui défraya la chronique il y a 82 ans a été reconstitué ce week-end à la Cour d’Assises de Liège, transposé à notre époque avec des professionnels du barreau et de la magistrature.
    Relu et réécrit par Maître Franchimont, ce célèbre procès a rassemblé outre ce dernier, dans le rôle de l’avocat de la partie civile : Madame Germaine Nozière, Maitre Moureau, avocat de Violette, Maitre Lejeune, avocat général, le juge Warnon et d’autres magistrats, médecin légiste et policiers, dans leur propre rôle.

    Pendant 2h30, nous avons écouté l’histoire de Violette, ses réponses aux questions du président de la Cour d’Assises, assisté aux témoignages des témoins puis aux plaidoyers et réquisitoires des magistrats.
    Pendant que le jury, choisi parmi les spectateurs, (composé d’un quart d’hommes seulement alors qu’en 1934 il ne comptait aucune femme) se retirait pour délibérer, Maitres Lejeune, Moureau et Franchimont ont répondu à nos questions sur l’histoire de Violette Nozière et sur la Cour d’ Assises d’aujourd’hui. Des échanges, francs, clairs et sans langue de bois. Merci à eux.

    Alors qu’en réalité, Violette a été condamnée à mort en 1934 à Paris avant que le président de la République, Albert Lebrun, ne commue la peine en travaux forcés à perpétuité puis que le maréchal Pétain ne la réduise à 12 ans, le jury de Liège en 2016 l’a reconnue coupable de meurtre sur la personne de son père et de tentative de meurtre sur celle de sa mère. Mais au vu des circonstances, jugées comme atténuantes, il l’a condamnée à 15 ans de prison ferme.

    Les années précédentes, j’ai malheureusement raté le procès de Dominici et celui de Ranucci, je suis ravie d’avoir pu assister à celui-ci.

    Un excellent moment, une organisation parfaite et des magistrats très à l’aise dans la peau de comédiens.

     

     Grand Procès du Festival du Film Policier de Liège : Violette Nozière

     

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  • Une libraire, ça crée des dettes. D’argent parfois bien sûr, mais surtout de cœur.
    Lorsqu’Yvonne meurt, les souvenirs affluent pour Abdel, un jeune professeur de Roubaix. Il se revoit enfant entre les murailles de bouquins, prêt à avaler tout Balzac sans rien y comprendre. De là à accepter la succession, il y a un pas… que l’inconscient fait à l’aveuglette. Le voici bientôt en butte aux problématiques économiques du métier. Mais aussi aux dangereuses archives photographiques de son aînée. En fouillant les cartons, c’est tout un pan de la guerre d’Algérie qui renaît, entre partisans du FLN, harkis et OAS. En quoi ce passé concerne-t-il les habitués de la librairie ? Sans trop se garder de l’amour, Abdel mène l’enquête.

    Mon avis :

    Ouvrir un Michel Quint c’est avoir la certitude de passer un bon moment. Son écriture raffinée, ses métaphores originales et cinglantes, ses images d’une autre époque*... tout concourt à créer une atmosphère et un réel moment de plaisir littéraire.

    Né dans le Nord, Michel Quint y installe tout naturellement sa librairie, ce havre de paix hors du temps, lieu d’apprentissage, de partage et de fraternité. Ses personnages sont touchants et forts comme les gens du Nord. Entêtés, ils ne s’avouent pas facilement vaincus et sont prêts à transporter des montagnes pour honorer une promesse, un engagement. C’est exactement ce que va faire Abdel quand il apprend qu’Yvonne lui lègue sa boutique. Sans réfléchir aux conséquences, il accepte car ce n’est pas seulement une vieille librairie endettée, c’est sa maison, son passé et la mémoire du quartier. Il ne sait pas encore à quel point.

    J’ai pris un immense plaisir à lire ce court roman. Pour la langue bien sûr, pour l’atmosphère que sait si bien créer Michel Quint mais aussi pour les relations que les personnages nouent entre eux, laissant perler la tendresse ou la tension, l’irritation ou l’attendrissement. Des relations vraies, brutes, entières de toute façon.

    J’ai aussi découvert un pan de l’Histoire de France que je ne connais pas. D’abord parce que je n’étais pas née dans ces années-là, ensuite parce qu’en tant que Belge, je n’en ai pas entendu parler dans mes cours d’Histoire. Mais je pense que les Français non plus. L’immigration algérienne consécutive à l’indépendance, les tensions entre harkis et membres du FLN, les factions de l’OAS... tout cela ne doit pas faire partie du programme scolaire.

    Michel Quint fait vivre sous nos yeux une région sinistrée où le chômage explose mais où la générosité et l’humain ne sont pas des mots creux. Et cette histoire toute simple, nous transporte, nous tient en haleine et nous émeut. Son roman sonne comme une claque salutaire.
    C’est aussi une magnifique plongée au cœur du monde des livres, un hymne à l’amour aux libraires, aux librairies, à la littérature et à tout ce qu’elle peut apporter « Tu as l’âge de souffrir à cause des livres, désormais. » "Les livres, c'est comme les chats, on habite chez eux, pas l'inverse."

    Une pépite !
    Un immense merci à Babelio et les éditions Phébus pour cet envoi.

       

     

    *une vieille actrice musaraigne oubliée de tous, maigre à trouer ses gilets, riquiqui à se cacher entière derrière ses deux mains ouvertes

    *Elle est toute petite malgré ses talons, une quetsche dodue, cheveux noirs, courts à la Lulu, un visage charbonneux de star du muet

    *Abdel une perche à houblon, long et blond, dégaine de dandy, du lin informe...

     

     

     

     

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  • Et dans la jungle Dieu dansait, Alain LALLEMANDMarre de la crise et des égoïsmes, assez de cete surconsommation, des délires sécuritaires et des bâtisseurs de prison. Théo et Angela n’ont qu’un demi siècle à eux deux, mais pour changer la société, ils ont compris qu’il ne suffit pas de s’indigner. Il faut cogner. Fascinés par la dernière des guérillas, ils gagnent la forêt tropicale de Colombie : Viva la Revolucion ! Mais...

    Mon avis :

    Qui est-il vraiment ce Théo Toussaint ? Un rêveur ? Un anarchiste ? Un idéaliste ? Quand il arrive en Colombie, il semble bien déterminé à rejoindre les rebelles dans la jungle. Pour quoi faire ? Que cherche-t-il dans ce combat qui n’est pas le sien ?
    Jeune liégeois engagé dans la lutte contre les inégalités, il commet un jour une erreur et fuit la Belgique. Il trouve refuge auprès d’Angela, une jeune bloggeuse franco-colombienne à la recherche de son ami Martin. Avec elle, il se rend dans la forêt, espérant entrer en contact avec les Farcs. Pour eux, la guérilla est la seule capable de pousser leur indignation plus loin pour changer le monde. Pour y arriver, ils trouveront de l’aide auprès des gens d’Eglise très présents en Colombie et qui tentent de réconcilier état et guérilla au bénéfice de la population.

    Grand reporter au journal « Le Soir », Alain Lallemand signe ici son troisième roman.
    Son récit d’aventure nous invite d’abord à partager sa passion pour la Colombie. Il y décrit de magnifiques paysages qui contrastent avec la vie rude et triste des populations prises entre deux feux : les révolutionnaires et les paramilitaires. Son portrait son concession de la situation est remarquable.
    Il présente ensuite une réflexion sur notre société. En effet, le parcours de Théo n’est pas sans rappeler celui des jeunes qui deviennent djihadistes en Syrie. Leur quête est-elle différente ? En quoi ? Théo ne se reconnait pas dans le djihad. Il veut changer le monde, trouver une place dans la vie, un sens à celle-ci et il pense que son engagement dans la lutte armée pourra l’aider. Paradoxalement, il va se retrouver auprès de combattants catholiques, très proches des prêtres et religieuses. Il va devoir comprendre et accepter les incohérences de cette situation : suivre et respecter une religion d’amour, de pardon et s’imposer en même temps par les armes dans la violence. Théo, comme de nombreux jeunes avant lui, a une vision romantique de cette lutte, de cet engagement et est tenté de passer par les armes pour défendre ses idées, ses valeurs.
    Et c’est là toute la question du roman : la lutte armée n’est-elle pas toujours une déception ? Quel que soit l’endroit (Espagne, Asie, Amérique latine...) n’est-ce pas toujours la population civile qui paie le prix fort de la guerre ? 
    Enfin, on s’interroge sur la raison qui pousse ces jeunes à rejeter la société dans laquelle ils vivent. Les principaux facteurs ne sont-ils pas la perte de sens et les inégalités sociales grandissantes ? Par cet engagement, les jeunes pensent trouver la place que la société leur dénie.

    J’ai beaucoup aimé ce roman qui se lit d’une traite. La narration est fluide et le style de l’auteur est agréable. Les pages se tournent sans effort tant on a envie de savoir ce qu’ils vont devenir. Ensuite, on revient sur les passages que l’on a marqués afin de relire les réflexions politiques et philosophiques que l’auteur met dans la bouche de ses personnages.

    Un récit dépaysant qui pose de vraies questions. Un livre a proposé aux élèves du 3e degré, sans nul doute.

     

    Et dans la jungle Dieu dansait, Alain LALLEMAND

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