• Des traversées et des mots - RecueilCes voix racontent les traversées – de pays, de mers, de frontières ou d’enfers – qui, presque toujours, aboutissent à l’exil. Ces voix sont celles d’hommes et de femmes qui ont vécu, subi ou accompagné les fuites, les cheminements, les tortures et les rêves, brisés parfois. Et qui les écrivent. Ces voix sont celles d’écrivains (d’Irak, de Syrie, du Nigeria, du Congo, d’Espagne, de Belgique ou d’ailleurs) qui disent, de toute la force de leurs mots écorchés, la puissance de l’espoir. Et l’irréductible besoin de fraternité.

     

    Mon avis :

     

    Ce recueil paru aux éditions Mardaga a été réalisé dans le cadre du projet « Ecritures migrantes » de la Foire du Livre de Bruxelles. Il donne une voix aux auteurs muselés par les circonstances de la vie qui se retrouvent chez nous, en Belgique.

    Il rassemble des nouvelles, des poèmes, des témoignages… d’auteurs d’ici et de là-bas. La préface est signée par Victor Del Arbol, auteur espagnol bien connu et Geneviève Damas, Xavier Deutsch ou Françoise Lalande signent un texte comme d’autres auteurs réfugiés.

     

    « Je n’ai qu’une seule nationalité. C’est l’Humanité » écrit Ali Talib, auteur irakien qui pensent que l’avenir ne peut se construire que sur le partage et les échanges. Telle est la philosophie de ce recueil.

    Ces textes sont empreints d’émotion, de force et d’espérance à l’image de leurs auteurs. Ces hommes et ces femmes que la vie a malmenés, déchirés, transformés en voyageurs malgré eux. Ils nous donnent à entendre le récit de traversées parfois insensées ; de voyages dangereux dans le but de simplement survivre. Pour que la vie gagne toujours.

     

    Un recueil que je vous conseille, notamment si vous êtes enseignants. Les bénéfices de la vente seront reversés à « Médecins du Monde » pour ses programmes destinés aux personnes migrantes en Belgique.

     

     

     

     

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  • Né d'aucune femme, Franck BOUYSSE« Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile. – Et alors, qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ? Demandai-je. – Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés. – De quoi parlez-vous ? – Les cahiers… Ceux de Rose. » Ainsi sortent de l’ombre de cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin.

     

    Mon avis :

     

    Quel plaisir de lecture ! Ce roman est mon premier coup de cœur de l’année.

    Le père Gabriel est appelé à l’asile proche pour bénir un corps. Une infirmière, sans doute, est venue l’en prier. Elle lui confie en confession que sous la robe de la défunte, elle a caché des cahiers et elle le supplie de les emporter et de les lire. Elle seule sait ce qu’ils renferment et le secret est trop lourd à porter. Il promet.
    De retour au presbytère, il commence la lecture de ces cahiers couverts d’une écriture maladroite. Rose, car tel est son nom, y raconte son histoire. Il en sera changé pour toujours.

    Une histoire de jeune paysanne pauvre entrée au service d’une famille de notables au siècle dernier, il y en a beaucoup. Nous en connaissons tous. Ce qui m’a séduite ici c’est non seulement la langue pure et musicale de l’auteur mais la manière dont il nous conte l’histoire. Dès le départ, on sent qu’un drame a bouleversé la vie de Rose. Mais lequel ? Peu à peu, on s’enfonce dans l’horrible, l’indicible mais avec un tel doigté, une telle maîtrise qu’on est presque étonné quand il surgit.

    Ce roman choral donne la parole aux principaux protagonistes et met peu à peu en évidence les motivations de chacun. Fière et libre, cette toute jeune fille est aussi le seul être intègre et droit dans ce monde de pendards diaboliques qui se considèrent au-dessus des lois. Mensonges, compromissions, silences, couardises forment la toile de fond de ce récit magistralement construit.

    Franck Bouysse nous emporte dans un univers clos et sombre tout en parvenant à laisser briller une lueur d’espoir dans le lointain. Malgré la vie dure qu’on lui fait mener, Rose parvient à garder suffisamment d’amour et d’espérance pour continuer. Jusqu’au bout, à notre tour, on espère un dénouement heureux, une justice divine, une parole ou un geste qui nous rendrait confiance dans l’humanité. En donnant à son héroïne, le goût des mots – elle lit les journaux des maîtres en cachette – il lui offre aussi le moyen de s’évader de son quotidien puis d’écrire son histoire pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli, qu’un jour, on sache. Et ces mots lui permettent aussi de tenir bon, de ne pas sombrer dans la folie.

    Ce roman intimiste éblouissant, rédigé dans une langue parfaite, nous conte au final une tragédie intemporelle, celle qui oppose depuis la nuit des temps les forts et les faibles, les veules et les déterminés, le bien et le mal. Un roman noir qu’il faut lire absolument.

       


    Alors, je me résous à laisser aller mon regard sur la première feuille, afin que disparaissent les ombres trompeuses, pour en faire naître de nouvelles, que je me prépare à découvrir, au risque de les assombrir plus encore. Ces ombres en éclats d'obscurité qui n'épargne rien ni personne, sinon dans la plus parfaite des nuits qu'est la mort, avant le grand jugement. (p37) 



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  • Onnuzel, Thierry ROBBERECHTOnnuzel, c’est un gamin de huit ans. Il vit dans le Molenbeek des golden sixties avec sa mère et sa petite sœur. Onnuzel ne comprend rien au monde, mais il se pose beaucoup de questions, du genre : où est mon père ? pourquoi est-il parti ?

     

    Mon avis :

     

    Drôle de titre me direz-vous. Effectivement.

    N’étant pas Bruxelloise, je n’avais jamais entendu ce mot avant de recevoir le livre choisi sur Masse Critique.

     

    « L’onnuzel, ignore tout, ne comprend rien, mais il est obstiné... ; » nous dit l’auteur. Onnuzel, c’est une expression bruxelloise très proche de « fada », qui vient du flamand et signifie « imbécile ».

    Le gamin de 8 ans dont il est question ici est un peu niais, naïf et pas très futé. Mais il observe et cherche à comprendre ce qu’on lui cache. Ce que sa mère lui cache. Ce qu’il veut comprendre lui c’est pourquoi elle méprise autant les hommes. Où est son père ? Pourquoi est-il parti ? Qui était-il ? Qu’est-il arrivé quand il était petit et dont il ne se souvient pas ? Il a l’impression que s’il savait, s’il retrouvait ce père absent, sa vie changerait car ne pas savoir le bloque, le mine et occupe toutes ses pensées. Et la douleur que sa mère affiche chaque jour se dissiperait sans doute. « Il a disparu le père, mais il est partout. » Cette mère désespérée et désespérante, tellement enfermée dans ses remords et ses déceptions qu’elle élève ses enfants dans la haine du père disparu tout en donnant aux apparences celle d’une mère parfaite, se sacrifiant pour ses enfants. Pauvres petits déjà investis d’un si lourd passé qu’ils doivent porter malgré eux.

     

    Le récit se passe dans les années 60, à Molenbeek, bien loin des « Golden Sixties ». Baudouin est roi, le Congo est indépendant depuis peu et les anciens, ceux qui y ont vécu, sont d’une grande nostalgie quand ils évoquent ces années-là. Thierry Robberecht dresse le portrait triste mais juste d’une société et d’une famille sans joie, terne, vivant de souvenirs et de regrets. A l’image de la mère qui a fait un mauvais mariage et se retrouve perdue, seule dans la vie.

     

    Le roman est raconté d’un point de vue de l’enfant, exposé à la condescendance des uns et à l’hostilité des autres. Un enfant à qui les adultes ont volé l’insouciance par leur non-dit étouffants et leurs reproches incessants.

    Ce très court roman flirte avec le journal intime mais il est raconté à la 3e personne. C’est sans doute ce qui m’a gênée. Le récit lie intimement le regard naïf de l’enfant et celui de l’adulte a posteriori, le style haché, bref, d’une narration enfantine et les belles tournures, les figures de style léchées de l’adulte. C’est déstabilisant.

     

    Cependant ce roman évoquant une relation toxique d’une mère enfermée en elle-même reste émouvant et fort tant le besoin d’amour et la haine restent proches d’un bout à l’autre.

     

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