• Ecrire pour la jeunesse : un plaisir ou un devoir ?

     Ecrire pour la jeunesse : un plaisir ou un devoir ?


    Sous la direction de Cédric Chaffard, libraire, quatre auteurs s’interrogent sur la littérature qu’ils pratiquent.
     

    Daniel Picouly publie « Les Chabadas » chez Belin (entre autres) 

    Benoit Minville a publié « Les Géants » chez Sabarcane 

    Stéphanie Benson écrivait pour les adultes quand Syros lui a proposé de rédiger des romans bilingues français-anglais. 

    Benoit Séverac vient de publier « Little Sister » chez Syros

     Ecrire pour la jeunesse : un plaisir ou un devoir ?Ecrire pour la jeunesse : un plaisir ou un devoir ?


    Vous écrivez tous pour adultes aussi. Qu’est-ce qu’écrire pour la jeunesse ? Cela a-t-il des conséquences sur l’écriture et la construction ?

    DP : Ca m’amuse toujours cette idée qu’il y aurait une écriture différente, une démarche différente selon que l’on écrit pour les jeunes ou pour les vieux. Non, il n’y en a pas. Si on veut amener les jeunes à la lecture, une fois qu’ils sont adultes, il faut qu’on leur ait proposé avant une littérature de qualité. Sinon, comment leur donner le goût ? Doit-on toujours catégoriser tout ? Les histoires, le genre, les structures, les qualités... et le salaire, suivant qu’on écrit pour grands ou petits ?

    BM : Je suis d’accord. J’ai grandi avec la lecture mais pas celle qu’on m’imposait ? Je n’étais pas très bon élève mais j’adorais lire. Comme les lectures obligatoires m’ennuyaient j’ai découvert des lectures pour adultes. Que ce soit pour les ados ou les adultes, j’écris donc de la même façon, cherchant à faire des ponts. Si la littérature jeunesse peut faire des liens avec la littérature adultes, c’est très bien.

    SB : J’ai d’abord écrit pour les adultes et quand on m’a proposé d’écrire pour la jeunesse, j’ai d’abord refusé. Je venais du noir, très noir et je me demandais ce que j’allais pouvoir écrire pour des ados. Je me suis alors rappelée mes lectures. Je suis très vite passée du « Club des Cinq » à une littérature comme Dickens moins artificielle, moins édulcorée. Je pense qu’on peut tout écrire pour les jeunes. Je me souviens d’une discussion que j’ai eue un jour avec Pavlov qui me disait que la télévision était plus traumatisante que n’importe quel roman.

    BS : Je passe d’une littérature à l’autre ; j’écris c’est tout. J’ai envie de raconter quelque chose, je le fais. Je vois ensuite à qui cela s’adresse le mieux. Le niveau de langage diffère mais les problématiques sont les mêmes, les exigences aussi.

    BM : J’ai d’abord rencontré mon éditeur Sarbacane qui m’a laissé écrire librement. Je ne m’interrogeais pas sur le public d’emblée. Quand ce que j’ai écrit a dépassé l’âge des lecteurs de Sarbacane, j’ai trouvé un deuxième éditeur.

    SB : La porosité est importante. C’est important de le dire. Mais les libraires aiment caser les livres, ne pas mélanger les genres. C’est plus facile à classer et à proposer aux lecteurs. En jeunesse, on peut davantage se permettre de mélanger les genres. C’est une énorme liberté. C’est génial.
    Le lecteur potentiel n’est pas que l’adolescent. Nous sommes aussi lus par des adultes prescripteurs : libraires, enseignants, parents... Et beaucoup y trouvent du plaisir. Preuve qu’un roman jeunesse n’est pas enfantin, ou facile ou simpliste. Je viens de lire U4 qui est une merveilleuse réussite. Je n’ai pas l’impression de lire des histoires d’enfants quand je lis ça, par exemple.
    Quand j’écris, j’ai en tête un lecteur fantasmé car il n’est pas possible de proposer certaines anecdotes ou références que l’enfant ne comprendrait pas. Le niveau culturel n’est pas le mien et il doit saisir l’ensemble. C’est tout.

     

    On a appris récemment que l’éditeur du « Club des Cinq » avait simplifié les récits. Qu’en pensez-vous ? Trouvez-vous cela normal ?

    DP : Ils font chier ces éditeurs. Je refuse les clichés, les idées toutes faites... J’écris pour le môme que j’étais à dix ans, curieux. Simplifier veut-il dire que les mômes d’aujourd’hui n’ont pas le même cerveau que nous à dix ans ? Nous ne sommes pas mieux qu’eux. Nous étions enfant et voulions comprendre, rêver. Pourquoi nos enfants seraient-ils différents ? C’est nous qui leur mâchons la tâche, qui acceptons qu’ils retrouvent dans les livres, le monde audio-visuel cliché, le simplisme des publicités...

     

    La littérature traite de plus en plus de sujets, de faits de société. Comment fait-on ?

    BS : « Little sister » raconte l’histoire d’une petite fille dont le frère est parti faire le djihad. Peut-elle l’aimer ? Doit-elle le détester ? Qu’en pense-t-elle ? Comment le vit-elle ? C’est un sujet qui a été traité par plusieurs auteurs ces derniers mois, comme la problématique des migrants. C’est normal, il faut aider les jeunes à appréhender le monde tel qu’il est.
    Avant dans les récits jeunesse, on parlait de morale, de politesse, maintenant on aborde des valeurs. Il faut seulement adopter un juste point de vue. Il faut se repositionner comme un ado. L’altérité se retrouve beaucoup dans la littérature jeunesse d’aujourd’hui. Elle sert aussi à ça, se créer soi par miroir. Les policiers pour ados tournent autour de cette problématique aussi.


    95% des romans jeunesse ont un héros de l’âge du lecteur. Votre littérature n’est-elle pas celle que vous auriez aimé lire ?

    SB : Je ne crois pas car moi je suis passée très tôt à une littérature adulte. Mais on écrit toujours ce qu’on aimerait lire, c’est sûr. Mais il faut faire attention aux discours qu’on pourrait leur tenir comme une leçon.

    DP : J’ai lu Verne, Dickens puis les livres de poche car les couvertures étaient belles !! J’ai lu aussi pour épater les filles. Quand je voyais une fille avec un livre, je courrais l’acheter et le lire pour en parler avec elle. J’ai lu Proust car une fille l’a acheté devant moi dans une librairie et que la libraire s’est émerveillée de ce choix. J’ai ramené mon achat (un Lego) en rayon et j’ai acheté Proust. Je n’ai rien compris. Mais je l’ai lu. J

    Aujourd’hui, je me rends compte que beaucoup de mômes nous lisent parce qu’ils nous ont trouvé sympa dans une rencontre, qu’elle s’est bien passée ou parce que la couverture les a tentés, que le héros leur ressemble... J’ai toujours aimé les héros qui n’avaient rien de spécial, banals comme moi.

    BS : On s’identifie toujours au héros. J’ai lu « L’appel de la forêt » à 8 ans et cela m’a fait rêver. Je l’ai relu à 30 et 40 et chaque fois, j’en ai fait une autre lecture. Cela m’a plu aussi, j’y ai trouvé autre chose.


    Faut-il privilégier la pédagogie, l’intrigue ou la forme ?

    BM : Vers 13 ans, on peut tout lire. Mais avant, pour rentrer dans les écoles, c’est plus compliqué. (pas de gros mots, obligations de respecter le programme...)
    Pour rebondir sur les héros et les livres, il faut d’abord que les jeunes osent entrer dans une librairie. Pour les conseiller, il faut les voir. Ils refusent souvent ce que les parents proposent mais acceptent mieux ce que les libraires proposent.

    BS : Je voudrais aussi remercier les blogueurs et booktubers. Ils font beaucoup aussi pour faire connaitre les romans jeunesse. C’est formidable, ça. Même si cela devient un peu dévoyé avec ceux qui cherchent à en vivre. C’est un autre débat.

    DP : Parfois, c’est compliqué quand on change d’éditeur (rire) Il refuse certaines de nos habitudes, veulent des changements... Il faut résister.
    Pour les enfants, je n’ai jamais eu trop de contraintes. Mais quand j’ai voulu écrire pour les maternelles, j’ai reçu des tonnes de manuels pédagogiques à lire avant. Pour m’expliquer ce que je devais dire, comment, pour quel âge, en suivant l’évolution de l’enfant, ce qu’il voit à l’école suivant les sections et le prescrit de l’Education Nationale. Ils sont tous dans le même moule à l’école et quand on veut leur lire une histoire le soir avant de dormir, il faut encore qu’elles répondent aux critères ? Pfff ! Avant 13 ans, on n’est pas libre de faire vraiment ce qu’on veut. Il y a beaucoup de contraintes.
    (NDLR : dites-moi que ce n’est pas comme ça chez nous !)

     

    Ecrire pour la jeunesse : un plaisir ou un devoir ?

     

    Pin It

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 2 Avril 2016 à 21:27

    Les enfants sont bon public, en général ! 

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    jessd
    Mercredi 25 Mai 2016 à 11:47

    Merci pour ce compte rendu très intéressant.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :