• L'Ecole des loisirs : brusque changement de ligne éditoriale

    Depuis quelques jours, je suis abasourdie.
    Je lis dans la presse que « L’Ecole des loisirs change de ligne éditoriale en ce qui concerne les romans. » Quelques jours plus tard, j’apprends la mise à l’écart de Geneviève Brisac. Depuis 27 ans, elle était la directrice éditoriale de cette section romans. 27 années de vie professionnelle consacrée à cette maison d’édition et à sa passion.

    Geneviève Brisac, je l’ai rencontrée en avril 2015, rue de Sèvres. Le club ado de ma librairie avait emmené ses membres, et quelques parents, rencontrer des auteurs et leur éditrice. Cette dernière, après avoir travaillé chez Gallimard, voulait créer une maison d’édition jeunesse à une époque où les romans pour la jeunesse n’existaient pas :
    « J’ai commencé mon travail d’éditrice au culot, en y croyant à fond. Mon premier roman publié fut « Trois minutes de soleil en plus » de Chris Doner. Tout le monde disait que cela ne marcherait pas. Il a surpris, on en a parlé au JT et il s’est très bien vendu. Dans la vie, il faut toujours faire les choses par passion »

    Passion, le mot est lâché. C’est je pense ce qui caractérise le mieux Geneviève Brisac, avec « caractère » aussi. Elle n’a pas nié ce jour-là qu’elle en avait un sacré et qu’elle n’était pas toujours facile à vivre. Mais les auteurs présents ont aussi reconnu l’aide précieuse et le soutien sans faille qu’ils trouvaient auprès d’elle.

    Mais aujourd’hui, « L’Ecole des loisirs » change de ligne éditoriale.
    Qu’est-ce à dire ? Une bonne ligne éditoriale, ce sont des livres qu’un éditeur juge bons et pas seulement en fonction de ses goûts personnels. Mais parce qu’ils ont quelque chose en plus, qu’ils proposent une approche différente d’un sujet connu, qu’ils racontent une histoire qui plaira aux jeunes, les fera rêver, trembler, rire, pleurer... bref suscitera en eux des émotions.

    Mais quand on lit les déclarations du nouveau directeur éditorial de la section roman, on s’interroge : « Je n’aime pas le fantastique. Ca m’ennuie. C’est mon goût personnel. Je préfère lorsque le personnage se débrouille avec des choses concrètes, simples. Et que le monde de l’imagination ne remplace pas notre quotidien et notre terre bien pragmatique, manquant de gloire et d’extravagance. Cette originalité ne me plaît pas parce que je pense que la réalité est plus puissante, parce qu’il ne faut pas faire des efforts afin de transformer le monde, pour qu’enfin on puisse se réaliser. » Arthur Hubschmid

    Mais à qui doit plaire le roman avant tout ?

    Nous avons tous une histoire avec cette maison d’édition. En ce qui me concerne, je l’ai découverte à sa création, alors que j’étais jeune enseignante de collège. Elle a accompagné mes élèves chaque année depuis lors. Puis, je suis devenue maman et mon fils a, à son tour, fait ses propres découvertes via un abonnement scolaire.
    Dans ma bibliothèque de classe, trônent Verte, La prédiction de Nadia, Léon, Lettres d’amour de O à 10, L’Amerloque, Journal d’un chat assassin, Comment écrire comme un cochon, Simple, Maïté coiffure, Tête à Rap, Mandela et Nelson, La plus belle fille du monde, Une bouteille dans la mer de Gaza, Le Passeur, Le dernier ami de Jaurès, L’Odysée, Liber et Maud et tant d’autres...

    Avant de plaire à mes élèves, c’est d’abord moi qu’ils ont séduite : par leur humour, leur liberté de ton, leur tendresse, la véracité des histoires, leur originalité, leur fantaisie,... et leurs grandes qualités littéraires. Donner un roman de l’EdL à un élève, c’était être sûr qu’il lirait une histoire bien écrite, bien racontée et qui l’intéresserait.

    Et maintenant ?
    Maintenant, on lit sur le blog « La Ficelle » créé par des auteurs et collaborateurs en soutien à Geneviève Brisac, que « la nouvelle ligne éditoriale » débarque des auteurs, rompt des contrats signés, fait comprendre à certains que leur genre ne plait plus, qu’il est temps de passer à autre chose, plus en attente avec les goûts du public. On assiste à un véritable lissage des textes (sur les thèmes, les styles, les sensibilités) bien loin de l’exigence que proposait Geneviève Brisac. Une littérature formatée, semblable à celle que l’on trouve déjà chez certains concurrents nous attend. Une resucée d’histoires communes, de thèmes rabâchés, peut-être dans un langage simplifié, formaté. On entre de plain pied dans l’ère de l’économie de marché.

    Alors je tiens à m’indigner ouvertement de tout cela et à témoigner de mon soutien aux auteurs et aux collaborateurs de cette maison d’édition qui souffrent eux aussi de l’évincement de Geneviève Brisac.

    Lecteurs, enseignants, blogueurs, passionnés... vous pouvez aussi marquer votre soutien en écrivant à

    Louis Delas
    11 rue de Sèvres
    75020 Paris

     

     

     

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Isabelle
    Mardi 12 Avril 2016 à 12:20

    Je suis extrêmement choquée du peu de cas que l'on fait des personnes dans les entreprises, une fois qu'elles ne conviennent plus pour une raison ou une autre. Je le suis encore plus dans ce cas-ci vu les qualités de madame Brisac et le fait qu'elle est la fondatrice de cette maison d'édition avec monsieur Delas, père.
    J'ai lu qu'il y avait une question d'argent derrière tout cela mais cela n'explique pas tout.

      • pascal d
        Mardi 12 Avril 2016 à 12:35

        Ce n'est un secret pour personne que le monde de l'édition ne va pas bien. Mais est-ce en bradant la qualité et la diversité des romans proposés à la clientèle et en mettant à l'écart ceux qui ont fait de la ME ce qu'elle est que l'on va régler le problème ?
        Si l'Ecole des Loisirs devient semblable à d'autres ME, propose les mêmes histoires, les mêmes personnages, les mêmes schémas narratifs... redressera-t-elle la barre ? Elle aura juste perdu son âme et ses lecteurs.
        De plus, a-t-on demandé aux lecteurs leur avis avant de faire leur bonheur malgré eux ?

    2
    Marc
    Mardi 12 Avril 2016 à 12:25

    Il y a aussi, me semble-t-il, un certain jeunisme ambiant qui veut à tout prix rafraichir le cadre en virant les anciens membres du personnel. Et souvent hélas, on fait table rase de tout le passé et toutes les bonnes choses, bonnes relations, bonnes idées qui soudain deviennent obsolètes.
    C'est en tout cas bien triste pour Geneviève Brisac et ses collaborateurs. Toute une vie consacrée à sa passion pour en arriver là. C'est triste, honteux même.

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    3
    Mardi 12 Avril 2016 à 13:59

    Waouw ! Des réactions. smile Pensez aussi à écrire. Merci.

    4
    Mardi 12 Avril 2016 à 21:46

    Que veux-tu? Tout change ! Plus rien ne va ! 

    C'est comme dans l'enseignement, on change et ça ne va jamais mieux, bien au contraire ! 

    5
    Mardi 12 Avril 2016 à 22:08

    A suivre, merci de nous avoir prévenu

    6
    Cajou
    Jeudi 14 Avril 2016 à 16:45

    Je découvre aujourd'hui le sort qui est fait à Genevièève Brisac et certains auteurs de l'EdL. Je suis effarée par ce désastre : mes petits élèves (de CP et de Cm) ont découvert la lecture, la magie des romans avec l'Ecole des loisirs qui nous proposait des textes riches, motivants, inspirants... Je les ai découvert avec mes enfants avant même de devenir enseignante, et ces histoires ont nourri notre vie familiale. Elles sont aussi au commencement de leur vie de lecteur (et eux comme moi les relisont toujours avec le même plaisir !). "Le passage" de Sachar, Lettres de zéro à 10 ans de Susie Morgenstern, Verte de Marie Desplechin, Les livres de Marie Aude Murail, de Anne Fine, Lois Lowry, Claire Castillon, Brigitte Smadja, Alice de Poncheville, Moka ... et tant d'autres ! comment balayer ces romans magnifiques, si forts et si bons qu'ils laissent une trace dans notre propre histoire ?
    Non, les livres ne sont pas des objets de consommation calibrés, lire n'est pas une simple distraction.

      • Jeudi 14 Avril 2016 à 16:56

        Entièrement d'accord avec toi.
        Et oui, il y a des livres qui ne se vendent pas comme des petits pains mais trouvent quand même leurs lecteurs. Et à côté de ça, il y a des best seller dans leur catalogue. Ce que rapporte les uns permet de publier les autres. Il ne faut pas non plus l'oublier.

    7
    anaïs
    Jeudi 21 Avril 2016 à 14:36

    C'est triste. Une si belle ME avvec tant de bons auteurs et de bons romans. Moi aussi j'ai été bercée par ces romans et je les donne à lire à mes élèves maintenant. Toujours aussi riches, intéressants, diversifiés.
    Je suis déçue.

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