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Le métier de vivant, François SAINTONGE
Durant leur scolarité à Stanislas, deux cousins de la grande bourgeoisie, Max et Léo, et un fils de famille aristocratique, Lothaire, forment un trio soudé que la guerre de 1914 va séparer avant que la paix ne les réunisse.
Pied-bot désinvolte et érotomane pratiquant, Lothaire échappe à la conscription. Léo, pilote breveté, et homme de devoir, accomplit le sien. Max demeure embusqué à la Maison de la Presse où il officie aux côtés de Cocteau et de Giraudoux avant de partir combattre en 1917 sur le front d’Orient. Démobilisé, Max accompagne avec son habituelle nonchalance la révolution surréaliste et se fait marchand d’art. Une histoire d’amour passionnelle et énigmatique l’attache par intermittence, durant plus de vingt ans, jusqu’au dénouement à Londres durant le Blitz, à Dionée Bennet. Cette jeune aventurière, devenue grand reporter, couvre tous les conflits des années vingt et trente. Elle est le parfait sosie de Max en femme : sont-ils frère et sœur, incestueux à leur insu ? Et pourquoi semble-t-elle ne pas s’étonner de leur confondante ressemblance ?Mon avis :
Je découvre ici François Saintonge -n’ayant pas lu « Dolfi et Marylin » son précédent roman- mystérieux auteur connu, se cachant derrière ce pseudonyme. J’ignore qui il est mais son érudition est indéniable de même que ses connaissances historiques.
Le récit commence en 1917 à Paris et se termine en 1941 à Londres. Max, le personnage central, est l’essence même du bourgeois dilettante, un fils unique surprotégé, un embusqué qui se complait à la Maison de la Presse alors que la guerre fait rage. Il n’a pas choisi de fuir son devoir mais ne s’y est pas opposé non plus. Vexé par une caricature anonyme qui lui a été envoyée où on le traite vulgairement de lâche, il se laissera convaincre par son oncle de faire son devoir et sera envoyé sur le front d’Orient d’où il reviendra borgne. Il n’en tirera aucune gloire, aucune satisfaction du devoir accompli, plutôt un soulagement d’être devenu comme tout le monde. Alors que son cousin Léo se lance dans une carrière politique au lendemain de la guerre, Max ouvrira sans grand enthousiasme, une galerie d’art baptisée « Les Survenants » qui, contre toute attente, marchera très bien. « Distraitement patriote, mollement démocrate, machinalement humaniste, tel est Max. »
Outre le récit de l’amitié entre Max, Léo et Lothaire, leur ami handicapé, le roman fait la part belle à la relation épisodique que Max entretient avec Dionnée Bennett pendant plus de vingt ans, une jeune femme indépendante et libre, engagée, tout son contraire mais qui lui ressemble étrangement. On n’aura de cesse de connaitre le mystère de cette ressemblance quasi gémellaire.
Ce roman d’amitié et d’amour se déroule des derniers soubresauts de la Grande Guerre jusqu’au dénouement à Londres durant le Blitz. A travers ce quatuor, ce roman nous permet de saisir l’esprit d’une époque. Loin des tranchées et des combats, la première partie nous immerge dans le quotidien des nantis, de ceux qui n’ont pas été mobilisés et vivent à Paris comme si la guerre n’existait pas. Loin du feu, Max mais aussi Cocteau, Giraudoux, Halévy, Morand... de brillants intellectuels auscultent l’opinion publique internationale en dépouillant la presse étrangère. Cocktails, diners mondains, premières et vernissages, ces plaisirs de l’arrière égalent pour eux l’agrément qu’on peut éprouver à risquer sa vie sans la perdre. D’ailleurs manger, boire, s’amuser, n’est-ce pas le métier des vivants ?
François Saintonge nous conte ensuite la France d’entre deux guerres : les tiraillements politiques, les conflits internationaux de Salonique à Madrid en passant par Saigon, l’essor culturel littéraire et pictural (Oscar de Lubicz-Milosz, André Breton, Masson, Miro, Picabia...) la marche des Croix de Feu, le scandale du journal Le Temps... Une vingtaine d’années sont brossées à larges traits nous donnant à voir la vie des classes dirigeantes, à cent lieues des préoccupations de la classe ouvrière.
Mêlant romanesque, aventure et histoire, ce récit se lit aisément. J’ai apprécié la langue soutenue et recherchée dans laquelle s’exprime l’auteur, un peu moins le rythme stylistique, un peu trop saccadé à mon goût. J’ai davantage apprécié le côté historique du récit -qui n’est pas, comme tant d’autres, un simple décor dans lequel les personnages pensent et agissent comme nous le ferions- que l’aspect romanesque. Ne vous lancez pas dans cette lecture pour y découvrir une grande histoire d’amour, vous seriez déçus. Elle fait partie du récit mais « Le métier de vivant » est plutôt une fresque historique critique et c’est en cela qu’il est intéressant.
Je vous le recommande.
Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour cet envoi numérique.
Tags : Le métier de vivant, fresque historique, années 20, Saintonge, rentrée littéraire 2015
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Commentaires
Je le retiens pour ce contexte et cet angle un peu différent de celui que j'ai pu lire ou voir jusque-là au sujet de la guerre. Bon, mais pas exceptionnel alors ?
J'ai aimé le contexte historique, les infos sur les nantis célèbres, la personnalité de Dionnée... Mais la 4e est racoleuse, je trouve. L'histoire d'amour n'est pas en avant plan. J'ai adoré le vocabulaire, la culture de l'auteur mais il a un style particulier qui ne m'a pas emballée. Un bon roman, un bon moment de lecture mais pas un futur prix littéraire à mon avis.Ce que tu en dis me tente bien, tant pis pour le côté saccadé (qui s'écrit de plus en plus).
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Pas inoubliable mais un bon roman de cette rentrée. Etrange d'écrire sous pseudonyme