• Je voudrais qu'on m'efface, Anaïs BARBEAU-LAVALETTEHochelaga-Maisonneuve. S’y croisent sans se voir Roxane, Mélissa et Kevin, chacun de son côté du « bloc d’appartements », chacun au départ de sa vie. A douze ans, ils composent avec le monde dans lequel ils grandissent. Entre le coin des putes, les matchs de lutte, les beuveries des adultes et la classe des « orthos » où on essaie de les intégrer, ils plongent dans leur imaginaire et tentent de sauver leur peau. Y arriveront-ils ?

     

    Mon avis :

     

    Un quartier : Hochelaga-Maisonneuve. Un immeuble : le Bloc. Et dans ce bâtiment triste, trois enfants et leur famille : Kevin, Roxanne et Meg. Ils se croisent, se toisent, s’entendent à travers les minces cloisons de leur logement mais ne se fréquentent pas.

    Chaque enfant a une famille dysfonctionnelle et grandit cahin-caha dans un monde dur et sans joie. Chacun doit faire face à des soucis trop grands pour lui : l’alcoolisme des parents, la prostitution d’une mère, la perte d’un emploi, les familles monoparentales… et le manque d’argent, de soin, de tendresse. L’amour existe mais il ne s’exprime ni par des mots, ni par des câlins. Et c’est un vrai manque pour certains.

    Pour échapper au quotidien, Roxane s’évade dans les albums photo sur la Russie qu’elle emprunte à la bibliothèque et s’efforce de déchiffrer, elle qui est dans une classe d’inadaptés, les légendes de ces si belles photos ; Kevin, lui, se défoule des heures sur de violents jeux vidéo et Mélissa se rêve une autre vie en portant les chaussures et le maquillage de sa maman. Et puis, contrairement aux autres qui sont enfant unique, elle a la charge de ses deux petits frères qu’elle nourrit, lave, entretient pour cacher à la DPJ qu’ils vivent seuls dans l’appartement.

    En toile de fond, la musique de 50 cents ( qui a vu sa mère se faire tuer sous ses yeux, à 12 ans) et Chostakovitch. Un grand écart musical. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman qui se lit comme un reportage IRL.

    Anaïs Barbeau-Lavalette a construit son roman en courts paragraphes percutants où les vies des enfants se succèdent et se mêlent. On les reçoit comme autant d’uppercuts à travers tout le récit. Pour rappeler la Russie adulée par Roxane, les chapitres sont numérotés en russe.

    Elle a choisi de rédiger son texte en langue orale matinée de joual. Ces mots de la rue rendent le propos dynamique. Ils lui apportent une réelle authenticité et donne une épaisseur aux personnages. On les voit évoluer dans ce quartier qui prend vie sous nos yeux.

    J’ai lu ce roman d’une traite, le cœur au bord des lèvres. Certains visages de mes propres élèves se superposaient à eux dans certaines situations. Je les plains, tout comme leurs parents. Chacun rêvait sans doute d’une autre vie mais la misère et la pauvreté, cela vous colle à la peau. Anaïs Barbeau-Lavalette ne porte aucun jugement dans son roman, elle ne cherche pas à susciter la pitié, elle raconte, simplement.

    Je suis sortie bouleversée par ce récit empathique et déchirant qui dénonce une certaine urgence. Nous avons tous des quartiers de ce genre dans nos villes, que nous évitons de traverser. Il est bon que des artistes, écrivains, cinéastes, peintres… leur donnent une visibilité.

     

    Un récit à lire, absolument.

     

    Je voudrais qu'on m'efface, Anaïs BARBEAU-LAVALETTE5e

     

    Pin It

    8 commentaires
  • Maman veut partir, Jonathan BECOTTEŒuvre tout en finesse, écrite sous forme de poèmes, Maman veut partir raconte la joyeuse insouciance de l'enfance, l'amour des parents, puis, doucement, l'éloignement de la mère. Un éloignement d'abord désire, choisi, mais qui se révélera bientôt absolu.

     

    Mon avis :

     

    Ce récit poétique m’a été offert par mon libraire québécois préféré. Un excellent choix. Tout en candeur, il décrit d’abord des petits moments du quotidien avec les mots simples d’un enfant. Autant d’instantanés qui se juxtaposent et nous ouvrent les portes de l’univers du narrateur : sa maman, le parc, sa famille…

    Puis, au fil du temps, le narrateur évolue, mûrit aussi et la langue se fait plus fine dessinant des images plus précises. Le divorce puis la maladie forcent à grandir. Les mots se font durs, les métaphores pallient le manque de mots pour décrire les émotions.

    Ce récit tout en sensibilité et délicatesse est un roman poétique écrit à fleur de peau. D’une grande simplicité, il nous plonge dans l’univers de l'auteur, s’immergeant dans son enfance avec une douce mélancolie pour retrouver les petits et grands bonheurs d’autrefois, les moments de vie authentiques partagés avec celle qui n’est plus. On passe lentement de la légèreté de l’enfance à l’immensité du chagrin en passant par toute une palette de sentiments.

    J’ai aimé ce récit atypique dans sa forme, la musicalité des mots, sa finesse, la délicatesse avec laquelle il décrit le quotidien en s’attachant aux détails que la mémoire de l’enfant a conservés. C’est beau, poétique, émouvant. Et derrière la simplicité, d’une grande rigueur.

    Magnifique.


    Maman veut partir, Jonathan BECOTTE4e

     

     

    Pin It

    4 commentaires
  • Au péril de la mer, Dominique FORTIERAux belles heures de sa bibliothèque, le Mont-Saint-Michel était connu comme la Cité des livres. C’est là, entre les murs gris de l’abbaye, que trouva refuge, au quinzième siècle, un peintre hanté par le souvenir de celle qu’il aimait. C’est là, entre ciel et mer, que le retrouvera cinq cents ans plus tard une romancière qui cherche toujours le pays des livres. Ils se rencontreront sur les pages d’un calepin oublié sous la pluie. 

     

    Mon avis :

     

    Le Mont-Saint-Michel est au centre de ce récit. Au XVe siècle d’abord où un peintre, Eloi, y trouve refuge grâce à un cousin moine, après le décès de sa bien-aimée. Dans ce lieu sacré qui l’habite et qu’il fuit à la fois, il se renferme dans ses souvenirs, fouillant sa mémoire pour retrouver celle qui lui manque. Il avait commencé son portrait mais peine à le finir. Ce tableau inachevé traversera tout le récit.

    Des siècles plus tard, une jeune romancière montréalaise se passionne pour le même lieu et sa bibliothèque mythique. Elle y rencontrera le peintre à travers les livres. Elle tente d’écrire mais tout comme lui, peine à achever son œuvre, ne parvient pas à atteindre son objectif. Sa nouvelle vie de maman l’éloigne de l’écriture : elle culpabilise quand elle s’adonne à son besoin des mots.

    L’abbaye est un lien entre les personnages, chacun à son époque, mais également l’amour des livres. La romancière cherche un sens à sa vie à travers la force des mots ; le peintre, illettré mais doué en dessin, tente de transcrire les mots comme copiste afin d’apaiser ses tourments. Dans ces deux vies, l’écriture salvatrice permet de renaître et d’espérer.

    Malgré quelques confusions temporelles (on passe sans crier gare d’une époque à l’autre sans toujours s’en apercevoir), le récit est soutenu par une écriture puissante, un lexique de mots précieux et des informations linguistiques et historiques passionnantes. Pourtant, j’avoue avoir eu du mal à progresser dans l’histoire tant les personnages se complaisent en introspection. L’atmosphère est pesante et la tristesse constante des protagonistes l’amplifie encore.

    Je garderai de ce récit la langue, merveilleuse, et l’image des livres, phares dans la nuit et astres de liberté. 

    « Une bibliothèque (…) c’est aussi un jardin : cessez de vous en occuper et elle meurt. »

     

     Au péril de la mer, Dominique FORTIER2e

    Pin It

    12 commentaires
  • Janvier tous les jours, Valerie FORGUESAnaïs et Janvier s'aiment depuis l'enfance. Ils grandissent auprès de Noëlla, la tante de Janvier. Dans la Basse-Ville de Québec, près de la rivière Saint-Charles, entourés de livres et de chansons, ils sont à l'abri de tout, sauf des cœurs nénuphars. Comme la Chloé de Boris Vian, Janvier est malade et Anaïs est terrorisée. Obsédée par la mort qui guette, elle pousse tout croche. 

    Mon avis :

     

    J’ai rencontré l’auteure, Valérie Forgues, à la librairie Tulitu où elle dédicaçait ses livres. Cette femme vive et douce à la fois m’a donné envie de découvrir son univers. J’ai commencé par son dernier roman Janvier tous les jours, édité par Hamac.

    Anaïs connait Janvier depuis l’enfance. Elle a vécu ses premières fois à ses côtés tout au long de sa vie, l’a connu en forme pédalant au bord de la rivière avec elle, lisant Boris Vian ou Lucy Maud Montgomery avec lui ou alité, aux pires moments de sa maladie. Quand le récit commence, ils débutent la trentaine, Janvier est au plus mal et Anaïs vit les derniers moments d’une relation chaotique qui dure depuis trois ans. Quand le cœur de Janvier lâche, Anaïs lâche tout à son tour et s’enfuit en Europe. Elle trouve refuge chez de curieux logeurs qui ont ouvert leur grande maison à des artistes en résidence. Elle y rencontre Elena, peintre italienne et Alejandro, écrivain brésilien. Elle donne à voir que tout va bien mais le passé la rattrape.

    Ce roman tout en mélancolie et poésie est d’une vitalité étonnante. Malgré les états d’âme d’Anaïs et la mort qui l’oppresse et l’empêche de vivre, l’auteure parvient à la maintenir à la vie par un fil ténu mais essentiel. Les chapitres très courts, parfois une page, illustrent les émotions qui l’habitent, les crises, les éclats de voix ou de rires et tout l’arc-en-ciel de sentiments qui la traversent avec fulgurance. Anaïs est à vif mais refuse de l’admettre. Elle en perd les mots qu’elle voudrait coucher sur le papier, ce pourquoi elle est là, en bord de Seine, dans une maison qui ressemble tellement à son Château de Québec.

    A travers son héroïne, c’est le lecteur que Valérie Forgues questionne. Comment l’amour, l’amitié peuvent-ils survivre au deuil ? Comment vivre quand on a le sentiment d’avoir perdu une part importante de soi-même ? Est-ce que la vie est toujours plus forte que la mort ? L’écriture peut-elle être un baume dans ces moments-là ?

    J’ai été séduite par la plume de l’auteure, sa douceur, sa beauté et sa poésie. Je me suis laissée portée par ses mots, la tendresse de sa langue ; ses phrases courtes, brutes, au plus près de la crise, quand le présent est trop lourd ; ses longues descriptions nostalgiques quand les souvenirs affleurent.

    Ce court roman qui parle du deuil avec justesse s’est insinué en moi et des passages me reviennent en mémoire quelques jours après l’avoir refermé. J’ai vraiment eu l’impression de vivre dans l’intimité d’Anaïs, au plus près de ses émotions. Une belle lecture, qui secoue et réconforte à la fois.

     

    Janvier tous les jours, Valerie FORGUES1e

     

    Pin It

    8 commentaires
  • Carnaval noir, Metin ARDITIJanvier 2016 : une jeune étudiante à l’université de Venise est retrouvée noyée dans la lagune. C’est le début d’une série d’assassinats dont on ne comprend pas le motif. Elle consacrait une thèse à l’une des principales confréries du XVIe siècle, qui avait été la cible d’une série de crimes durant le carnaval de Venise en 1575, baptisé par les historiens « Carnaval noir »…

    Cinq siècles plus tard, les mêmes obscurantistes qui croyaient faire le bien en semant la terreur seraient-ils toujours actifs ? Bénédict Hugues, professeur de latin à l’université de Genève, parviendra-t-il à déjouer une machination ourdie par l’alliance contre-nature d’un groupuscule d’extrême droite de la Curie romaine et de mercenaires de Daech, visant à éliminer un pape jugé trop bienveillant à l’égard des migrants ?

    Mon avis :

    Delendi sint haeretici !

    L’Histoire se répèterait-elle ? Les complots visant à déstabiliser l’Etat ou l’Eglise n’en finissent-ils jamais ? Le traité de Machiavel, rédigé au XVIe siècle, semble éminemment moderne, la réalité étant parfois pire que la fiction.

    Tout commence à Venise lorsqu’une jeune doctorante en Histoire s’approche de trop près, d’une confrérie caritative qui, en 1575, disparut corps et biens durant le carnaval. Le siège de la confrérie fut incendié et un prestigieux tableau peint par Paolo il Nano disparut à son tour avant que l’auteur ne soit retrouvé pendu au pont du Rialto, quelques jours plus tard. Personne n’a jamais su qui était derrière ces crimes et les historiens de l’époque ont appelé ces événements « Carnaval noir ».

    Mêlé à cette histoire bien malgré lui, Bénédict Hugues, éminent professeur de latin médiéval à Genève n’aura de cesse de comprendre le lien entre la confrérie du XVIe siècle et les meurtres de 2016.

    Dans ce roman, Metin Arditi nous raconte l’histoire d’un complot : le 29 juin 2016, un double attentat doit avoir lieu à Rome. Si les terroristes sont issus de la filière libyenne de Daesh, les commanditaires, eux, sont membres d’un groupuscule d’extrême droite. La raison de tout cela est double : la peur d’une Europe de moins en moins blanche et chrétienne, pour les uns, la volonté de tuer des infidèles pour les autres.

    Reliant les fanatismes d’hier et d’aujourd’hui, ce récit nous promène d’un siècle à l’autre avec érudition. On y retrouve l’univers d’Arditi que j’avais tant aimé dans « Le Turquetto » : le monde de la peinture italienne dont il parle si bien et l’Histoire de la Sérénissime à l’époque de sa splendeur. Soigné, passionnant, ce roman nous offre deux intrigues étroitement imbriquées et deux époques qui, finalement, ne semblent pas si éloignées.

    Une fois encore, Metin Arditi se montre un conteur d’exception. Il construit un roman fluide, dans une langue élégante et ciselée où se côtoient latin médiéval, frioulan et français contemporain mais aussi la Venise du XVIe siècle, l’univers feutré des banques suisses du XXI, les manigances de la Curie actuelle et les attentats terroristes de l’EI. Le tout agrémenté d’humour.

    On referme ce livre sous le charme de ce roman historique romanesque et proche du thriller ou Metin Arditi interroge la légitimité même de la Curie et sa fidélité au pape. Un sujet éminemment d’actualité.

     

    Carnaval noir, Metin ARDITI9e

     

     

    Pin It

    8 commentaires
  • Monsieur Coucou, J. SAFIEDDINE & K. PARKAllan est émigré en France. Il a fait sa vie avec Prune, sa compagne, et tous deux veillent sur Thésée, la mère de Prune, en fin de vie. Alors qu’il est heureux dans cette famille entre ces deux femmes et les deux sœurs de Prune, il refuse d’accepter les appels de sa sœur et de son frère, restés au pays, qui téléphonent tous les jours…

    Mon avis :

    Beaucoup d’implicites dans cette BD et de non-dits dans la vie Allan-Abel. Au fur et à mesure que le récit avance, on comprend par bribes ce qu’il en est.

    Exilé en France où il a fait sa vie, il a tiré un trait sur son passé et changé de nom. Un jour, sa belle-mère étant au plus mal, il décide de retourner chez lui, sur cette terre dont il s’est senti banni afin de lui trouver un remède qui la soulagerait un peu. Mais, malgré les décennies d’absence, les souvenirs douloureux sont encore bien ancrés en lui. Ecartelé entre ses origines et sa vie actuelle, Abel va tenter de recoller les morceaux de son identité.

    Il faut du temps avant de comprendre qu’Abel a quitté le Liban où il a vu mourir son père. Il ne parle plus sa langue natale, a abandonné la religion et mis de la distance avec sa famille. Le retour au pays sera initié par sa belle-mère qui, mourante, le pousse ainsi à renouer avec sa propre mère et les siens. Mais ce retour sera douloureux, fera remonter les souvenirs et mettra Abel face à un choix.

    Joseph Safieddine, le scénariste, dépeint un homme tourmenté, déchiré entre deux cultures : une qu’il a reniée, une qu’il a choisie mais n’est pas tout-à-fait la sienne. C’est un être complexe, taiseux, renfermé mais dans lequel on sent beaucoup d’affection, de force et de doutes à la fois. L’auteur, comme le dessinateur Kyungeun Park installent une atmosphère, une ambiance que le rythme lent de l’histoire favorise. Par une foule de petits détails, de situations esquissées ou d’événements plus intenses, la personnalité d’Abel et l’origine de ses blessures se construisent peu à peu expliquant ses ambiguïtés.

    J’ai aimé le dessin de Park, notamment dans les décors qu’il rend à merveille : la justesse et la précision des traits des animaux ou les paysages montagneux du Liban. Thésée dont la santé décline est également dessinée de façon émouvante : traits vieillis, fatigués, visage souffrant…
    Le tout est mis en valeur par Loïc Guyon et Céline Badaroux dans des tons ocre, orange, crème, vert qui rendent bien l’atmosphère chaude du pays.

    En ce qui concerne l’histoire, j’ai aimé la manière dont l’auteur aborde la famille, ses secrets, ses blessures et ses apaisements ou les tensions qui habitent Abel et les thèmes du déracinement et de l’identité ainsi évoqués. Délaissant le côté politique, Safieddine ancre le récit sur un drame familial pour mieux parler de ces thématiques et c’est réussi.

    Beaucoup d’émotions dans cette bande dessinée qui touche à l’intime avec justesse.

     

     

     

    Pin It

    votre commentaire
  • La belle de Casa, In Koli Jean BOFANEQui a bien pu tuer Ichrak la belle, dans cette ruelle d’un quartier populaire de Casablanca ?
    Elle en agaçait plus d’un, cette effrontée aux courbes sublimes, fille sans père née d’une folle un peu sorcière, qui ne se laissait ni séduire ni importuner. Tous la convoitaient autant qu’ils la craignaient, sauf peut-être Sese, clandestin arrivé de Kinshasa depuis peu, devenu son ami et associé dans un business douteux. Escrocs de haut vol, brutes épaisses ou modestes roublards, les suspects ne manquent pas dans cette métropole du XXIe siècle gouvernée comme les autres par l’argent, le sexe et le pouvoir. Et ce n’est pas l’infatigable Chergui, vent violent venu du désert pour secouer les palmiers, abraser les murs et assécher les larmes, qui va apaiser les esprits…
     

    Mon avis :

    Tout commence par un meurtre. Qui et pourquoi a-t-on tué la jeune Ichrak en pleine rue ? Les suspects ne manquent pas. Le commissaire Daoudi qui la désirait et est justement chargé de l’enquête ? Farida Azzouz qui règne en maître sur le quartier de Derb Taliane ou Nordine, son homme de main ? Un amoureux éconduit ? Et pourquoi semble-t-on vouloir faire porter le chapeau à Sese, devenu l’ami d’Ichrak ?

    Tout le quartier est en ébullition depuis ce meurtre et le vent chaud qui souffle sur la ville aiguise encore les tensions. Que lui reprochait-on à Ichrak si ce n’est de vivre libre et de tenir tête à tous ? Elle était belle mais solitaire, flanquée d’une mère malade, perdant un peu la tête. Elle cherchait aussi désespérément à connaitre ses origines et le mystère de sa naissance, elle, la fille sans père. Était-elle trop curieuse ?

    Au cœur d’un quartier populaire de Casablanca, on plonge au cœur des jalousies et des passions, du trafic et des affaires, des luttes d’influence et de la concupiscence masculine. Sese fait office de candide dans ce panier de crabes, lui qui a échoué là par hasard, roulé par un passeur. Débrouillard, il joue le séducteur sur internet, un brouteur dans le jargon congolais, et vit de l’argent que lui envoient des femmes naïves dont il exploite, sans scrupule, la solitude.

    D’un humour cynique, ce roman dénonce avec lucidité la corruption immobilière, l’exploitation des pauvres et des migrants, les magouilles et les intimidations. Certains sont prêts à tout pour obtenir ce qu’ils convoitent même à monter les gens les uns contre les autres et mettre la ville à feu et à sang dans l’indifférence totale des autorités.

    Tout au long des deux cents pages du roman, on oscille entre tragédie et comédie. In Koli Jean Bofane a la plume acérée, féroce et brillante. En quelques traits précis, il dépeint un microcosme populeux haut en couleurs et parvient à nous faire rire des malheurs de l’Afrique. Même si parfois, ce rire est triste.

    Un récit à lire pour découvrir une population et un état de fait. Brillant.

     

    La belle de Casa, In Koli Jean BOFANE8e

     

    Pin It

    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique