• Norilsk, Caryl FEREYNorilsk, nord de la Sibérie. La ville la plus peuplée de cette région du globe. L’une des plus polluées de la planète. Un ancien goulag où les bâtiments soviétiques s’effondrent. On ne peut s’y rendre qu’avec l’autorisation du FSB – le KGB d’aujourd’hui. Une énorme mine tenue par des oligarques. Une population majoritairement constituée de mineurs. Espérance de vie lamentable. Deux mois par an de nuit totale. Un froide qui, l’hiver, peut atteindre – 60°.

    Pour affronter cet enfer, Caryl Férey avait sa botte secrète : La Bête.

     

    Mon avis :

     

    Après avoir sillonné l’hémisphère sud, le grand voyageur qu’est Caryl Férey s’est aventuré en terres hostiles de Sibérie (-20° quand il arrive à Norilsk). Rien ne l’y destinait au départ mais il a accepté la proposition des éditrices de la maison d’édition Paulsen, spécialisée dans les récits de voyage. A lui qui déteste le froid, elles proposent ni plus ni moins de se rendre dans « la ville la plus pourrie du monde ? Une cité minière qui pollue à elle seule autant que la France ». Avec son compagnon de voyage, borgne et bourru, qu’il surnomme « La Bête », il part donc affronter les grands froids et la Russie de Poutine.

    L’écriture de Férey reste énergique et nerveuse, malgré l’engourdissement dû au froid. Le récit humoristique de ses sorties bien arrosées alternent avec ses rencontres avec les autochtones et la relation sérieuse de leurs commentaires sur la vie, le travail, la rudesse du climat à Norilsk. Cette cité minière aux mains d’oligarques, un ancien goulag de Staline qui n’est accessible qu’avec une autorisation du FSB. On y exploite depuis les années 30 des gisements de nickel, de cuivre et de palladium.

    Philosophe, il met en perspective ces confidences avec la réalité politique de la Russie. Les Russes rencontrés n’aiment pas Poutine mais sont contents qu’il les ait débarrassés de la Mafia et des dangers quotidiens qu’elle représentait. De deux maux finalement, il faut choisir le moindre. Au fil des pages, on sent qu’il abandonne peu à peu ses préjugés sur les Russes qui accueillent chaleureusement ces deux touristes français égarés dans leur froid polaire.

    Ce récit de voyage improbable est agréable à lire. La sensibilité de l’auteur pour ces oubliés, ces forçats qui ne font pas de vieux os nous le rend attachant et on s’étonne de tourner si vite la dernière page.

    Paru en 2017, il est prémices au roman Lëd, sorti lui en 2021. Je pense le lire prochainement car je suis sûre d’y trouver d’autres souvenirs de cet incroyable voyage.

     

     

     

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  • Racines, Alex HALEYLorsque Alex Haley était enfant, sa grand-mère avait coutume de lui raconter des histoires sur sa famille, des histoires qui remontaient à travers les générations jusqu’à l’ »Africain ». Elle disait que cet homme avait vécu de l’autre côté de l’Océan et qu’un jour où il était allé couper un tronc dans la forêt pour se tailler un tambour, quatre hommes l’avaient assailli, battu, enchaîné et trainé jusqu’à un bateau d’esclaves en partance pour l’Amérique.

     

    Mon avis :

     

    Ce roman nous permet de suivre une famille d’esclaves sur plusieurs générations. L’auteur décrit leurs conditions de vie, le travail forcé, la vente, les viols, les séparations des membres de la famille et bien sûr, la ségrégation dont ils sont victimes. L’histoire commence à l’époque de l’esclavage jusqu’à l’époque contemporaine.

    Alex Haley a publié ce roman en 1976. De nombreux documents historiques, dont il fait mention à la fin de son livre, ont été consultés pour étayer l’histoire de sa famille transmise de génération en génération. Trois parties forment le récit : l’enfance de Kounta en Gambie, sa vie d’esclave et l’histoire de ses descendants.

    Le personnage à l’origine de l’histoire est Kounta Kinté, jeune homme libre de 17 ans jusqu’à son enlèvement. On suit son cheminement, sa lutte pour la survie et pour garder son identité. On (re)découvre l’esclavage, de sa naissance à son abolition, à travers les hommes, femmes et enfants qui peuplent le récit.

    J’ai beaucoup aimé découvrir l’enfance de Kounta, son pays, ses coutumes et traditions. J’y ai appris beaucoup de choses. La seconde partie sur le voyage à bord d’un bateau négrier et sur le sol de Virginie ne m’a rien appris que je ne savais déjà mais elle m’a tout autant bouleversée que mes précédentes lectures sur le sujet.

     

    Même si j’ai appris que l’auteur avait été critiqué sur la véracité de certains faits j’ai apprécié ma lecture. Ce récit est éprouvant et suscite de nombreuses émotions. C’est un formidable témoignage sur le commerce triangulaire, l’histoire du peuple noir, les souffrances engendrées par l’esclavage et l’inhumanité des Blancs de l’époque. L’écriture est agréable et aisée et on ne voit pas passer les 750 pages du roman. Un livre puissant à découvrir si le sujet vous intéresse.

     

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  • Les Intrépides, Hervé COMMEREAvec nos voisins, les rapports sont bons parce qu’ils sont inexistants.
    Mais lorsqu’une lettre nous informe que l’immeuble sera bientôt mis en vente, et les locataires, mis dehors, tout bascule.
    Car Valérie et moi, qui ne nous parlons plus, Bastien, le vendeur de savons qui se rêve en businessman, Suzanne, revenue finir sa vie dans le deux-pièces de sa jeunesse, et Dave Missouri, qui rase les murs avec son nom bizarre, nous nous découvrons un drôle de point commun : chacun possède une raison quasi vitale de ne pas partir d’ici.
    Quand nous décidons de nous unir pour modifier le cours des choses, nous sommes loin d’imaginer que nous deviendrons inséparables.
     

     

    Mon avis :

     

    En attaquant ce roman, je m’attendais à retrouver le Hervé Commère de « Sauf ». Mais ce livre n’est pas un roman noir. L’auteur nous emmène à la rencontre des habitants d’un petit immeuble qui s’apprête à être vendu et rasé. Ces personnes qui ne s’étaient jamais adressé la parole si ce n’est « bonjour, au revoir » vont se serrer les coudes et affronter l’adversité avec audace car ils ne veulent pas partir. Chacun a une vie faite de joies et aussi de fêlures avec lesquelles il vit tant bien que mal. Une étincelle va raviver les braises éteintes mais pas froides et ils vont s’unir, lutter ensemble.

     

    Hervé Commère dresse des portraits assez fins des locataires qui vont se dévoiler peu à peu et apprendre à se connaitre et se faire confiance. Des personnes inspirantes auxquelles on s’attache rapidement. Cette croisade insolite et un peu folle aidera chacun à mettre de l’ordre dans sa vie, trouver des réponses à ses questionnements et créer des liens qu’il ne jugeait pas nécessaires jusque-là. Une amitié improbable mais sincère va naitre petit à petit.

     

    L’écriture d’Hervé Commère reste la même, agréable et fluide avec la musicalité qu’on aime chez lui. Chaque mot est pesé et réfléchi et l’histoire s’anime au fur et à mesure, apportant enfin un peu de fantaisie dans la vie des protagonistes. Comme dans ses romans précédents, l’humain est au centre du récit et cela nous offre une chouette histoire qui donne envie de croire en l’homme. Pour autant, jamais il ne tombe dans la mièvrerie.

    Un roman optimiste qui souffle un vent d’espoir à travers de belles rencontres inattendues et un brin d’audace.

     

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  • L'émouvante et singulière histoire du dernier des lecteurs, Daniel FOHR"Je ne suis ni un lecteur boulimique ni un érudit. Je suis simplement le dernier, comme il y eu le dernier Mohican, un dernier ours blanc. En tant que dernier représentant d’une espèce en voie d’extinction, il m’a semblé important de consigner la façon dont les choses se sont passées."

     

    Mon avis :

     

    Situé dans un futur proche, cette œuvre d’anticipation raconte l’histoire du dernier lecteur. Il raconte la situation qu’il vit au quotidien et le fait que seules les femmes sont encore lectrices. Considéré comme une curiosité par les médias, adulés par les libraires, il est vu comme un sous-homme par ses congénères. Il doit jongler en permanence entre sa passion et sa tranquillité.

    A travers ses réflexions et ses courageuses tentatives de faire des émules, ce dernier lecteur pose des questions pertinentes sur le monde littéraire et fait émerger des inquiétudes sur le monde qui est le nôtre.

     

    Cette fable drôle et triste à la fois est originale et se lit d’une traite. Daniel Fohr part du constat que 85% des lecteurs aujourd’hui sont des lectrices. Avec ce roman, il tire la sonnette d’alarme afin que la diversité persiste et que l’on cesse de mettre en avant une certaine taxonomie éditoriale.

     

    J’ai aimé ce récit qui cache de profondes vérités sur la littérature et est truffé de références littéraires. Jamais pédant ou accusateur, il est aussi une déclaration d’amour à l’objet livre en lui-même et à tout ce qu’il incarne.

    La lecture est source de curiosité, de travail intellectuel, de plaisir et ne devrait pas laisser la place au consumérisme ni à la superficialité. L’humour de l’auteur évite l’écueil de la diatribe tout en gardant le côté manifeste de ce livre.

    Lisez-le. Vous ne serez pas déçus.

     

     

     

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  • Au Bonheur des Dames, Emile ZOLAOctave Mouret affole les femmes de désir. Son grand magasin parisien, Au Bonheur des Dames, est un paradis pour les sens. Les tissus s’amoncellent, éblouissants, délicats. Tout ce qu’une femme peut acheter en 1883, Octave Mouret le vend, avec des techniques révolutionnaires. Le succès est immense. Mais ce bazar est une catastrophe pour le quartier, les petits commerces meurent, les spéculations immobilières se multiplient. Et le personnel connaît une vie d’enfer. Denise échoue de Valognes dans cette fournaise, démunie mais tenace. 

     

    Mon avis :

     

    « Au Bonheur des Dames » est un classique de la littérature publié en 1883. Il fait partie de la saga « Les Rougon-Macquart ». Découvert, il y a une trentaine d’années, j’ai eu envie de profiter des vacances pour le relire.

    Nous sommes au début de la 3e République et des grands travaux qui ont transformé la capitale. C’est l’arrivée des grands magasins où l’on trouve de tout. Denise Baudru, montée à Paris avec ses jeunes frères dont elle est responsable, cherche du travail. Alors que son oncle est propriétaire de sa boutique « Au vieil Elbeuf », il ne peut malheureusement l’engager, n’ayant pas de travail pour deux. Elle se fait alors embaucher au « Bonheur des Dames », un grand magasin de prêt-à-porter féminin situé juste en face.

    Ce qui au départ la fait rêver (le choix et la diversité des articles, les quantités incroyables, la modernité de l’endroit, le travail en équipe…) la font bientôt déchanter. Elle découvre la cruauté et la jalousie des vendeuses qui la jugent sur son physique et son apparence modeste, la précarité de l’emploi… Se révélant une vendeuse formidable, elle est repérée par le directeur Octave Mouret et se voit confier de plus en plus de responsabilités. Mais elle repousse ses avances.

    Le magasin prospère et se développe et en même temps, les commerces indépendants ferment les uns après les autres.

     

    Ce roman est un réel témoignage du Paris du 19e siècle et de la condition sociale des vendeuses et ouvrières de l’époque. Logées dans des chambrettes sans chauffages dans les combles du magasin, mal nourries, maltraitées, elles ne disposent d’aucune sécurité d’emploi. Elles sont soumises à une terrible pression professionnelle, doivent supporter le droit de cuissage de certains petits chefs odieux, et si on les y autorise, elles ont la permission de se marier, elles ne peuvent tomber enceintes, sous peine de licenciement. Zola s’attarde aussi à décrire les bassesses des hommes du magasin, les intrigues, les luttes de pouvoir, la surveillance que chacun mène sur les autres et la domination qu’ils exercent sur les vendeuses.

     

    Comme souvent, le roman grouille de personnages, d’intrigues, d’histoires sentimentales ou autres et il arrive que l’on s’y perde un peu. Je ne me suis pas attachée à ce côté, plus intéressée par la situation économique et sociale des protagonistes et l’Histoire de Paris.

    Une belle relecture et un vrai plaisir littéraire.

     

     

     

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  • Tenir sa langue, Polina PANASSENKO"Ce que je veux moi, c'est porter le prénom que j'ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur."
    Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change.
     

     

    Mon avis :

     

    Ce roman sur l’exil et l’identité raconte le parcours du combattant d’une jeune femme pour retrouver son prénom de baptême, francisé à son arrivée en France. Née en Russie, Polina suit ses parents à Saint Etienne après la chute du mur de Berlin.

    Les chapitres alternent entre la Russie et la France. La narratrice nous raconte son enfance, l’histoire de l’URSS puis de la Russie, ses traditions, croyances et vie de famille où elle partageait deux pièces avec ses parents, sa sœur et ses grands-parents. Elle relate aussi son arrivée en France, la découverte de la maternelle, des brimades enfantines, des insultes… mais aussi des dessins animés qu’elle regarde et qui la familiarise avec le français.

     

    Polina butte contre l’entêtement de la justice qui ne voit pas d’urgence ou de bien fondé à sa demande. Mais elle, elle a un besoin viscéral de renouer, par son prénom russe, avec l’histoire de sa famille, ses exils, ses difficultés de vie et ses joies.

    Elle se souvient de l’insouciance de l’enfance mais aussi des mots murmurés qui ne font pas sens pour elle, des superbes fontaines qui n’ont jamais craché d’eau, des « boites kaki avec une sorte de kaléidoscope intégré » qui ont envahi les rues en août 1991… Spectatrice d’un monde en mutation, elle ne comprend pas ce qui se déroule et les enjeux que cela représente. Elle n’a pas les mots pour nommer les choses. Puis « des blocs de béton plein d’orphelins sourds-muets » qu’elle devra apprivoiser. Elle apprendra le français, apprendra à se positionner face à lui ; russe à l’intérieur, français à l’extérieur.

     

    Ce roman a reçu le prix Femina des lycéens 2022. Cette histoire d’identité est celle de nombreux jeunes d’aujourd’hui. Elle est racontée avec humour et profondeur dans un texte intime et fort faisant appel aux souvenirs d’enfance. La langue est vivante, inventive et la plume de l’auteure agréable. Cependant le récit n’est pas anecdotique ; le texte est empreint d’une puissance politique et symbolique comme le sont les deux lettres du changement qu’elle revendique.

    Comédienne, traductrice et autrice de ce premier roman Polina Panassenko nous offre un récit autobiographique vivace et fort. Tenir sa langue, c’est à la fois la préserver et se préserver.

     

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  • Brancusi contre Etats-Unis, Arnaud NEBBACHE1927, un procès ubuesque se tient à New York. Avocats, témoins, expert et artistes débattent pour savoir si le travail de Constantin Brancusi doit être considéré comme de l’art ? En écho, à Paris, le sculpteur et ses contemporains doutent. Le travail de Brancusi est-il à la hauteur face au génie de l’artisanat et de l’industrie ? Le nouveau continent a-t-il les épaules pour jouer le rôle central dans l’art moderne que l’histoire lui impose désormais ?

     

    Mon avis :

     

    Constantin Brancusi, sculpteur roumain naturalisé français, du 19e siècle n’est pas très connu de monsieur Tout-le-Monde. Elève de Rodin, il fut pourtant l’un des plus influents du début du 20e siècle. Sa sculpture funéraire « Le Baiser », objet de controverse juridique, est au centre du roman éponyme de Sophie Brocas, chroniqué en 2019.

    Cette fois, l’œuvre de l’artiste donne lieu à un album graphique aux éditions Dargaud. Il s’agit de raconter le procès intenté par Brancusi en 1927 aux douanes américaines pour faire reconnaitre le statut d’œuvre d’art à une de ses œuvres. « Oiseau dans l’espace » venait en effet d’être lourdement taxée à l’importation en tant qu’objet utilitaire. Les œuvres d’art étant, elles, exonérées.

     

    Les questions qui sous-tendent le récit sont pertinentes et toujours d’actualité : Quels sont les critères pour juger de la notion d’œuvre d’art ? A quoi reconnait-on un artiste ? Qui est juge en la matière ?... Il est aussi question de la libre circulation des œuvres à l’époque.

    J’ai vraiment apprécié cette plongée au cœur de ces préoccupations artistiques. La réflexion sur la place de l’art, sur les critères de jugement et le débat des artistes sur le sujet (Duchamp, Léger, Calder…). Arnaud Nebbache fait habillement ressortir les arguments des pour et des contre et montre les difficultés d’un jugement sans subjectivité quand il s’agit de définir le beau ou l’art.

    Ce livre est un bel objet : couverture cartonnée épaisse d’un beau bleu et 128 pages de papier de qualité. Chaque unité de lieu est définie par une gamme de couleurs : ocre, bordeaux, bleu-vert pour les rues de Paris ; bleu cobalt, brique, beige et noir pour la salle du tribunal aux Etats-Unis… J’ai apprécié. De même que le récit impeccablement rythmé. J’ai, en revanche, été moins séduite par les dessins de l’artiste. Si le dynamisme de Brancusi est bien rendu par la multiplication des attitudes et postures de celui-ci, j’ai peu gouté les décors faits d’ébauches et de tâches de couleurs sans réel contour. Ceci n’est qu’un avis personnel et totalement subjectif ; d’autres y prendront certainement plaisir. Et cela n’a, en rien, gâché le plaisir de lecture.

     

    Un sincère remerciement aux éditions Dargaud et à l’opération Masse critique pour cet envoi. L’album sort en libraire le 6 janvier. Plus que quelques jours à patienter.

     

     Brancusi contre Etats-Unis, Arnaud NEBBACHE   Brancusi contre Etats-Unis, Arnaud NEBBACHE

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