• Polar, thriller : une vie hors du monde anglo-saxon ?

     Polar, thriller : une vie hors du monde anglo-saxon ?

    Liad Shoham, auteur israélien de « Oranges amères » et « Terminus Tel Aviv »

    Martin Michaud, « Quand j’étais Théodore Seaborne »

    Barbara Abel, « L’innocence des bourreaux »

    Bruno Arpaia, « Avant la bataille »

    Animateur : Michel Dufranne

    Polar, thriller : une vie hors du monde anglo-saxon ?Polar, thriller : une vie hors du monde anglo-saxon ?

    Michel Dufranne : Aujourd’hui, 85 à 90% du marché du polar est anglo-saxon (ou nordiques).
    Face à cette déferlante anglo-saxonne est-il important de trouver une spécificité régionale ?

    MM : Où que l’on vive, on écrit du polar pour des lecteurs qui veulent se faire raconter une bonne histoire. On est tributaire d’un storytelling. Mais planter le décor là où on vit, on connait les gens, l'environnement, cela me semble évident.
    BA : En Italie, les livres les plus vendus sont italiens. Le polar italien a une particularité : il cherche une façon de raconter la société italienne, les soucis spécifiques que les journaux ne racontent plus.

    MD : On parle beaucoup de régionalisme en Italie, est-ce toujours le cas ?

    BA : oui, un Napolitain est différent d’un Milanais. Il n’y a pas une Italie mais des Italies. Des spécificités régionales nous marquent mais la complexité est la même partout.

    MD : Y a-t-il des différences entre vos régions Martin Michaud ?

    MM : Comme ailleurs. Il y a des auteurs chez nous qui situent leur intrigue en ville et d’autres en région. Est-ce spécifique ? Ce qui m’interpelle quand je lis un roman policier, c’est l’histoire, cela devrait m’emmener dans des pays différents, des régions différentes. Avant de devenir global, il faut essayer d’être local et y réussir. La vague scandinave n’apporte rien de nouveau au polar mais elle dépayse.

    LS : Israël est un très petit pays et nous n’avons pas de spécificité régionale. Quand j’ai commencé à écrire, je n’étais pas populaire car nos auteurs essaient d’imiter les anglo-saxons. Cela m’irritait car je lisais dans leurs romans qu’on découvrait des corps dans des greniers par exemple et en Israël, il n’y a pas de grenier ! De même, chez nous, on ne peut pas disparaitre dans la nature, c’est trop petit. Moi j’ai voulu rester crédible. J’ai ancré mes romans dans la réalité israélienne. Sinon j’écris avec les mêmes techniques que mes collègues. Mais ils se demandent « pourquoi s’intéresserait-on à moi ou à mon pays ? » Je crois que si on est très local, on tend à être universel. Les hommes restent des hommes, la police est la même... Il faut implanter son histoire dans une région précise. C'est ce que les lecteurs souhaitent aussi.

    MD : Dans vos romans, Barbara Abel, le lieu de l'action n'est pas déterminé. C'est voulu ?

    B. Abel : Il n’y a pas de nom de ville dans mes romans, ce n’est pas un choix réfléchi au départ. Il se fait que je suis très bosseuse pour rédiger mes romans, les travailler ; moins pour faire des recherches, constituer des dossiers sur des sujets que je ne connais pas. Alors je parle de ce que je connais. Mes romans tournent autour du quotidien, du connu de tous. Je suis d’abord femme et mère et c’est de cela que je parle. Le décor ne se situe pas dans l’essentiel de mes récits. Sauf pour « Duelle » où cela est important pour l’histoire. Mes histoires sont universelles.

    BA : Les années de plomb* sont un trou noir. Nous avons refoulé tant de choses de cette époque, à cette époque, que cela pèse sur la société. Chaque roman y fait référence à un moment ou l’autre. J’aime mélanger les genres. Dans ce livre, on trouve du commercial, du journalisme, de l’Histoire... Ces années-là ont été vécues comme si nous étions des personnages de BD stéréotypés. Mon expérience personnelle, ma vie est marquée par la Camorra. Dans mon village natal, deux de mes amis ont été tués par la Camorra. J’ai vu des têtes coupées étant enfant... Ces choses-là marquent, on ne peut éviter d’en parler.
    Pour moi, c’est la transmission de l’expérience et c’est nécessaire. Pour comprendre aujourd'hui, il faut connaitre hier. Mais ma génération ne l’a pas fait. Je le souligne. 
    Aujourd’hui, pour écrire un bon polar, tu dois être expert financier (parler crise, off shore...) et tu dois t’y connaitre en nouveautés technologiques pour rester crédible. Dans cette voie étroite, on doit aller au-delà. J'ai choisi de soulever les problèmes de société.

    LS : Dans mes livres, j’utilise le genre polar pour exposer des faits de société ou les dénoncer. A chaque fois, je fais des recherches importantes sur le sujet que je traite. J’apprends les modes de vie, les mentalités... je cherche à comprendre ce qui peut amener un crime, par exemple dans une communauté ultra religieuse.

    MM : C’est clair que la série Victor Lessard se passe au Québec et la ville de Montréal est un personnage. Mais mon matériau c’est plutôt l’humain. Les hors série, eux, me permettent d’explorer d’autres domaines.
    Ma série braque les projecteurs sur des sujets qui me tiennent à cœur, des problèmes, des faits qui concernent tout le monde... Mon but premier est de raconter une bonne histoire, un divertissement.
    En étant francophone du Québec, je ne m’impose rien mais certaines choses coulent de source par rapport à ma vie, mes passions. Et non parce que c’est à la mode. Si je parle de hockey dans mes livres par exemple, ce n’est pas parce que c’est populaire au Québec mais parce que je le pratique depuis mon enfance. Dans chaque personnage, il y a un peu de moi, consciemment ou non, mais je ne suis pas Victor Lessard. Je ne m’impose rien, jamais. A la base de chaque roman, il y a juste une préoccupation personnelle.

    B. Abel : Une anecdote. Ma fille est rentrée un jour de l’école en me disant qu’elle avait fabriqué un livre et elle me précise « c’est un thriller ». Sa copine ne sachant pas ce qu’est un thriller, lui pose la question et je l’entends dire « c’est un livre qui donne de l’émotion ». Pour moi, c’est ça l’important : mes livres, ce sont des émotions. J’oublie parfois des histoires que je lis mais pas l’émotion que chacune m’a procurée. J’ai des préoccupations ordinaires et donc elles touchent les gens.
    Le frisson fait partie du plaisir. Si je m’amuse, si je me surprends, cela me plait. Et je me dis qu’il en sera de même pour mes lecteurs.

    (entre 1960 et 1980)*NDLR 

     
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  • Commentaires

    1
    Dimanche 28 Février 2016 à 07:34

    Je pense que nous lisons beaucoup de polars américains. Pourquoi? Parce qu'on en fait beaucoup de pub sans doute.

    B Abel est une auteure que je dois encore découvrir. Un jour  viendra...

    Bon dimanche. 

    2
    Dimanche 28 Février 2016 à 10:25

    Un rencontre à laquelle il m'aurait plu d'assister :) 

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    3
    jeneen
    Dimanche 28 Février 2016 à 15:05

    belle rencontre, intéressante par ton billet

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