• Tiroir, tiroir, Dominique DROUIN

    Dans sa course à l’éditeur, un narrateur s’essouffle. Malgré la foi en son œuvre, il se résigne à ne la voir point publiée. Sur cette courbe déclinante, que viennent rebrousser localement des résistances, où viennent se poser des rencontres de bon conseil, se reposer des amitiés anciennes et bien ancrées, l’ambition littéraire elle-même semble se tarir. Toute proportion gardée, le parcours apparent serait donc à rebours de celui du narrateur proustien : écriture abandonnée, sereine résignation à la vie, en quoi, là encore, narrateur n’est pas auteur ? Du moins, pas celui de cette fiction écrite dans une langue très tendue, vivante et jubilatoire, « virtuose » me reprochait un éditeur, faisant jouer la polysémie et les résonances, et où un humour grave point en mains détours.

     

    Mon avis :

     

    Ce résumé rédigé par l’auteur donne le ton de ce livre.

    Un narrateur dont on ne sait vraiment s’il est un génie proustien incompris ou un snob imbu de lui-même, voit les refus de son manuscrit croître inexorablement. Son rêve de reconnaissance s’étiole puis s’éteint. Portant un jugement acerbe et pédant sur la vacuité de ses semblables et la banalité mesquine des choses du quotidien, il finit malgré tout par se résoudre à entrer dans le rang. Il accepte un travail rébarbatif mais croit-il roboratif afin de passer à autre chose, tout en nourrissant sa faim d’écrire. Ce n’était que mirager.

    Las, il se retirera en Bretagne.

     

    Vous l’aurez compris, le style fait l’essentiel de ce roman. Le thème est classique : la douleur d’écrire, de ne pas être reconnu, le sentiment d’impuissance face à des éditeurs tellement débordés par des manuscrits médiocres qu’ils ne voient même plus scintiller une perle dans la pile à lire ou encore l’incompréhension de l’entourage - des béotiens pétris d’impéritie…

    Ce qui fait l’intérêt de ce roman est donc le style léché où subjonctif imparfait et vocabulaire rigoureux voire suranné rivalisent. Les exigences stylistiques de l’auteur sont manifestes : pas d’expressions obvies, de formules convenues, rien n’est laissé au hasard. Au point de nous livrer un texte très (trop) travaillé.

    J’avoue avoir trouvé le début pédant et m’être forcée un peu à dépasser les cinq premières pages où le narrateur se montre d’une insupportable suffisance. Mais plutôt que de m’en offenser, j’ai pris le parti d’y goûter sans arrière pensée et j’ai fini par trouver le texte jubilatoire.

    Je ne lirais pas ce genre de roman à satiété : il faut retenue garder pour mieux jouir des plaisirs ; mais à l’occasion, cela se savoure telle une madeleine. Hélas, je crains que ce roman ne devienne jamais best-seller. La construction grammaticale de l’œuvre et son style d’outre-siècle ne séduiront pas les foules. Mais cela n’est certes pas l’ambition de l’auteur chez qui je reconnais un vrai travail de linguiste érudit.

     

    Je remercie Les agents littéraires pour cette découverte et Dominique Drouin de m’avoir envoyé son roman accompagné d’une missive manuscrite. C’est exceptionnel. Pour mieux connaitre l’auteur, vous pouvez vous rendre sur son site http://scriptogram.free.fr

     

     

    Où le narrateur se résout à trouver du travail :

    J’aurais voulu tirer ma révérence. Mais il fallait être, animer dans la durée cette concrétion de particules ontologiques dont « je » tentait l’unité. Et comme écrire m’était aussi nécessaire que respirer, je ne signais qu’à regret, et dans l’idée de maintenir l’écriture, fut-ce en ce mince filet de râle moribond. (p33)

     

      

     

    http://www.les-agents-litteraires.fr/ 

      

      


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  • Commentaires

    1
    jessyjames
    Dimanche 3 Juillet 2011 à 13:44

    Je n'aime pas trop les romans au vocabulaire hyper pointu. Cela me donne l'impression de la recherche du bon mot à tout prix pour faire genre. Je préfère une belle syntaxe, des métaphores originales à un vocabulaire inusité.

    2
    Lundi 4 Juillet 2011 à 06:52

    Je suis allé à la recherche d'un éditeur pendant des années; j'ai abandonné puis ai repris courage, cela plusieurs fois, pour finir par trouver enfin qui accepte de m'éditer. Je crois que nous sommes trèèèèès nombreux dans ce cas.

    Bon, le livre que tu nous présentes ne m'attire pas trop...

    Bonne journée à toi. Le soleil sera de la partie.

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    3
    Molino
    Lundi 25 Juillet 2011 à 13:32

    à Jessyjames.


    L'un n'empêche pas l'autre: recherche du bon mot ET belle syntaxe ET métaphores originales...

    4
    Mercredi 27 Juillet 2011 à 18:20

    Bonjour,


     


    Je découvre ces échanges autour du livre dont je suis l’auteur, et c’est assez émoustillant. Bien sûr, je connaissais la version de cette critique publiée sur www.les-agents-litteraires.fr. Que ce post me soit l’occasion, si elle m’y lit un jour, d’en remercier Argali !



    Je réagirai seulement ici au propos de Philippe.



    Pour qu’une situation devienne matière d’un objet littéraire, il faut que, d’impasse qu’elle était, cette situation soit dépassée ; il faut que l’auteur s’en soit désenglué. La question pertinente ici n’est donc pas celle de la recherche d’un éditeur, notamment parce que, comme Pierre Seghers en 1938 avec les éditions de la Tour, ou même Gide et Claudel en 1911 avec la NRF (excusez l’incongruité de ces comparaisons et restons-en au seul concept), je me suis fait moi-même éditeur.



    La question qui reste : comment cette recherche a pu être dépassée, dépassement nécessaire à ce qu’elle devienne objet littéraire (j’aurais été tenté d’écrire « nécessaire à sa transsubstantiation en objet littéraire », c’est le mot juste mais j’ai craint de « faire genre ») ? Il faut à l’auteur ce détachement de soi, de son propre désespoir, de sa propre dépression, pour qu’il fasse de tout cela un miel littéraire. Il lui faut être passé de l’autre côté du miroir. Dès lors, quelque chose d’allègre point, le verbe vient aisément, les rebondissements se présentent plus féconds. Bref, la fiction naît.



    C’est ce qui s’est passé lorsque, le premier paragraphe m’étant venu assez spontanément, j’en dévidais les possibilités narratives.



    Un deuxième retournement s’opère alors: ce texte, précisément, chemine vers un constat de vanité : celle de tout projet de publication et d’écriture. Le verbe vient aisément mais en se riant de lui-même.



    En résumé : double parcours sur un ruban de Moëbius, double retournement :



    1 – L’impossibilité de trouver un éditeur dans la vie réelle se transmute en livre publié



    2 – Ce livre trame sa propre négation en montrant l’inanité de l’écriture.



     



    De ce double parcours, on revient devant le miroir, soit face à soi.



     



    Je ne crois pas que le thème soit classique : je ne connais pas d’exemple de livre traitant de ce thème-là, mais si vous pouviez combler ma lacune, ce serait très sympathique à vous…



    Et merci Molino pour votre contribution salvatrice et pleine de bon sens ! Comme vous dites : l’un n’exclut pas l’autre.



    Dominique Drouin


    5
    argali Profil de argali
    Jeudi 28 Juillet 2011 à 10:08

    Merci, Monsieur Drouin, d'honorer mon blog de votre avis sur le sujet. J'en suis flattée et ravie.


    Juste un petit mot sur « le thème classique », je ne me permettrais pas de vous contredire concernant votre parcours personnel. Je voulais dire qu’il existe d’autres livres sur le métier d’écrivain (même si tous ne parlent pas de la recherche d’un éditeur). Je pense notamment à « Marguerite, Françoise et moi » de Danièle Saint-Blois, à « Incidences » de Philippe Djian ou « La foi de l’écrivain » de Joyce Carol Oates. Ils parlent tous des difficultés du métier (et de ses joies), de l’inspiration, des déceptions… D’où mon avis sur ce thème.

    6
    jessyjames
    Jeudi 28 Juillet 2011 à 10:33

    Désolé si je vous ai vexé, je n'ai fait qu'être franc. Mais je trouve votre commentaire intéressant.

    7
    Jeudi 28 Juillet 2011 à 18:54

    Mais non, Jessyjames, Vous ne m’avez pas vexé ! (je taillais juste une petite pointe d’humour au passage – comme on taille son crayon pour écrire). Quand on publie, il faut accepter les critiques. Et j’assume ce reproche (du vocabulaire pointu), en continuant de choisir le mot juste au bon endroit. Je dirais même que cette critique me plaît bien.


      



    Merci encore Argali, notamment pour ces auteurs dont j’ai pris bonne note. Et surtout, ne vous imposez pas de justifier votre avis. Il est d’ailleurs plutôt flatteur. Mais je ne connais pas de livre traitant tout à fait de ce thème. En tout cas, je lirai Joyce Carol Oates.. J'aime bien Annie Dillard aussi.



     



    J’aime ces échanges qui démentent ce que je sens trop souvent sur Internet : l’extrême solitude.


     

    8
    Lundi 8 Août 2011 à 19:51
    tilly75015
    Bonjour Argali, c'est par votre chronique alléchée... que j'ai lu Tiroir, Tiroir ! Merci :)
    Et je découvre que l'auteur se dévoile ici un peu (beaucoup ?) dans les commentaires à votre billet. C'est formidable.
    Très intéressant échange sur le thème de l'autoédition.
    J'ai envie de demander à Dominique Drouin ce qu'il pense de "L'Homme qui arrêta d'écrire" de Marc-Edouard Nabe. J'ai trouvé des échos entre les ouvrages et les styles
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