Par argali
Une jeune femme et sa petite fille vivent enfermées dans leur maison. A l’origine de cette claustration, il y a Enola Game, une catastrophe dont on ne connaît pas la nature exacte : accident nucléaire ? Conflit mondial ? Guerre civile ? Au fil des semaines, malgré sa peur et son chagrin, la mère puise dans sa mémoire et ses lectures mille raisons de célébrer la vie. Les mots de Mallarmé qu’elle recopie dans son journal intime trouvent une résonance particulière dans le vide de son huis-clos :
«Ma faim qui d’aucun fruit ici ne se régale, trouve en leur docte manque une saveur égale.»
Cependant, tandis que la mère louvoie entre sa douleur, ses souvenirs magnifiés et sa volonté farouche de donner un sens à la vie de son enfant, les quelques nouvelles du monde qui lui parviennent encore sont chaque jour un peu plus alarmantes.
Il s’agira in fine pour la mère de quitter l’épiphanie de ses rêves pour choisir un destin.
Mon avis :
Voici un court roman bouleversant. Un récit post apocalyptique sans artifice, sans recours à l’artillerie lourde, à la violence gratuite… Pas de héros en quête d’une deuxième chance ou en lutte contre les forces du mal. Juste une mère isolée et sa petite fille de 4 ans. Séparée de son mari et de sa fille aînée lors de « la grande lumière », elle luttera heure par heure pour résister – à l’engourdissement, la folie, la peur, la rage, le désespoir… - et proposer à la fillette un semblant de vie « normale », ponctuée de règles et d’habitudes. Recherche de stabilité et volonté de pouvoir retrouver ensuite la vraie vie en douceur.
Passant d’une vie de confort matériel, à un manque total de choses essentielles, comme l’électricité, le chauffage puis l’eau, cette mère trouvera la force de résister dans l’amour qu’elle éprouve pour les siens et dans l’écriture : les souvenirs heureux qu’elle couche sur le papier, au côté de ses pensées du moment. L’écriture comme rédemption, comme force vitale pour surmonter l’incompréhensible.
La force de ce récit est l’atmosphère de peur qui y règne du début à la fin ; cette tension permanente venant de l’inconnu : que s’est-il vraiment passé ? y a-t-il des survivants et où sont-ils ? quand cela finira-t-il ? Toutes ces questions sans réponse qui taraudent cette mère jour après jour. Quelques éléments extérieurs s’insinueront aussi au sein du foyer mais aucun ne sera de nature réconfortante.
L’intrigue est soutenue par une écriture raffinée et dense qui la rend encore plus intense. Le rythme des phrases et les figures de style concourent à la beauté du texte. Tout ce que j’aime.
Christel Diehl est professeur à l'Université de Nancy. « Enola Game » est son premier roman, paru en février 2012 aux éditions Dialogues.
Merci à Noukette d’avoir fait voyager ce livre jusqu’à moi. C'est le deuxième roman que je lis dans cette collection qui semble ne proposer que des récits de qualité.
J'inscris ce roman dans les challenges d'Anne et de Opaline.
Le blog d'Argali © - Hébergé par Eklablog