Par argali
Je ne peux plus me déplacer sans aide. La plupart du temps, c’est une soignante qui se porte à mon secours. C’est bien le mot : secours. Je suis en situation continuelle d'assisté, obligé de me plier au bon vouloir d une autre personne. Cela m’a appris l’humilité. Bien malgré moi. Après avoir dirigé des années durant une équipe de quinze personnes, je ne suis plus maître de moi-même. Vous avez beau penser que cela risque de vous arriver un jour, vous vous bercez le plus longtemps possible d’illusions.
Comment vivre dans un espace de quelques mètres carrés ? Son confinement conduit Monsieur Jean à retrouver des petits bonheurs oubliés : le toucher d une peau aimée, la saveur d un verre d’eau, l’odeur de l’herbe coupée, la vision fugitive d un vol de martinets...
Et puis il y a Axelle, encore alerte, elle, et qui lui rapporte tous les petits potins et événements qui agitent la résidence. L’existence ne l’a pas épargné ce n’est qu’à la fin du livre que s’éclaircira le mystère de la disparition de sa femme au Pérou mais Monsieur Jean espère encore secrètement une ultime réconciliation. Avec lui-même et avec ses proches...
Mon avis :
Il y a longtemps qu’un roman ne m’avait émue à ce point. Dès les premières lignes, l’émotion m’a étreinte pour ne plus me quitter. Ne vous méprenez pas, ce récit n’est pas larmoyant, il ne verse pas dans la sensiblerie. Il raconte juste la vie, le temps qui passe, la vieillesse et les déchéances qu’elle entraine, la dépendance qu’on espérait ne jamais subir et devant tout cela un sentiment de résignation bien humain.
Monsieur Jean, horticulteur à la retraite, vient d’entrer en maison de repos. Homme actif, père de trois enfants, il n’a jamais eu le temps de l’introspection. Là, par la force des choses, le temps lui est donné et il va le prendre pour revisiter les moments importants de son existence.
Il doit s’habituer à cette nouvelle vie, à cette dernière vie, ultime étape de sa finitude. Malgré les visites régulières de sa famille, le temps semble long. Il se replonge dans ses souvenirs, relit des lettres de sa femme disparue, dialogue intérieurement avec ses parents dont le portrait le regarde tendrement. Il renoue même avec sa première petite amie, résidente elle aussi. Et puis, il contemple chaque jour un géranium, une bouture devenue plante sur l’appui de fenêtre de sa chambre. Et lui qui en a planté un million sans avoir le temps de les admirer, va prendre plaisir à le regarder grandir. Dans cet espace-temps suspendu, il semble découvrir de nouvelles facultés d’observation et développer tous ses sens avec acuité.
Ce récit simple et pudique, cette chronique d’une mort annoncée, touche au cœur car il nous parle de nous. De ce qui nous attend, de ce que nous vivons ou avons vécu avec nos proches. Cette introspection lucide à l’aube d’une vie n’est cependant pas triste mais positive et lumineuse. Elle ne gomme pas les souffrances physiques ou morales mais elle les apprivoise.
L’écriture de Michel Torrekens est précise, savoureuse ; son récit court mais dense. Chaque mot est choisi avec soin, chaque phrase suscite nos propres représentations, réveille nos propres souvenirs. Et l’on retrouve des sensations enfouies, des instants oubliés, des émotions mises à l’écart. Et cet effet miroir fait poindre l’émotion.
Ce premier roman de Michel Torrekens, rédacteur en chef adjoint au Ligueur, a reçu cet automne à Liège, le Prix Saga Café - ce qui me l’a fait découvrir. Je ne peux que vous inviter à vous laisser tenter à votre tour par ce très beau récit.
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