Par argali
Paris, juillet 1889
À vingt-sept ans, Georges Villeneuve a terminé ses études en médecine. Désireux de se spécialiser en médecine légale des aliénés, il quitte le Québec pour se rendre à Paris où il aura la chance d’étudier avec les plus grands aliénistes de l’époque, Valentin Magnan à l’asile Sainte-Anne et Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière. Le jeune Montréalais en profitera aussi pour assister aux cours réputés de Brouardel, à la morgue de Paris, et pour suivre une formation avec Mégnin, le pionnier de l’entomologie judiciaire.
Mais dès la première journée du Congrès international de médecine mentale de Paris, qui se tient à l’asile Sainte-Anne, Villeneuve est témoin de l’admission dramatique d’un patient atteint d’une sévère intoxication à l’absinthe. Quand Magnan apprend que la police croit ce malade dangereux et veut s’en emparer pour l’accuser de meurtre ce serait le fameux « coupeur de nattes » dont la presse parle tant depuis des mois, il demande à son jeune élève de veiller sur lui, mais aussi de mener sa propre enquête. Or, les recherches de Villeneuve l’amènent très vite sur une tout autre piste, celle d’un étrange dandy au passé trouble et qui entretenait de bien curieuses accointances avec son patient.
Mon avis :
La fin du XIXe siècle est une période qui me fascine à plus d’un titre. A Paris, l’Exposition universelle célèbre le centième anniversaire de la Révolution, la tour Eiffel domine la ville, la médecine fait des progrès énormes dans divers domaines, la police scientifique s’épanouit, de grands artistes se produisent sur scène, l’impressionnisme vit ses heures de gloire, la littérature se porte bien, les Parisiens ont envie de s’amuser après la guerre franco-prussienne qui fut une vraie boucherie... Bref, ce roman de Jacques Côté avait tout pour me plaire dès le départ.
Il nous raconte l’histoire de Georges Villeneuve, jeune médecin québécois, venu poursuivre ses études à Paris afin de se spécialiser en médecine psychiatrique. Un emploi l’attend à Montréal à son retour. Mais témoin de l’arrivée d’un malade intoxiqué à l’absinthe, il se voit confier par son chef de service, l’enquête qui permettra de l’identifier.
Nous avons affaire à une enquête dans le plus pur style policier mais Jacques Côté l’enrichit de manière remarquable par une dimension historique d’une rare précision -celle de l’histoire des sciences. Il se base, pour ce faire, sur des faits réels : le séjour du docteur Villeneuve à Paris, stagiaire à Sainte-Anne sous la direction du célèbre aliéniste Valentin Magnan qui œuvre à l’humanisation des soins apportés aux malades mentaux, suivant en cela les traces de son prédécesseur Philippe Pinel. Les premiers pas de la psychiatrie moderne nous sont relatés par le menu sans que cela ne soit pesant ou n’alourdisse le récit.
Amené à déambuler dans Paris, pour les besoins de l’enquête, Georges Villeneuve nous raconte aussi ses découvertes, ses sensations et ses observations de cette ville en pleine modernisation. Nous assistons à la rénovation du Moulin Rouge qui deviendra bientôt un cabaret, à la fin des travaux haussmanniens, au projet de création d’un réseau d’égouttage digne de ce nom... mais aussi à la relation des amitiés franco-canadiennes et de la rigidité des mœurs des autorités québécoises dont les hôpitaux sont presqu’entièrement aux mains des congrégations religieuses et du clergé.
Tous les médecins cités, de Magnan à Gilles de la Tourette, ont existé ; les faits décrits (médicaux et judiciaires) sont presqu’entièrement vrais et la fiction colle parfaitement à l’Histoire.
Le récit est passionnant et haletant, les descriptions faisant appel aux cinq sens sont riches et l’atmosphère grouillante de ce Paris de 1889 est parfaitement rendue grâce à l’écriture précise et fluide de Jacques Côté. (On y retrouve un peu de l’ambiance des romans de Claude Izner, pour ceux qui connaissent.)
Ce policier historique passionnant est à lire absolument. J’ai d’ailleurs hâte de découvrir la suite des aventures de ce sympathique aliéniste.
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