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Encre brute, Jérôme BACCELLI
«- Le diable ? À quoi le reconnaîtrez-vous donc, votre diable ? Le professeur avait pris un air effrayé.
- Ses actes parleront pour lui. Et s'il le faut, s'il faut d'abord en faire un prince du mal avant de le sacrifier, s'il faut le porter au pinacle pour mieux l'en faire descendre, eh bien nous le ferons. De son règne jailliront les gisements d'encre brute, de ses crimes éclatera l'apocalypse annoncée, comme l'a prédit l'oracle»...Al-Majid, l'assassin appelé à devenir le futur raïs de Babylone, s'entretient en prison avec l'évangéliste Lindsay Steward, à la solde des services secrets américains, lui aussi condamné à mort... Il vient de comprendre que tuer ne suffit pas à conjurer le sort. A l'oracle de la Bible, il va devoir opposer sa propre malédiction. La main qui tue sera aussi celle qui écrit...
Un conte des Mille et Une Nuits transposé dans l'Irak de Saddam Hussein sur fond de guerres et de coups d'état sanglants.
Mon avis :
Informaticien travaillant à la Silicone Valley, Jérôme Baccelli nous propose ici son deuxième roman. C’est en recherchant dans l’actualité des exemples d’écrivains contrariés, qu’il a découvert que Saddam Hussein avait toute sa vie cherché en vain à être reconnu comme écrivain. D’où cette plongée au cœur de la Mésopotamie, berceau de l’écriture, et de son histoire torturée, balisée par l’écriture des plus grands poètes antiques et les puits de pétrole contemporains.
Ce conte moderne est donc inspiré de faits authentiques. Il met en scène deux hommes, autrefois amis : un dictateur et un poète, que tout oppose. L’un est violent, colérique, soupçonneux, l’autre est un esprit libre et joyeux, tendu vers un idéal. Alors que le dictateur croit au déterminisme, pour Sharif, le poète, la vie n’est pas écrite à l’avance : croire à son destin, c’est le piège que tend la vie. Seul la poésie rend immortel. Al-Majid, le tyran, est jaloux du pouvoir de cette certitude, lui qui aimerait tant écrire sa légende personnelle mais n’y parvient pas.
Après huit ans d’acharnement et de guerre, pendant lesquels il cherchera à rédiger cette légende, il ordonnera à Sharif d’écrire pour lui « Zabiba et le Roi ». Un roman d’amour entre lui et une femme, son peuple en fait qu’il aimait au point de lui nier le droit d’évoluer vers la modernité. Ce roman fiction, véritable faux historique, sera publié et deviendra un best seller, dans son pays. Deux autres récits suivront.
Malgré la noirceur et la violence de l’histoire, la douleur, les tortures, les massacres dus à la folie d’un seul despote, j’ai aimé l’écriture poétique et inspirée de l’auteur et la puissance des mots qui émerge tout au long du récit. Un hymne à la poésie, à la littérature, à l’essence même de celle-ci. C’est un conte sur la force des mots, qu’ils soient poèmes, chants d’espoir, patriotiques ou ordres de mission.
J’ai trouvé également tous les personnages intéressants, fouillés, pas seulement les deux protagonistes. Chacun renvoie à une réalité de la vie en Moyen Orient, en des temps troublés et chaotiques. Ibrahim, Karim, Jasmine, Lindsay Steward, Najafi… tous apportent une vision des choses indispensable à la compréhension de l’histoire voilée de l’Irak. Une histoire qui nous est arrivée tellement manipulée par les médias et la raison d’état qu’on a du mal, encore aujourd’hui, à discerner le vrai du faux. En refermant le livre, on ne peut que plaindre ce peuple manipulé par des décennies de dictateurs mégalomanes. Le conflit Iran-Irak aura fait un million de morts irakiens parmi les hommes en âge de procréer. Lourd tribu payé à la recherche d’une légende personnelle !
Un très beau récit que je remercie Babelio et les Editions Pierre-Guillaume de Roux de m’avoir fait parvenir.
Tags : encre brute, guerre en irak, conte, baccelli
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Commentaires
Je ne connais pas du tout mais le sujet me semble intéressant.
Malheureusement, il faut faire des choix dans la vie, même dans ses lectures.
Bon après-midi.