• Craig JOHNSON à Liège

    Ce mardi 6 juin, j’ai eu la chance de rencontrer le sympathique Craig Johnson à la librairie Livre aux Trésors, à Liège.  

    Cet auteur prolifique dont 16 romans ont été traduits et publiés chez Gallmeister est venu à l’écriture sur le tard. Son premier roman est sorti en 2004 alors qu’il avait un peu plus de 40 ans. Avant ça, il avait été enseignant, cowboy et chauffeur de camion. Comme ses auteurs favoris n’étaient pas « écrivain de profession », il s’est dit qu’il pouvait se lancer car à son âge, il avait vécu beaucoup de choses et avait de quoi nourrir ses histoires.

    Il a naturellement choisi le Wyoming pour situer ses histoires car il s’y était installé avec son épouse depuis plusieurs années et connaissait bien la région. Son héros, le shérif Longmire est vieillissant et souhaite passer la main. Dans son petit comté, il y a peu d‘habitants (578 000 habitants dans l’Etat) mais tous ont des choses à cacher ou à raconter.

    « Quand j’ai commencé à écrire, beaucoup de héros d’enquêtes policières étaient déprimés, alcooliques et issus de grandes villes. J’ai voulu éviter ces stéréotypes. Vu la taille du comté où je construisais mon ranch, j’ai d’abord envisagé combien de personnes je pouvais tuer. Cela m’a semblé assez pour un début. (rires). Dans le Wyoming, si un shérif était aussi doué que Longmire, il serait appelé dans tout l’Etat pour résoudre des call case. Je fais donc voyager Walt dans le passé et dans tout le Wyoming. Cela donne une vision plus profonde du personnage. »

    Walt Longmire et ses victimes ne sont pas des voisins de l’auteur. Si c’était le cas, tout le monde les reconnaitrait chez lui et ce n’est pas souhaitable.

    « Je suis attaché aux indiens Cheyennes qui sont mes voisins et avec lesquels j’ai de bonnes relations. Wyoming est un mot algonquin qui signifie « lieu de grande prairie » Je ne pouvais pas faire l’impasse sur eux, leurs coutumes, leur histoire… C’est une joie pour moi de penser qu’ils sont mes amis. Or, dans la littérature, il n’y a pas de peuple plus mal décrit que les Indiens. Pourtant, ils ont de l’humour, de l’ironie, une vie spirituelle riche et leurs croyances font partie d’eux-mêmes. Ce sont des êtres complexes qui méritent d’être connus.

    L’amitié entre Walt et Henry Standing Bear est emblématique de mes romans, comme le sont aussi leurs différences. Henry est très ancré dans ses croyances alors que, par son métier, Walt est pragmatique et objectif. C’est un flic et seuls les faits lui importent. Je ne veux pas emmener mes lecteurs à adhérer à la spiritualité Cheyenne mais j’aime jouer avec leur imaginaire, qu’ils s’interrogent, osent dépasser leurs préjugés. »

    La nature fait aussi intégralement partie des histoires que Craig Johnson nous raconte. Elle ne peut pas être absente vu que le Wyoming est situé dans les Grandes Plaines et qu’il est montagneux sur tout le reste de son territoire. De plus les saisons sont très tranchées, il y fait excessivement chaud ou très froid.

    « On me demande parfois si j’écris des polars ou des nature writing. Je ne crois pas aux genres. Ils ont été inventés pour faciliter la vie des libraires (rires). Quand on vit chez moi, on ne peut qu’être humble face à la beauté et aux dangers du monde sauvage qui nous entoure. Il détermine aussi le caractère des habitants, les façonne. C’est une richesse pour un écrivain. »


    Craig Johnson répond ensuite aux questions du public avec simplicité, humour et chaleur humaine. La rencontre qui devait durer une heure s’est prolongée une heure de plus pour le plus grand plaisir de tous.

    Merci à la librairie Livre aux Trésors, à la bibliothèque de la Bila et à Oliver Gallmeister qui a traduit ses propos durant ces deux heures.

    Si vous ne connaissez pas cet auteur, n’hésitez pas à le découvrir en commençant par Little Bird, son premier roman multi primé.

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  • En prélude au Mois belge, j’ai assisté le mois dernier à deux rencontres aussi différentes qu’intéressantes ayant un lien avec la Belgique.

    La première a eu lieu à la librairie Livre aux Trésors de Liège où Pierre Kroll interviewait Alain Berenboom à propos de son dernier roman « Clandestine ».

    La seconde s’est déroulée à la librairie L’Oiseau Lire de Visé où Christophe Boltanski est venu nous parler de sa nuit au musée de Tervuren, l’Africa Museum.

     

    Alain Berenboom :

    Le point commun entre mes romans est qu’ils parlent de quidam confrontés à des réalités politiques qui les dépassent, que cela se passe en Chine, en Pologne, en Afrique ou ici en Russie. Ce sont des humains qui se sont vu dépassés par un événement qui leur a sauté au visage de façon inattendue.

    Dans « Clandestine » je visite un nouveau pays, la Russie d’où Iulia mon héroïne s’est enfuie. A son arrivée à Bruxelles, elle est enfermée à la Caricole, centre de détention pour immigrés. Elle réussira à s’enfuir de ce centre et se refugiera chez son avocat, maître Biederman.

    Nous sommes en 2005, Poutine vient d’être réélu et les élections ont été faites dans la légalité. L’image de la Russie est positive en Occident, c’est celle de la reconstruction et de l’espoir d’une avancée vers le libéralisme et la démocratie. La Belgique porte un regard candide sur ce pays et ne comprend pas pourquoi Iulia s’en est enfuie. Elle sera donc sur la liste des migrants à renvoyés chez eux.

     

    Ce choix de 2005 est voulu car c’était une période de tensions politiques. D’un côté l’espoir d’un renouveau dans le pays ; puis des manifestations à la suite de la « loi de monétisation des avantages sociaux » qui supprimait des acquis pour les catégories les plus démunies comme les retraités, les anciens combattants, les invalides… et de l’autre des révolutions démocratiques dont l’Ukraine et la Géorgie ont été le théâtre.

    J’avais de quoi montrer les deux visages du pays qui promettait un changement, laissait voir des beaux jours arriver et de l’autre durcissait le ton.

    Mes personnages ne sont donc pas hors sol. Le contexte a de l’importance pour comprendre ce qui leur arrive.

     

    C’est aussi quelque part un hommage à ma mère, Russe, même si elle n’a rien avoir avec celle du livre, n’étant ni communiste ni bolchévique.

     

     

    Africa Museum :

    Ce musée de Tervuren a été érigé entre 1905 et 1908 pour y abriter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles et y relater l’histoire de la colonisation du Congo. Son but était d’éveiller la curiosité du peuple belge pour le Congo et donner envie d’aller y vivre et travailler.

    D’importants travaux de rénovation ont vu sa fermeture de 2013 à 2018. Le musée en a profité pour revoir la scénographie et décoloniser ses collections. Ce qui était le musée royal de l’Afrique central est devenu l’Africa Museum.

     

    Dans le cadre de la collection « Ma nuit au musée » les éditions Stock ont proposé au journaliste et écrivain français Christophe Boltanski de choisir un musée et son choix s’est naturellement porté sur celui-ci. Un précédent ouvrage « Minerais de sang » qui se déroule au Kivu l’avait déjà amené sur les lieux pour consulter les archives du Congo.

    Sa nuit s’est déroulée en 2021 peu après l’assassinat de George Floyd et le déboulonnage de statues en peu partout en Europe et notamment à Bruxelles.

    Après être descendu dans les mines du Kivu, il lui semblait normal de s’informer d’avantage sur ce pays et la période de la colonisation. Colonisation qui n’est pas le propre de la Belgique, c’est une histoire européenne. D’autant que les premiers conquérants du Congo ne sont pas les Belges. Cette nuit l’a fait s’interroger sur le passé, cette période avec ses avantages et ses inconvénients. « On a tous un lien avec cette histoire ».

    « J’étais accompagné du roman de Conrad, Au cœur des ténèbres qui évoque cette période de la colonisation. Il était arrivé à Matadi en 1890. »

    Ce récit est un carnet de voyage d’une nuit, mêlant impressions de l’auteur et histoire du chasseur qui tua King Kasaï, l’éléphant majestueux qui trône dans le hall du musée. C n’est pas une fiction mais cela peut se lire comme un roman.

    Un roman qui met en lumière un des joyaux de notre patrimoine.

     

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  • Véronique Gallo - humoriste belge

    Véronique Gallo est une humoriste belge, liégeoise même.

    Professeur de français pendant une dizaine d’années, Véronique Gallo se forme à l’écriture dramaturgique et au théâtre et publie en 2007 une pièce de théâtre « Le fil rompu ». Elle écrit et crée ensuite son premier one-woman-show « On ne me l’avait pas dit » au café-théâtre de la Samaritaine à Bruxelles qui tournera en Belgique pendant 2 ans.

    En 2012, elle quitte l’enseignement pour se consacrer à sa carrière d’humoriste et d’écrivain. Suivront d’autres spectacles et un premier roman « Tout ce silence » qui sera finaliste au Prix Première de la RTBF et au Prix des lycéens en 2013. Elle y évoque sa grand-mère italienne, venue en Belgique en 1946 et les deuils qui ont émaillé son existence, sans qu’elle ne puisse mettre des mots sur ces peines.

     

    Mais ce sont ses vidéos qui feront décoller sa carrière. En 2015, poussée par ses fils à réaliser des capsules vidéo sur Youtube, elle y raconte à sa psy, via skype, le quotidien éreintant d’une mère de famille de 4 enfants. Et son autodérision fait mouche.

    Anecdotes familiales et conjugales nous comptent par le menu la manière dont la mère de famille gère ou subit les aventures, bonheurs et bêtises de Thibault, Martin, Camille et Mathilde ainsi que de leur père Bertrand. Intitulées « Vie de mère » ces capsules lui valent le Prix du meilleur nouveau talent du web et le Prix du public au Festival « Les Ecrans de l’humour » à Marseille.

     

    La même année, elle écrit et crée « Chacun sa place », une pièce de théâtre où elle joue aux côtés de Catherine Decrolier et Jean-François Breuer.

    En 2017, elle écrit et crée son nouveau spectacle « The One Mother Show/Vie de mère » tiré des capsules web et tourne en Belgique, France et Suisse.

     

    Outre les capsules que je regarde régulièrement, j’ai assisté à son one-woman-show au Forum de Liège en 2018. Devant une salle comble de 2000 personnes, elle a offert au public un spectacle désopilant de près de deux heures. Elle y raconte les déboires d’une mère de famille perfectionniste et débordée et relate des scènes de famille dans lesquelles tout le monde se reconnait : de la course aux devoirs et activités des enfants, aux achats de vêtements pour un ado qui traine les pieds en mode « bof », aux instants volés de la vie de couple, en passant par les réunions de parents d’élèves ou les fêtes d’école. On rit avec elle tant elle est authentique et drôle dans cette peinture du quotidien de toutes les familles.

    Je retiens d’elle un phrase lue dans une de ses interviews « Le bonheur n’est pas un but à atteindre, dépendant de facteurs extérieurs ; il est dans notre capacité à savourer la joie que nous vivons, ici et maintenant. »

     

    Véronique Gallo - humoriste belge

     

     La vie d'une mère en temps de quarantaine : https://www.youtube.com/watch?v=W-kRy1yce9Y 

     

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  • Marie-Bernadette MARS

    Ce samedi 12 octobre, « Saveurs de lire » (le club de lecture d’Olne) et la Bibliothèque d’Olne accueillaient l’auteure liégeoise Marie-Bernadette Mars.

     

    Professeure de latin et de grec retraitée depuis peu, passionnée de Grèce et de culture antique, elle est aussi écrivain et ce beau pays est naturellement au cœur de ses romans. Pendant une heure trente, elle y a embarqué à sa suite la vingtaine de participants venus écouter la présentation de son deuxième roman, « L’échelle des Zagoria » paru aux éditions Academia.

     

    Marie-Bernadette MARSCe roman est l’histoire de Léa, petite-fille de Stamatia. Alors que sa grand-mère est d’origine grecque, elle n’a jamais parlé de son pays à sa famille, ni de son passé et n’évoque jamais ses souvenirs. Sentant la fin arriver, elle demande à Léa d’effectuer à sa place un voyage aux Zagoria dont elle est originaire. Léa commence alors une quête sur ses origines et plonge dans le passé douloureux de la Grèce en proie à la dictature des Colonels.

    Alors que son premier roman « Kilissa » nous plongeait au cœur des récits antiques avec une revisite de la Guerre de Troie, celui-ci nous parle de la Grèce contemporaine, de la seconde Guerre mondiale à nos jours établissant des parallèles entre hier et aujourd’hui.

     

    Ce roman aborde également deux thèmes plus intimes : celui de la transmission et celui de la mémoire. Que laisse-t-on à ses descendants ? Quelle valeur apprise restera finalement ancrée chez nos enfants et petits-enfants ? Deux thèmes au cœur même de notre existence et de notre humanité, faisant de nous des passeurs d’expériences. Exactement ce que fut ce samedi, Marie-Bernadette Mars.

     

    Cette rencontre, agrémentée de lecture d’extraits, s’est ensuite poursuivie par un échange avec le public, touchant au cœur des romans de l’auteure et de sa passion pour l’écriture.

    Enfin, une si belle rencontre ne pouvait se clôturer que sur des saveurs helléniques et nous avons partagé tous ensemble un verre de Retsina et des amuse-bouche grecs.

     

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  • Mercredi 3 avril, nous étions une dizaine de blogueurs à avoir répondu à l’invitation de Karine Lambert, auteure entre autres de « L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes » ou « Et bien dansons maintenant ». Elle nous avait invités chez Refresh à Bruxelles pour une présentation de son dernier roman « Toutes les couleurs de la nuit ».

    Présentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERT

    « Il y a 3 ans, j’ai rencontré un homme qui est devenu aveugle en 24h confia-t-elle et il était plus heureux qu’avant. Ce jour-là, j’ai su que je tenais le sujet de mon prochain roman. »
    Romancière et photographe, Karine Lambert porte un regard vif et acéré sur le monde qui l’entoure. La vue est un outil essentiel dans son travail. Elle a été particulièrement sensible à cette rencontre et s’est beaucoup documentée ensuite.

    Pour nous mettre « dans le bain », elle avait préparé des ateliers sensoriels auxquels nous nous sommes prêtés volontiers. Munis de lunettes noires, nous avons joué avec divers memory essayant de trouver des paires reproduisant le même son ou ayant la même structure au toucher. Ces jeux ont mis en éveil tous nos sens sauf la vue. C’était instructif et révélateur de nos aptitudes à palier ce manque. Je me suis rendu compte que si je devais perdre un sens, c’est le dernier que je voudrais perdre.

    Nous avons ensuite partagé un buffet tout simple mais délicieux et parler littérature, blogs, expériences littéraires… Une belle occasion de découvrir de nouveaux visages et de faire connaissance.


    Présentation du dernier roman de Karine LAMBERT
    Présentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERTPrésentation du dernier roman de Karine LAMBERT

    Pour clôturer cette agréable rencontre, Karine Lambert nous a offert son roman et un sac à livre particulièrement bien en accord avec le sujet.

    Merci à elle pour cette soirée.

     Présentation du dernier roman de Karine LAMBERT

     

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  • Soirée québécoise en compagnie de Juliana LEVEILLE-TRUDEL et Simon Philippe TURCOT

    Le 18 octobre dernier, j’ai rencontré Juliana Léveillé-Trudel et Simon Philippe Turcot à la librairie L’Oiseau-Lire de Visé.

    Auteure de « Nirliit » roman paru en 2015 au Québec et que j’ai lu à sa sortie, Juliana Léveillé-Trudel était chez nous pour la sortie européenne de son roman. Son éditeur l’accompagnait.

    Simon Philippe Turcot a présenté sa maison d’édition « La Peuplade » et parlé du foisonnement de l’édition québécoise qui est malheureusement peu représentée en Europe. Depuis 2000 ans, de nombreuses maisons d’édition ont vu le jour au Québec (Quartanier, Mémoire d’Encrier, les Allusifs, Alto, Marchand de Feuilles, Héliotrope et tant d’autres) renouvelant le genre et réjouissant un public demandeur. Née en 2006 à Chicoutimi, « La Peuplade » a choisi de se tourner résolument vers des auteurs peu lus et peu publiés afin de les mettre en lumière.

    Très vite, les médias se sont intéressés à leurs auteurs, aidant de jeunes carrières à débuter. Hélas, cela restait confidentiel car Paris bloquait, par sa propre diversité de publications et son importance, la diffusion des maisons d’édition québécoises en Europe. Parfois, les droits étaient vendus à des ME françaises mais très vite, « La Peuplade » a eu besoin de s’introduire elle-même sur le marché, notamment lorsqu’il était question de traduire des auteurs anglophones ou autochtones, ce qui a un coût. C’est aujourd’hui chose faite.

    A la sortie de « Nirliit », les critiques quasi unanimes et l’accueil réservé au roman par les lecteurs, ont surpris Juliana dont c’était le premier roman. Et il continue à faire son chemin.

     

    Soirée québécoise en compagnie de Juliana LEVEILLE-TRUDEL et Simon Philippe TURCOTSoirée québécoise en compagnie de Juliana LEVEILLE-TRUDEL et Simon Philippe TURCOT

    Juliana Léveillé-Trudel a lu des extraits de son roman et répondu aux questions d’Anne qui l’interviewait. L’histoire a été peu déflorée pour laisser place à la découverte d’un peuple méconnu ici et à son histoire.

    « Ce roman est inspiré de mon expérience au Nunavik, où j’ai travaillé et vécu. Durant quatre étés, je me suis occupée à Salluit, tout au nord, d’une colonie de vacances et j’ai vécu au plus près les conditions de vie des Inuits. La narratrice me ressemble beaucoup et l’histoire est une fiction inspirée d’un fait réel. J’ai eu envie de parler de la beauté de cet endroit, des conditions de vie très dures et de la violence faite aux femmes là-bas.

    « Nirliit » signifie « oies sauvages » en inuktitut. Les bernaches passent l’été très au nord du Canada avant de descendre vers le Mexique en hiver. Un peu comme moi qui n’y passait que mes étés.

    En 2013, une autochtone a été assassinée dans la région et son corps n’a jamais été retrouvé. Le roman part de là. Dans la première partie, je m’adresse à Eva, la disparue. J’ai choisi le tutoiement car c’était plus simple pour moi d’écrire une lettre, une confession. Cela me permettait d’apporter plus d’émotions. Dans la seconde, le récit est plus romanesque, plus clair car on y découvre l’histoire du fils de Lizie.

    Le roman comprend des mots en anglais et en inuktitut. C’est une langue vivante, une des trois langues autochtones les plus parlées. Les Inuits sont forcés de parler en plus une des deux langues nationales et peu de blancs parlent inuktitut. Au Québec, petite enclave en terre anglophone, nous craignons de perdre notre français et là, ils parlent plutôt anglais. D’abord parce que c’est une langue plus facile à apprendre ensuite parce qu’ils gardent un ressentiment envers les Québécois. En effet, depuis 1912, ils sont Québécois or le Québec ne s’intéresse pas à eux. Le territoire les intéressait, pas les gens qui y vivaient. Je voulais que cela se sente, qu’on perçoive ces changements de langues, les rythmes différents. Je voulais aussi partager la beauté de cette langue, son humour aussi. (En inuktitut, le mot qui signifie hôpital se traduit par « l’endroit où on est souffrant longtemps » et le mot bar par « lieu où s’échouer ») C’est très réaliste.

    J’avais aussi envie de montrer les différents préjugés qui existent entre les communautés, les conditions de vie, les espoirs et les déceptions de ces gens que j’ai côtoyés.

    Il faut savoir que les communautés inuites ne sont accessibles qu’en avion. Elles ont peu de contact les unes avec les autres et encore moins avec le Québec et le coût de la vie est élevé vu le prix des transports. Par leur isolement, ces communautés ont été les dernières à être « colonisées ». De nomades, ils sont devenus sédentaires par la force. Leur mode de vie a donc radicalement changé.

    En 50 ans à peine, ils sont passés des igloos aux jeux vidéo et ce fut douloureux. Les traditions se perdent, les repères aussi et les traumatismes sont nombreux. Les hommes qui vivaient de chasse et de pêche qui nourrissaient leur famille, ont le sentiment d’être inutiles. En tout cas, inadaptés. Heureusement, il existe aussi des familles qui vivent bien et sont heureuses mais la promiscuité avec le village et l’isolement du reste du monde font que la détresse de certains rejaillit immanquablement sur la communauté.

    Le système éducatif est également inadapté. Imposé par le ministère, il est identique à celui du reste du Québec. On a juste fait un copier-coller. Les Inuits, par traditions, apprennent par observations, imitations, répétitions et les enfants se voient contraints à rester assis à des pupitres avec des livres. Comme il existe peu d’ouvrages en inuktitut (ce fut longtemps une langue orale), dès la 3e primaire, l’enseignement est donné en anglais. De nombreux enfants sont donc perdus et n’arrivent pas au diplôme de fin de primaire. C’est catastrophique.

    Certains Soirée québécoise en compagnie de Juliana LEVEILLE-TRUDEL et Simon Philippe TURCOTplus chanceux, ayant eu plus de facilités, iront ensuite étudier dans le sud. Mais cela a un coût. Toutes les familles ne peuvent se le permettre.

    Si les Inuits vont dans le sud pour étudier, se faire soigner ou travailler, les gens du sud montent aussi dans le nord. On y voit des médecins, des enseignants, des travailleurs de la construction… le salaire étant plus élevé en raison de primes d’éloignement perçues. Mais les conditions de vie sont rudes et beaucoup n’y restent pas plus de quelques années.

    Parfois certains couples mixtes se forment et s’ancrent sur la durée. Mais globalement, peu restent dans le nord. La plupart choisissent de s’installer au sud pour l’éducation des enfants. »

    Un échange avec les lecteurs a précédé une séance de dédicace et chacun a pu ensuite bavarder en particulier avec l’auteure et son éditeur. Pour clôturer cette belle soirée, un nous avons eu l’occasion de déguster du cidre de glace, spécialité québécoise douce et sucrée. Un délice.

    Ce fut un magnifique moment de partages et de découvertes.

     

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  • 15 ans de Mémoire d'encrier, Rodney SAINT- ELOILors de la soirée inaugurale de la Foire du Livre, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Rodney Saint Eloi. En 2015 déjà, j’avais assisté à une conférence qu’il animait sur le thème « Que sont les Premières Nations devenues ? » Ce touche-à-tout littéraire, tour à tour poète, écrivain, essayiste… académicien depuis 2015, né en Haïti et vivant au Québec est également le fondateur et le directeur de la maison d’édition Mémoire d’encrier.

    A travers cette maison d’édition, fondée en 2003, il rassemble, publie et fait connaitre des auteurs de diverses origines afin de leur permettre de porter leur voix plus loin. Particulièrement dynamique, il défend ses auteurs et propage avec ardeur leur authenticité quel que soit le genre littéraire qu’ils servent.

    En effet, Mémoire d’encrier publie à la fois des romans, des nouvelles, de la poésie, du théâtre, des essais et des chroniques. Son catalogue est riche des diverses cultures et imaginaires que défendent et véhiculent ses auteurs qu’ils soient québécois, amérindiens, antillais, africains ou autres. Une belle diversité culturelle dont peu de maisons d’édition peuvent se prévaloir.

    15 ans de Mémoire d'encrier, Rodney SAINT- ELOI15 ans de Mémoire d'encrier, Rodney SAINT- ELOI15 ans de Mémoire d'encrier, Rodney SAINT- ELOI15 ans de Mémoire d'encrier, Rodney SAINT- ELOI

    Invitée au petit-déjeuner du dimanche matin organisé par Rodney St Eloi pour les quinze ans de Mémoire d’encrier, j’ai eu le privilège de rencontrer certains auteurs et de me rendre compte de la richesse que représente leur diversité. Je connaissais déjà Natasha Kanapé Fontaine dont j’ai lu « N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures ». J’ai fait la connaissance de Capitaine Alexandre, poète et slameur camerounais dont la poésie évoque l’amour et la révolte, la générosité et la quête de l’humain et de Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais récompensé par de nombreux prix littéraires.

    Mais le travail de Rodney St Eloi ne se limite pas à dénicher, publier et promouvoir ses auteurs. Il est aussi engagé dans la diffusion des savoirs et de la culture de ses auteurs. Plusieurs fois, il les a accompagnés dans des écoles haïtiennes, africaines ou amérindiennes afin de mettre en lien les jeunes de ces communautés, leur littérature et les écrivains qui la font vivre. Une belle manière de propager leur culture et de jeter des ponts entre générations. Il propose également au Québec des ateliers, des conférences et des rendez-vous littéraires auxquels je participerais volontiers si je le pouvais.

    Pour le coup de projecteur qu’il lance sur ces littératures méconnues, il mérite d’être davantage connu en francophonie où le monopole de la littérature française a tendance à faire de l’ombre aux autres littératures francophones jugées, à tort, de seconde zone. Il serait bon de rompre cette ligne éditoriale et d’oser enfin la multiculturalité au cœur même de la francophonie. Histoire de rassembler littératures et humains, au-delà des mers, au-delà des clivages et des peurs.

    Bref, oser abandonner le repli sur soi et s’ouvrir à l’autre pour construire un monde neuf.

     

    Ouvrages Mémoire d'encrier déjà chroniqués :
    Saison de porcs, Gary Victor
    Un thé dans la toundra, Joséphine Bacon

     

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