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Mes lectures
Même si je lis beaucoup de littérature jeunesse afin de choisir les titres les plus appropriés à mes élèves, je lis aussi pour mon plaisir. Des romans surtout. Mais pas seulement.
Derrière le mot roman se profilent des textes bien différents : romans de gare, romans épistolaires, romans policiers, romans réalistes, romans d'aventures... Le roman est pluriel et il existe donc de multiples raisons de s'y engouffrer.
Le roman séduit, émeut ; il propose l'original, l'inattendu, l'éphémère, le sensuel, le hasard d'une rencontre, la violence des sentiments... Il permet de se trouver tour à tour dans la peau d'une empoisonneuse, d'un détective, d'une amoureuse, d'un aventurier, d'un dictateur... Il nous met en contact avec la complexité de nos propres vies et de celles des autres. Il nous renvoie à nous-mêmes tout en nous donnant à sortir de nous-mêmes. Il parle à notre coeur autant qu'à notre intelligence.
Lire un roman c'est un peu prendre rendez-vous avec soi-même.
Je conterai donc ici mes rendez-vous. Je partagerai mes coups de coeur et mes déplaisirs. Vous verrez, je suis une éclectique.
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Par argali le 7 Septembre 2024 à 00:30
Fils unique, Milan vit à Versailles avec son père et sa mère et non loin, ses grands-parents paternels. Son père est Français, sa mère Rwandaise, exilée depuis 1973, n’a pas de famille. Né en France, Milan ne connait rien du pays de sa mère dont elle ne parle jamais.
La guerre éclate au Rwanda quand il a 12 ans. Sa mère, peu bavarde, s’enferme alors dans de longs silences regardant les journaux télévisés chaque soir. Il tente bien de l’interroger pour comprendre mais sans succès. Il a 16 ans quand ses parents divorcent et cet été-là, sa mère l’emmène au Rwanda. Il va être confronté de plein fouet à un pays inconnu, délabré, qui tente de panser ses plaies. Mais aussi à sa grand-mère alors qu’il croyait sa mère orpheline ! Entre elles, elles parlent kinyarwanda, langue inconnue de Milan et qui le tient à l’écart de leurs discussions et de leur relation.
Quelques années plus tard, à 23 ans, Milan décide de retourner au Rwanda, étudier les juridictions gacaca dans le cadre de son mémoire de fin d’études. Avec Stella, fille d’une amie de sa mère qui observe le monde depuis les branches d’un jacaranda, ils retraceront l’histoire douloureuse du Rwanda et de leurs familles.
Ce récit tout en tendresse et en pudeur, nous parle avec émotion de la quête de Milan pour découvrir ses origines, l’histoire des siens et du pays qu’il adoptera. Il nous parle du silence pesant qui se donne en héritage, des blessures que l’on tente de soigner, de la fierté qui dicte les actes de ceux qui refusent de se laisser gagner par la douleur, de l’avenir qui se veut meilleur que le passé. C’est tout un pays qui tente d’entrer en résilience.
Et au service de ce récit, Gaël Faye nous offre une écriture puissante et poétique pour raconter l’indicible. Trente ans après le génocide, alors que 70% de la population est née après le drame, il nous montre qu’il est temps de tourner la page et d’aller de l’avant.
Ses personnages à la personnalité forte sont extrêmement attachants ; chacun est la pièce du puzzle que Milan devra assembler pour reconstruire l’histoire et comprendre ce pays auquel il est lié malgré lui et pour toujours.
J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman historique soutenu par la plume délicate de l’auteur qui fait claquer les mots ou les murmure avec délicatesse. A découvrir au plus vite.
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Par argali le 2 Septembre 2024 à 15:00
J’ai un faible pour les romans d’Amélie Nothomb qui nous parlent du Japon. Elle a su éveiller ma curiosité et me donner envie de visiter ce pays, surtout loin des mégapoles.
Ce dernier roman est un peu différent. Il ne nous parle pas de son expérience de vie là-bas mais d’un voyage touristique réalisé l’an dernier avec une amie ; un peu contrainte de l’y accompagner alors qu’elle s’était jurée de ne pas y retourner.
Nous lisons une sorte de journal de voyage où Amélie confie ses pensées, ses discussions avec Pep, néophyte en la matière et très différente d’elle dans ses goûts et ses attentes. Ne supportant pas l’émotivité, elle interdit à l’auteure d’éprouver de la nostalgie. Son dernier voyage, Amélie l’avait fait avec une équipe de télévision et avait déjà dû maîtriser ses émotions face à une caméra intrusive. Le Japon, c’est son enfance, le début de sa vie d’adulte, son premier amour, son père et un voyage réalisé avec lui seul… Comment ne pas ressentir d’émoi voire de la souffrance ?
Elle sera aussi quelques fois agacée par sa compagne de voyage, trop entière et peu délicate envers leurs hôtes, totalement ignorante des usages du pays. Cela la mettra plusieurs fois dans l’embarras. Ce portrait contrasté des deux femmes est intéressant. D’un côté la délicatesse, la nostalgie, des sensations intimes, de l’autre l’enthousiasme ou l’indifférence selon les situations et l’exigence d’une touriste asthmatique et intransigeante.
J’ai aimé l’évocation du rapport intime entre Amélie Nothomb et le Japon. De jolies pages poétiques nous décrivent des paysages, des couleurs, des parfums, des goûts presque tous associés à des souvenirs heureux. Mais comme souvent, j’aurais aimé que ce soit plus long.
Ce n’est pas son meilleur roman mais il m’a beaucoup plu. A découvrir si vous aimez Amélie et ses récits nippons.
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Par argali le 8 Août 2024 à 15:00
J’ai retrouvé dans cette bande dessinée la même émotion que celle ressentie lors de ma visite du village martyr d’Oradour-sur-Glane, il y a trente ans. L’idée de mettre ce récit en images vient de Robert Hébras le dernier survivant de ce massacre. Bien que des récits historiques et des romans existent, il tenait à ce que l’histoire soit racontée de manière à intéresser les plus jeunes. Il a validé la majorité des planches, corrigeant certains détails, certains faits… avant de décéder en 2023. Cet album lui rend hommage ainsi qu’aux victimes et à leur famille.
Le 10 juin 1944, la division SS Das Reich qui remonte vers le nord, détruit ce paisible village, y assassinant sauvagement 643 civils innocents. Seule une poignée de survivants parvient à se sauver.
Miniac et Marivain, les auteurs, ont choisi un récit choral pour nous relater les jours qui entourent ce massacre. Chaque personnage vaque à ses occupations quotidiennes en France occupée : travail aux champs, commerçants dans leur boutique, enfants à l’école rêvant des vacances proches…
Bruno Marivain au dessin et Jean-François Miniac au scénario nous offrent un récit qui se concentre sur le jour du massacre et la motivation des bourreaux, ainsi que ses quatre rescapés. Mais il mélange flash-back, temps présents et souvenirs ainsi que les lieux aux environs d’Oradour, replaçant le massacre dans le contexte régional (les 99 pendus de Tulle, les otages de Saint Junien…) et les actes de résistance.
Les dessins sépia monochrome rendent l’atmosphère du passé, les cadrages soignés et la recherche des détails montrent la précision de la documentation en amont. La cruauté des SS est mise en avant ainsi que leur idéologie suprématiste ; les massacres sont traités avec précision mais sans pathos ou voyeurisme.
Le dossier documentaire et pédagogique à la fin de l’ouvrage explique le contexte des événements et le massacre en lui-même.
Sortie l’année des commémorations du 80e anniversaire du massacre d’Oradour, cette BD se veut devoir de mémoire afin de sensibiliser encore à la récurrente menace du révisionnisme et du retour d’idées nauséabondes.
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Par argali le 15 Juillet 2024 à 00:00
Dans un pays sans nom, les lectures publiques sont la garantie de l’ordre social. Les élus ont ainsi transformé un certains type de livres en outils de parfaite manipulation.
1075 est, lui, analphabète. Pour exister, la Société ne lui propose qu’une issue : intégrer l’élite des Gardes au service du système.
Mon avis :
Moins vous êtes instruits, plus vous avez de chance d’obtenir un poste à responsabilités. Ces postes dans l’élite des Gardes sont le seul moyen de sortir de la misère et beaucoup de jeunes tentent le coup. Mais les épreuves se passent dans des conditions extrêmes, physiquement et moralement. La condition sine qua non pour les passer : être analphabète et le rester. La lecture est proscrite, réservée à une minorité : ceux qui écrivent des récits et ceux qui les lisent en lecture publique. Après s’être offert un ticket d’entrée à prix d’or, le peuple fait la fille durant des heures pour entrer au stade et écouter un Liseur qui surjoue les histoires préécrites. La vraie littérature a disparu au profit de daubes rédigées sur commandes du Gouvernement. Une heure de spectacle encadré par des Gardes durant laquelle toutes les émotions sont autorisées. Puis c’est le retour au quotidien aseptisé, neutre et sans joie.
1075, parfaitement analphabète devient le meilleurs des Agents. Jusqu’à ce que sa vie bascule…
Cette fable grinçante nous présente une société déshumanisée où la conscience est muselée par le divertissement. Mais réfute à chacun le droit d’avoir sa propre imagination.
Cette dystopie de Cécile Coulon est un hommage à la pensée, l’esprit critique et l’imaginaire que nous offre la littérature. Elle enseigne la force morale, l’endurance et l’exigence et devrait intéresser les adolescents inquiets et parfois perdus dans notre société ; C’est en effet une brèche dans un monde qui enchainent ses consommateurs passifs et obéissants.
Parue en 2013 et rééditée en poche en 2023, elle n’a jamais été aussi criante d’actualité. A donner à lire au D3 et des extraits au D2 quand on aborde la dystopie. Ce roman présente nombre de caractéristiques du genre. Il montrera aux jeunes qu’ils ont le pouvoir de réfléchir et de choisir leur vie.
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Par argali le 9 Juillet 2024 à 00:00
Une plume au vent, une mousse de lait sur un café fort servi au bord de l’océan, un chat rêvant à des entrechats d’étoile, des doigts qui parlent, un vol d’oiseaux ou d’avion, des plis de lumière, des aigrettes de pissenlit, et tant d’autres choses… Légères. Ou pas.
Mais toujours des mots libres qui disent la vie reconquise.
Mon avis :
Ce recueil de textes édité par Foire du Livre de Bruxelles Editions rassemble des textes d’auteurs belges et étrangers, professionnels ou pas. Le thème imposé était la légèreté et la liberté. Publié en 2022, après un enfermement forcé, il prenait tout son sens. Il nous parle d’optimisme, d’envol, d’ouverture.
Nous y retrouvons la plume d’Isabelle Barry, Véronique Bergen, Valérie Cohen, Isabelle Wéry, Laurent Demoulin, François Filleul, François Coune et d’autres.
Cultiver la légèreté et la joie, au cœur des épreuves nous donne une belle leçon de vie et d’espoir. En le lisant, nous ne pouvons que nous rappeler combien la poésie et la littérature nous ont été précieuses en ces jours de privation de liberté. Les écrivains nous ont aidés à supporter l’insupportable, ils étaient vitaux, essentiels.
Poèmes, calligrammes, textes brefs, nouvelles composent ce recueil plein d’optimisme que je vous conseille pour colorer les ombres quand tant de poussières habillent nos vies.
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Par argali le 7 Juillet 2024 à 16:30
Qui imaginerait aujourd’hui que le musée Unterlinden est le fruit d’un travail acharné d’hommes et de femmes qui, depuis 1853, ont œuvré à son déploiement ? Géré par la société Schongauer depuis sa création, ce couvent du 13e siècle est devenu un musée du 21e siècle.
Pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui l’ont développé, la Société Schongauer a invité Carole Martinez lors de la première résidence artistique initiée par le musée.
Au fil de onze nouvelles, Carole Martinez accompagne le lecteur à la rencontre de voix passionnées et envoûtantes. Elle esquisse finement le portrait de ces vies en mêlant histoires, intimités et arts.
Nous découvrons ainsi, entre autres, Louis Hugot, archiviste-bibliothécaire et fondateur du musée au 19e siècle, Auguste Bartholdi, le célèbre sculpteur, Florine Langweil, marchande d’art et donatrice ou encore Hansi et Madeleine Jehl, archéologue. Chacun s’exprime à la 1re personne racontant qui une anecdote, qui son passé ou son métier.
La plume de Carole Martinez est fluide et poétique, comme à son habitude. Elle met tout son talent à donner vie à ceux qui ont participé au succès d’Unterlinden, de la rénovation du couvent au magnifique musée actuel. A travers eux, c’est aussi l’histoire de l’Alsace que l’on découvre avec ses changements d’état et de nationalité ou ses combats.
Un court livret riche en histoire et poésie, au charme puissant qu’on aurait aimé plus long.
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Par argali le 10 Mai 2024 à 00:00
Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceausescu, puis la camaraderie du chantier quand il est affecté́ à la construction d’une voie ferrée qui ne mène nulle part. Là, loin du tumulte de l’Histoire, il expérimente l’harmonie sexuelle auprès d’Ilona, l’amour lumineux de sa vie, et partage l’amitié́ indéfectible du contremaitre, du docteur et du pope, tous trois aussi alcooliques et excentriques que lui. Avec eux, il approche le secret du temps et du bonheur.
Mon avis :
Iochka, un vieil homme solitaire et taiseux, survit en vendant du charbon de bois dans un village des Carpates, en Roumanie. Il travaille, s’enivre d’eau-de-vie et pense à son passé et au monde.
A ses côtés, on traverse l’histoire de la Roumanie de 1942 - où il a été enrôlé comme enfant de troupe et a participé à la guerre sur le Don - jusqu’à nos jours. Il raconte ceux qui ont traversé sa vie, ses meilleurs amis et Ilona, l’amour de sa vie. On rencontre une série de personnages très attachants, sincères dont la vie simple, faite de petits riens, parle à tous. Au cours de leurs discussions, querelles, réconciliations, chacun se dévoile et on découvre leurs histoires, mêlées à celle du pays. Outre la Seconde Guerre mondiale, ils abordent le communisme, la chute des Ceausescu et ses conséquences, la modernisation du pays, la naissance de nouvelles castes le temps qui passe. Assis sur son banc, Iochka se souvient. Il cherche le secret du temps et du bonheur.
Cristian Fulas est Roumain et Iochka est son premier roman traduit en français par La Peuplade, maison d’édition québécoise.
J’ai mis un peu de temps à entrer dans l’histoire faite d’un jeu de sauts en avant et de flash-backs mais l’écriture fluide et d’un réel raffinement littéraire du récit m’a entrainée dans son sillage. L’histoire de cet homme tranquille et endurant nous offre des pages magnifiques. La solitude, la nature, l’amitié, l’amour sont au cœur de ce récit. L’auteur à la prose portée par un souffle lyrique indéniable porte un regard acéré sur l’humanité.
C’est un roman très poétique, onirique et rude parfois et profondément lucide. Une ode aux gens simples oubliés par la course du monde.
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