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Par argali le 9 Juillet 2024 à 00:00
Une plume au vent, une mousse de lait sur un café fort servi au bord de l’océan, un chat rêvant à des entrechats d’étoile, des doigts qui parlent, un vol d’oiseaux ou d’avion, des plis de lumière, des aigrettes de pissenlit, et tant d’autres choses… Légères. Ou pas.
Mais toujours des mots libres qui disent la vie reconquise.
Mon avis :
Ce recueil de textes édité par Foire du Livre de Bruxelles Editions rassemble des textes d’auteurs belges et étrangers, professionnels ou pas. Le thème imposé était la légèreté et la liberté. Publié en 2022, après un enfermement forcé, il prenait tout son sens. Il nous parle d’optimisme, d’envol, d’ouverture.
Nous y retrouvons la plume d’Isabelle Barry, Véronique Bergen, Valérie Cohen, Isabelle Wéry, Laurent Demoulin, François Filleul, François Coune et d’autres.
Cultiver la légèreté et la joie, au cœur des épreuves nous donne une belle leçon de vie et d’espoir. En le lisant, nous ne pouvons que nous rappeler combien la poésie et la littérature nous ont été précieuses en ces jours de privation de liberté. Les écrivains nous ont aidés à supporter l’insupportable, ils étaient vitaux, essentiels.
Poèmes, calligrammes, textes brefs, nouvelles composent ce recueil plein d’optimisme que je vous conseille pour colorer les ombres quand tant de poussières habillent nos vies.
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Par argali le 7 Juillet 2024 à 16:30
Qui imaginerait aujourd’hui que le musée Unterlinden est le fruit d’un travail acharné d’hommes et de femmes qui, depuis 1853, ont œuvré à son déploiement ? Géré par la société Schongauer depuis sa création, ce couvent du 13e siècle est devenu un musée du 21e siècle.
Pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui l’ont développé, la Société Schongauer a invité Carole Martinez lors de la première résidence artistique initiée par le musée.
Au fil de onze nouvelles, Carole Martinez accompagne le lecteur à la rencontre de voix passionnées et envoûtantes. Elle esquisse finement le portrait de ces vies en mêlant histoires, intimités et arts.
Nous découvrons ainsi, entre autres, Louis Hugot, archiviste-bibliothécaire et fondateur du musée au 19e siècle, Auguste Bartholdi, le célèbre sculpteur, Florine Langweil, marchande d’art et donatrice ou encore Hansi et Madeleine Jehl, archéologue. Chacun s’exprime à la 1re personne racontant qui une anecdote, qui son passé ou son métier.
La plume de Carole Martinez est fluide et poétique, comme à son habitude. Elle met tout son talent à donner vie à ceux qui ont participé au succès d’Unterlinden, de la rénovation du couvent au magnifique musée actuel. A travers eux, c’est aussi l’histoire de l’Alsace que l’on découvre avec ses changements d’état et de nationalité ou ses combats.
Un court livret riche en histoire et poésie, au charme puissant qu’on aurait aimé plus long.
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Par argali le 10 Mai 2024 à 00:00
Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceausescu, puis la camaraderie du chantier quand il est affecté́ à la construction d’une voie ferrée qui ne mène nulle part. Là, loin du tumulte de l’Histoire, il expérimente l’harmonie sexuelle auprès d’Ilona, l’amour lumineux de sa vie, et partage l’amitié́ indéfectible du contremaitre, du docteur et du pope, tous trois aussi alcooliques et excentriques que lui. Avec eux, il approche le secret du temps et du bonheur.
Mon avis :
Iochka, un vieil homme solitaire et taiseux, survit en vendant du charbon de bois dans un village des Carpates, en Roumanie. Il travaille, s’enivre d’eau-de-vie et pense à son passé et au monde.
A ses côtés, on traverse l’histoire de la Roumanie de 1942 - où il a été enrôlé comme enfant de troupe et a participé à la guerre sur le Don - jusqu’à nos jours. Il raconte ceux qui ont traversé sa vie, ses meilleurs amis et Ilona, l’amour de sa vie. On rencontre une série de personnages très attachants, sincères dont la vie simple, faite de petits riens, parle à tous. Au cours de leurs discussions, querelles, réconciliations, chacun se dévoile et on découvre leurs histoires, mêlées à celle du pays. Outre la Seconde Guerre mondiale, ils abordent le communisme, la chute des Ceausescu et ses conséquences, la modernisation du pays, la naissance de nouvelles castes le temps qui passe. Assis sur son banc, Iochka se souvient. Il cherche le secret du temps et du bonheur.
Cristian Fulas est Roumain et Iochka est son premier roman traduit en français par La Peuplade, maison d’édition québécoise.
J’ai mis un peu de temps à entrer dans l’histoire faite d’un jeu de sauts en avant et de flash-backs mais l’écriture fluide et d’un réel raffinement littéraire du récit m’a entrainée dans son sillage. L’histoire de cet homme tranquille et endurant nous offre des pages magnifiques. La solitude, la nature, l’amitié, l’amour sont au cœur de ce récit. L’auteur à la prose portée par un souffle lyrique indéniable porte un regard acéré sur l’humanité.
C’est un roman très poétique, onirique et rude parfois et profondément lucide. Une ode aux gens simples oubliés par la course du monde.
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Par argali le 18 Avril 2024 à 00:00
Le coup est parti. Alexandre a vu mourir son père, abattu par erreur. Alors il a couru, fonçant à travers les branches, affolé, vers la première maison, chez celui qu'on appelle Tison. La chasse à l'aube, les sandwichs de pain blanc, les bûches qu'il faut corder droit, en un instant tout s'est évanoui dans la paix de la forêt. Alexandre quitte Paris-du-Bois, marche dans la solitude, il a perdu les gens qu'il aime. Des voix ? des chœurs, des airs volatiles ? se joignent à la sienne durant ses lectures. Engoncé dans le silence de ce père sans passé, il se tourne vers l'unique refuge possible : les livres. Le père, lui, il n'aimait pas les livres.
Mon avis :
Après le drame, Alexandre fuit et frappe à la première porte venue. Entre lui et Tison, défiguré par un incendie et qui vit en reclus, une complicité forte se noue grâce à la littérature. Il le connait à peine mais découvre chez lui un havre de paix et fait des livres son refuge. Son père, homme taiseux, lui interdisait les livres, jugés inutiles. Peu à peu, cet ado orphelin va changer, grâce au pouvoir de l’imaginaire que la lecture va développer, et se prendre en main.
Au fil des pages, la vie du père d’Alexandre se dévoile peu à peu et on comprend mieux la relation filiale qui les unissait.
J’ai mis longtemps à lire ce roman qui est dans ma bibliothèque depuis deux ans. Pourquoi ? Je l’ignore mais je suis heureuse de l’avoir enfin ouvert.
Si la narration est déstabilisante au départ, j’ai vraiment apprécié l’atmosphère de ce récit et l’écriture fine et précise de Jean-François Caron. Terriblement bien écrit, dans une langue savoureuse qui chante à mes oreilles, ce roman nous décrit des paysages à couper le souffle comme seul le Québec en possède. Au cœur de ces forêts splendides, la vie des hommes n’est pourtant pas simple. Euphémisme certain, tant l’isolement et la pauvreté rendent la vie rude et austère. Cela rend les émotions d’autant plus exacerbées.
Ce roman initiatique est un hymne à l’amour filial, à ce qu’il y a de beau dans l’humain et au pouvoir de la littérature. Le tout au cœur d’une nature sauvage et âpre.
« L’héritage le plus fort du père : son silence. C’est lui qui m’accompagne chaque jour de ma vie, sur lui que je marche, en lui que je lis. C’est une marque profonde : entre guillemets, des points de suspension. »
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Par argali le 2 Mars 2024 à 00:00
Elle s'appelait Suzanne Meloche et était née en 1926 à Ottawa. Un jour, elle décida, d'une manière radicale, de suivre sa propre voie, abandonnant ses enfants. Afin de remonter le cours l'existence de cette grand-mère qu'elle n'a pas connue, Anaïs Barbeau-Lavalette a engagé une détective privée et écrit à partir des indices dégagés.
Elle nous confie, à travers le portrait d'une femme explosive, restée en marge de l'histoire, une réflexion d'une intensité rare sur la liberté, la filiation et la création. Un texte en forme d'adresse, directe et sans fard, à celle qui blessa sa mère à jamais.Mon avis :
Dois-je encore présenter Anaïs Barbeau-Lavalette ? Ma première lecture de cette auteure fut « Je voudrais qu’on m’efface », un récit glaçant dont je suis sortie bouleversée. Depuis, je la lis de temps à autre. J’ai un peu traîné à lire celui-ci qui est dans ma PAL depuis quelques années. Peut-être parce qu’il raconte l’histoire de sa grand-mère, plus sûrement parce qu’il a été encensé par les critiques et que je voulais les oublier pour me faire ma propre idée.
Au nom de la liberté, une femme peut-elle abandonner ses enfants et suivre sa voie ? C’est la question qui sous-tend le récit de la vie de Suzanne, artiste, peintre, poétesse et insoumise.
Anaïs Barbeau-Lavalette questionne sa grand-mère, Suzanne Meloche, dans une longue lettre qu’elle lui adresse, elle qui a abandonné sa mère, blessée pour toujours. L’histoire familiale se mêle à celle du Québec, au courant contestataire de l’époque dans le milieu artistique « Refus Global ». Cette femme à la recherche d’elle-même et de sa voie semble toujours insatisfaite. Sans doute est-elle née trop tôt, dans une société stricte faite de carcans et d’interdits, de mise à l’index et de d’exclusion.
Cette histoire triste et émouvante est celle de l’auteure, de sa mère et de sa grand-mère. C’est aussi le fruit d’une enquête minutieuse pour découvrir la femme derrière l’artiste et combler les vides de l’absence. Une vie d’exception mais tellement d’égoïsme et d’indifférence que j’ai eu du mal à entrer en empathie avec elle. Mais peut-on vraiment se mettre à la place d’autrui un siècle plus tard ?
Un roman puissant, un portrait de femme peint par une femme, lecture idéale en ce mois de mars.
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Par argali le 25 Janvier 2024 à 00:00
Fille unique d’un père fou et d’une mère absente, Clotilde a trouvé dans sa chambre envahie de livres un abri à ses tourments. Livrée à elle-même depuis l’enfance par son père, blanc, issu d’une riche famille belge, Clotilde cherche, à travers la littérature, à combler le vide laissé par sa mère congolaise.
Mais en ce début d’été, un coup de foudre la surprend et son équilibre vacille. Les Fragments d’un discours amoureux accompagnent sa dérive dans les rues de sa ville natale, Bruxelles.
Mon avis :
Clotilde est une jeune femme en souffrance : une enfance difficile entre une mère absente et un père malade mais aimant, une vie faite d’errance au sens propre et au sens figuré… Elle mène une vie sur le fil où rien n’est vraiment stable.
Et partout présente, Bruxelles, sa ville, son roc, son phare. La seule chose qui la tienne debout. Clotilde la parcourt de long en large et décrit le trajet qu’elle suit. Elle dépeint les lieux et s’attache à retrouver dans son passé les souvenirs qui y sont attachés.
Le premier roman de Bénédicte Lokoto est percutant et désenchanté. L’écriture de l’auteure est ciselée et directe. Son récit n’évacue aucune souffrance de son héroïne, de ses questionnements ou de ses insécurités. Abandonnée par sa mère retournée au Congo, elle est confrontée quotidiennement au passé colonial de la Belgique et l’envie de trouver ses racines. La littérature l’aide à trouver son équilibre.
Clotilde est une femme d’aujourd’hui, parfois excessive, passant de l’énergie folle à la déprime profonde. Une jeune femme en recherche d’elle-même.
Un premier roman prometteur.
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Par argali le 5 Janvier 2024 à 12:00
L’histoire commence dans le camp de Choucha en Tunisie. Nour y arrive un jour, seule. Observatrice, perpétuellement aux aguets, silencieuse, elle se méfie de tous. Dans le camp, cohabitent des migrants, venus de pays divers, des passeurs qui promettent monts et merveilles pour de l’argent ; des hommes qui font régner la terreur par la violence, la brutalité, les viols ; des soldats du HCR, mal payés, corrompus parfois ; un médecin de MSF, revenu de tout…
Nour est originaire du Bénin. Elle rencontre assez tôt Loubna, une Syrienne, qui la tire d’un mauvais pas et l’aide à s’adapter. Loubna est rebelle, volontaire et dangereuse car elle prend des risques inconsidérés. Nour et Loubna c'est l'union du feu et de la glace.
Tous ces êtres humains ne pensent qu’à fuir la guerre, la misère, la famine. Ils se retrouvent entasser dans des camps, sans confort, sans hygiène, sans nourriture parfois. Lampedusa est leur El Dorado. S’ils savaient…
C’est un récit dur et édifiant que celui de Malik Sam. Un premier roman qui parle vrai, ne s’encombre pas de fioritures et nous raconte la vie de ces personnes telle qu’elle est. On comprendra le parcours de Nour de chapitre en chapitre, par petites touches révélant les informations sur son passé avec parcimonie. Elle veut fuir le rejet, la honte, l’humiliation. Elle veut pouvoir marcher la tête haute, ne plus subir et être qui elle est. On découvrira la réalité des camps, des affres du voyage vers la liberté… ou la mort et l’indifférence du monde pour ce qui se joue là-bas au loin. La vie de ces migrants n’est que violence, haine et épreuves et n'intéresse personne.
J’ai aimé le style de l’auteur, ses phrases courtes, dures, tranchantes lorsqu’il raconte la rudesse des rapports humains et les scènes de violence. Ses métaphores, ses rondeurs quand il décrit un ciel étoilé ou la mer qui ondoie au soleil. Un style au service d’une histoire forte qui se lit en apnée et dont on est heureux de sortir vivant.
Une lecture indispensable.
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