• Où bat le cœur du monde, Philippe HAYATÀ Tunis dans les années trente, Darius Zaken est frappé de mutisme après la disparition brutale de son père. Élevé par sa mère Stella qui le destine aux plus hautes études et sacrifie tout à cette ambition, il lutte pour se montrer à la hauteur. Mais le swing d’une clarinette vient contredire la volonté maternelle. Darius se découvre un don irrésistible pour cet instrument qui lui redonne voix. Une autre vie s’offre à lui, plus vive et plus intense.
    De la Tunisie française aux plus grandes scènes du monde, en passant par l’Europe de la Libération et l’Amérique ségrégationniste, cette fresque est un magnifique roman d’initiation et d’émancipation, mené au rythme étourdissant du jazz.
     

     

    Mon avis :

     

    Enfant, Darius a vu mourir son père sous ses yeux, assassiné par des musulmans au cours d’un pogrom. Blessé et traumatisé, il a perdu sa jambe et l’usage de la parole. Il grandit à Tunis auprès d’un mère étouffante d’amour et d’ambition. Un petit boulot dans le théâtre municipal le mettra au contact avec le Concerto D’Aranjuez de Joaquin Rodrigo. C’est la naissance d’une passion chez l’enfant.

    En 1943, des troupes américaines s’installent à Tunis après la défaite de l’Allemagne nazie. Darius va découvrir le jazz et devenir ami avec les musiciens de l’armée. Il les suivra en Italie puis à New-York.

     

    Pendant 400 pages, Philippe Hayat nous relate la vie de Darius Zaken de 1935 à 1954, sa découverte de la musique, de la clarinette puis du jazz qui, après des années de douleur et de misère, le rendra célèbre. Il nous entraine dans l’Amérique profonde du sud où ségrégation et racisme rendent la vie très dure aux uns et aux autres. Darius rencontrera des difficultés pour s’y faire accepter. Il finira par nouer des liens avec Charlie Parker, Miles Davis ou Sarah Vaughan.

    J’ai mis quelques années à lire ce roman que j’ai découvert à sa sortie, dans ma librairie, lors d’une rencontre avec l’auteur. Ce fut une très belle découverte de l’été. Malgré les données musicales pointues qui décrivent la musique de Darius, j’ai beaucoup aimé ce récit très documenté et qui nous plonge dans l’univers musical des plus grands joueurs de jazz. Le libre se lit d’une traite sur fond de bande-son présente sur Spotify. Les situations géopolitiques de la Tunisie ou du sud des Etats-Unis sont brillamment décrites, rendant palpables les tensions entre communautés. Je me suis également assez vite attachée aux différents personnages et à la sensibilité de chacun, que ce soit Darius, Stella ou Dinah.

     

    Un récit d’initiation dur mais une belle histoire d’espoir et de résilience et un roman brillant à l’esprit humaniste.

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  • Une minute de silence, Siedfried LENZDans une petite ville de la Baltique bercée par le rythme incessant des vagues, Christian assiste à la minute de silence observée dans son lycée en mémoire de Stella Petersen, professeur d’anglais morte en mer. Stella fut le grand amour de Christian, un amour volé aux conventions qui régissent les relations entre professeurs et élèves.

     

    Mon avis :

     

    HirtsHafen, une petite ville de pêcheurs est en émoi. Une enseignante d’anglais, Stella Petersen, a péri en mer lors d’une tempête. Profs et élèves se recueillent. Parmi eux, un jeune homme plus affligé que les autres se souvient…

    Durant une minute de silence, Christian se remémore Stella, en classe, sur la plage, sur le bateau de son père, pêcheur de pierre, sur l’île aux Oiseaux… et revit les sentiments qu’il éprouvait pour elle. Avec elle, il a découvert ses premiers émois, vécu des balades romantiques au coucher du soleil, effleuré sa peau salée par les bains de mer… Il a vécu un amour d’été, interdit. Il a connu l’intensité de l’amour, le bonheur, la tristesse aussi et des sentiments doux-amers. Une vraie passion secrète, gravée à jamais dans son cœur et ses sens.

     

    Ce court roman intimiste à la construction particulière et au style soigné est un petit bijou de délicatesse et de subtilité. L’écriture est légère et poétique, les sentiments évoqués intenses et tragiques. L’auteur dépeint merveilleusement les couleurs, les parfums, le mouvement des vagues ou le vol des oiseaux ainsi que la complexité des liens qui unissent un adolescent naïf éperdu d’amour et une femme-enfant énigmatique.

     

    Ce roman initiatique, cette histoire d’amour impossible ou l’amour et le souvenir se mêlent, parlera à tous ceux qui aiment ou ont aimé.

     

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  • Hong Kong, Révolutions de notre temps, Lun ZHANG, Adrien GOMBEAUD, ANGOEn juin 2016, les habitants de Hong Kong s’engagent dans une ultime bataille pour leur identité et leur liberté. Pendant ces jours et ces nuits de matraques et de gaz lacrymogène, un professeur se remémore le destin de la dernière colonie de la Couronne britannique, magnifique et insoumise, à l’orée du Delta des Perles.

     

    Mon avis :

     

    Au début du XIXe siècle, pour Pekin et la dernière dynastie Qing, Hong Kong n’est qu’un rocher négligeable très au sud. Pour Londres, cette ile représente un point d’ancrage précieux, une escale essentielle sur la route vers les richesses du Pacifique. En 1842, le traité de Nankin cède Hong Kong ad vitam à la Couronne britannique. L’île se développe alors et prospère. Mais en 1898, un autre contrat englobant Hong Kong sera signé pour 99 ans. La notion de « rétrocession » apparait alors.

    L’auteur nous raconte les dernières années de ce contrat. Lun Zhang est entré à Hong Kong en 1989, après les événements de Tiananmen et les menaces du régime à son encontre. Son roman graphique raconte les dernières années de liberté et de démocratie de l’île.

    Il nous raconte les étapes du retour vers la Chine après l’accord signé par Thatcher en 1984. Celui-ci prévoyait un régime spécial pour une durée de 50 ans afin que la transition se fasse en douceur. Hong Kong maintenait ainsi un régime politique et économique différent de la Chine. Mais peu à peu, le régime de Pékin rabote les libertés séculaires. Il impose ses hommes et femmes à la tête de diverses institutions, truque les élections… C’est sans compter sur les jeunes hongkongais qui veulent à tout prix rester libres et vont se mobiliser. Souvent au péril de leur vie.

     

    Cet ouvrage met en lumière les manœuvres chinoises pour asservir l’île et les troublions étudiants de Hong Kong. La première sera de vider Hong Kong d’une partie de ses travailleurs : Deng Xiaoping va convertir Pékin à l’économie de marché et créer en 1980, une manufacture à Shenzen qui sera suivie par 14 autres, lançant le « made in China ». Les ateliers de Hong Kong ferment alors les uns après les autres. Il y aura ensuite la chute de la monnaie thaïlandaise qui entrainera toute la région dans une chute vertigineuse où seule Pékin maintiendra sa croissance. Et aussi l’épidémie du SRAS qui infectera 8000 personnes et tuera près de 300 Hongkongais et ravagera l’économie.

     

    Cet album est passionnant d’un bout à l’autre et nous remet en mémoire des événements dont on a jadis pris connaissance puis que l’on a oubliés, un événement en chassant un autre. Il explique avec clarté les faits et les enjeux pour les uns et les autres. On sait que le combat est perdu d’avance.

    Le découpage des pages est original, passant de cases asymétriques à une pleine page. Les dessins, souvent sombres sont toujours précis et exceptionnels. On retrouve par moment des dessins inspirés des mangas, d’autres issus des techniques publicitaires, d’autres encore d’une facture plus classique.

    Un récit passionnant et à la portée de tous.

    Merci à Masse critique et aux éditions Delcourt pour cet envoi.

     

     

     

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  • La bibliothèque des livres brûlés, Brianna LABUSKESTrois femmes. Trois villes. Trois destins qui s’entrecroisent.

    A Berlin en 1933, Althéa invitée comme écrivaine américaine aux origines allemandes voient Hitler s’approcher peu à peu de la chancellerie. Naïve, elle ne comprend pas vraiment les enjeux politiques et préfère jouir du cinéma, des soirées mondaines où elle est invitée par le Parti et de la douceur de vivre berlinoise. Jusqu’au jour où elle assiste à la destruction de milliers de livres « non allemands » dans un autodafé qui la glace.

    A Paris en 1936, Hannah qui a fui l’Allemagne et craint que les idées anti-juives ne la rattrape rejoint une bibliothèque allemande des livres brûlés où elle résiste en cachant des livres sauvés de la destruction.

    A New-York en 1944, Vivian qui a vu son mari mourir à la guerre, travaille dans une association qui envoie des livres aux soldats basés en Europe. Elle se bat contre la censure et la propagande du gouvernement qui contrôle les envois et interdit de nombreux titres jugés subversifs.

    Comme l’écrit Heinrich Heine en 1817, « Là où on brûle des livres, on brûlera bientôt des hommes ». Et on sait ce qui a succédé à ces premières destructions et pillage de bibliothèques.

     

    Basé sur des faits réels, ce roman aborde diverses thématiques liées à la guerre, à l’Histoire mais aussi à la société et au quotidien dans ces trois villes. Tolérance, liberté, exclusion, amour sont au cœur du roman. Les livres sont bien sûrs omniprésents. L’auteure en cite beaucoup, les remet en contexte et nous montre la force que la littérature peut avoir sur les êtres, surtout en ces temps perturbés et incertains.

    Les chapitres alternent époques et points de vue et tissent lentement les liens qui finiront par faire se croiser les héroïnes.

     

    Si je n’ai pas appris grand-chose sur l’époque et les faits évoqués car j’ai déjà beaucoup lu sur le sujet, j’ai apprécié les personnalités des trois héroïnes qui, chacune a sa façon, luttent contre les préjugés, les dangers et résistent à l’oppression. J’ai aussi gouté cette ode à la littérature qui est aussi une ode à la liberté.

    Une lecture agréable mais que j’aurais souhaitée plus fouillée, plus dense.

     

    Merci à Babelio et aux édition Harper Collins pour cet envoi.

     

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  • Docteur Strange, Charline LAMBERTDocteur Strange est le dernier venu dans la collection des Impressions Nouvelles.

    Célèbre neurochirurgien, le Docteur Stephen Strange est aussi cynique et égoïste, cherchant avant tout à s’enrichir. Victime d’un terrible accident de la route qui lui laisse des lésions irréversibles aux mains, il va dépenser toute sa fortune pour tenter de retrouver sa dextérité mais sans succès. Il va alors se laisser convaincre par une secte mystique et suivre son enseignement au travers d’un voyage dans le Multivers. Il apprend que les sorciers, dont il fait désormais partie, sauvegardent le monde des menaces spirituelles quand les Avengers le protègent des dangers physiques.

     

    Dans cet essai, Charline Lambert analyse de manière rigoureuse le personnage et son évolution. Après la perte de son statut social, il va devoir reconstruire son identité car son amour-propre en a pris un coup.

    Le chirurgien rationnel et arrogant va être confronté au paranormal ainsi qu’à des problématiques liées à la conscience, à la croyance et à la philosophie extrême-orientale. Le personnage va donc évoluer au fil de l’histoire, bousculé dans ses certitudes et ses convictions pour découvrir de nouveaux niveaux de perception. Il s’éloigne ainsi des clichés du super-héros traditionnel. Cet être, au préalable, orgueilleux et cynique, va voir sa transformation spirituelle lui permettre de collaborer avec d’autres héros (Thor…) pour combattre le mal.

    Charline Lambert met également le héros en perspective avec son époque de création et l’évolution de la société en abordant des questions comme l’usage de drogues, l’apprentissage de l’empathie et de la solidarité, l’ouverture à la spiritualité, aux philosophies orientales…

     

    Cet essai est d’une grande rigueur et d’une intelligence analytique qui montre l’érudition de l’auteure. Je ne suis pas sûre que la majorité des fans des héros Marvel liront cet ouvrage qui passe au crible le personnage du Docteur Strange mais il a le mérite de présenter ce héros sous des angles très intéressants.

    Merci aux Impressions Nouvelles pour cet envoi.

     

     

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  • Hypericon, Manuele FIORLa vie de Teresa a toujours été une ligne droite large et confortable. Une autoroute qui l’a conduite à atteindre ponctuellement tous les objectifs qu’elle s’était fixés. Et ce n’est pas un hasard si elle a été choisie comme assistante scientifique pour l’installation de la grande exposition du trésor de Toutankhamon à Berlin. La ligne droite en revanche, est totalement absente de la géométrie très personnelle de Ruben, jeune et velléitaire artiste italien. Pour lui, Berlin à la fin des années 90 est un immense terrain de jeu.

     

    Mon avis :

     

    Nous sommes à la fin du XXe siècle. Etudiante, Teresa quitte son Italie natale pour réaliser un séjour Eramus à Berlin. Son travail consistera à participer à la mise en place d’une exposition sur la découverte du tombeau de Toutankhamon. Passionnée par les langues mortes, l’Egypte et l’archéologie, elle y voit une opportunité incroyable. Mais le hasard la mettra sur la route du mystérieux et fantasque Ruben et son séjour prendra un tour inattendu.

    Souffrant d’insomnie chronique, Teresa dévore le journal d’Howard Carter pour trouver le sommeil. Elle se verra conseiller le millepertuis par son désinvolte ami, cette plante qui chasse les démons selon les croyances de l’Egypte ancienne. Hypericon en latin.

     

    Cet album qui alterne extraits du journal de bord de Carter et quotidien de Teresa et Ruben est une réussite. Manuele Fior sait rendre ses personnages attachants et conjuguer avec subtilité l’Histoire (1922) et le présent (1998). L’intrigue est parfaitement construite et tisse un fil conducteur autour des vertus des fleurs de millepertuis.

    L’écriture d’une grande finesse est d’une réelle sensibilité et les traits délicats sont un plus non négligeable. Les passages historiques sont illustrés par des aquarelles magnifiques, tout en douceur. Les couleurs choisies, les attitudes, les situations et l’atmosphère qui s’en dégage… tout est réuni pour un réel plaisir de lecture.

     

     

     

     

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  • Musée, Christophe CHABOUTEQui regarde qui ? Entre les statues de marbre et les tableaux de maîtres, les visiteurs du musée d’Orsay posent tantôt des yeux admiratifs, tantôt un regard perplexe sur les chefs d’œuvre qui bordent les allées. Mais lorsque les portes du musée d’Orsay ferment et que la nuit tombe, les sculptures et peintures quittent la pose.

     

    Mon avis :

     

    Le film « La nuit au musée » nous montrait les statues du musée d’Histoire naturelle s’animer la nuit pour faire la fête, se battre, renaitre à la vie. C’est un peu le thème exploité par Christophe Chabouté. Il donne cependant une plus grande part aux visiteurs et le regardeur devient regardé.

     

    A travers les yeux des personnages de tableaux, on dévisage les visiteurs, leurs vêtements, leur attitude, leur manière de regarder une œuvre d’art. Certains portent un regard admiratif sur les toiles ou les sculptures et les observent longuement. D’autres restent dubitatifs face à certains chefs d’œuvre, semblent choqués, interpellés, en discutent avec d’autres… D’autres enfin ne décollent pas de leur téléphone, ces rectangles qui intriguent beaucoup les œuvres. On rencontre les pseudo experts qui se gaussent de mots savants pour décrire ce qu’ils voient et d’autres plus poétiques qui parlent d’émotions ressenties, de sensations. On croise des enfants curieux qui posent des tas de questions pertinentes à des parents n’ayant pas toutes les réponses. Des amateurs qui reviennent régulièrement pour une ou deux œuvres en particulier et passent des heures à les admirer.

    Et lorsque les portes se referment et que la nuit descend sur Paris, chacun quitte sa pose et se détend. On croise des œuvres d’Ingres, de Renoir, Cézanne, Degas, Modigliani, Daumier ou encore Rodin et Claudel. Certains personnages admirent les rues des bords de Seine à travers la grande horloge, d’autres se rencontrent pour flirter, se dégourdir les jambes ou se raconter leur journée et les choses curieuses qu’ils ont vues ou entendues. Héraclès, lui, s’évertue à comprendre ce que sont les toilettes et à quoi elles servent. Quand l’aube pointe, tout rentre dans l’ordre.

     

    C’est très finement observé de la part de Christophe Chabouté qui nous renvoie malicieusement à notre façon de voir, d’admirer, de regarder. Qu’est-ce que l’art pour chacun d’entre nous, comment l’appréhendons-nous ? Une sorte d’étude sociologique drôle et pertinente à la fois qui nous rappelle que l’art est indispensable à la vie.

    Ce magnifique album en noir et blanc, en aplats très contrastés présente avec humour une succession de situations prises sur le vif. On s’amuse à regarder vivre les uns et les autres, à se reconnaitre dans certains visiteurs, à rêver de surprendre les œuvres libérées de leur immobilité et de les interroger sur tout ce qu’elles savent de nous.

    Une réussite.

     

     

     

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