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Par argali le 18 Mars 2013 à 21:07
Grands Détectives 10/18 : 30 ans et tout son cran !
Pour son anniversaire, “Grands Détectives”, LA collection emblématique du roman policier historique a invité les lecteurs à partager souvenirs et anecdotes avec certains de ses auteurs les plus populaires. Le débat animé par Michel Dufranne mettait en présence Claude Izner (Liliane et Laurence Korb), Odile Bouhier et David Khara.
Pourquoi des romans policiers dans des contextes historiques ? Prenez-vous des libertés avec l’Histoire ?
CI : Quand nous avons commencé à écrire, nous n’avons pas pensé à une série historique. On n’a pas pris non plus de liberté avec l’Histoire. On a choisi une période qui nous plaisait, riche en événements et on y a incrusté les faits dans la trame de notre récit. Notre série avec Victor Legris s’arrête en 1900. Nous l’avions prévu dès le départ. On ne veut pas tirer sur la corde et on a l’impression d’avoir fait le tour de nos personnages. Nous préparons un autre récit qui se déroulera dans les années 20 avec d’autres héros.
OB : J’aime m’imprégner de tous les personnages, de l’Histoire elle-même, pour être sûre du décor. Ensuite, c’est la fiction qui m’intéresse. La trame narrative est de la fiction. Je m’amuse.
La documentation est une grande partie de mon travail en amont. Pour mon roman « Le sang des bistanclaques », j’ai rencontré longuement la fille d’Edmond Locard (fondateur du tout premier laboratoire de police scientifique à Lyon, NDLR)
DK : Avec la Seconde Guerre mondiale, quand on y met le doigt, on n’a jamais fini d’apprendre. Je voulais montrer que le passé a encore une influence sur le monde d’aujourd’hui. Quand j’ai parlé des déportés, j’ai visionné des centaines de reportages historiques, insoutenables… Simone Lagrange, déportée survivante d’Auschwitz, torturée par Barbie, a inspiré mon personnage masculin. Elle a dénoncé Barbie et témoigné à son procès. J’ai aussi travaillé sur les témoignages de Stéphane Hessel.
Ce qui est du thriller pour nous est la réalité de certains, leur vie… en écrivant, je leur rends hommage. L’histoire de Rudolf Hess, par exemple, est incroyable mais vraie. La vérité historique est importante quand on est dans l’hommage.
Quelles sont vos sources ?
CI : La presse, les photos (très important les photos !) Tout doit être juste. Le décor est réel, on est la conséquence du 19e siècle, il doit être correct. Cette époque, c’est le début de tout : industrialisation, immigration antisémitisme, grands travaux à Paris… On ne peut être vague ou incohérente.
On a choisi le domaine populaire, qu’on connait bien et qui est très intéressant à décrire. La forme ludique est préférable au documentaire si on veut faire passer l’Histoire. Si dans un roman, l’auteur explique, fait une pause, le récit n’est pas réussi. Cela doit être fluide.
OB : Je me sers de dossiers de police, de la presse, d’imprégnation de la ville de Lyon. Je suis allée aux archives aussi, lire « Le Progrès », vérifier la météo qu’il faisait, les faits divers… J’ai intégré tout ça dans l’histoire, j’ai pris des photos aussi…
J’ai visité le laboratoire de police scientifique, me suis fait expliquer le fonctionnement… J’ai fait des études de scénario et cela m’aide beaucoup. Je visionne plein de films aussi.
Etes-vous attentifs à être précis au niveau du langage, du champ lexical ?
DK : Je pratique beaucoup d’imprégnation pour en donner une toute petite partie dans mes récits.
Pour ce qui est du vocabulaire, je dirais oui et non. Je fais attention à ce que les termes soient vrais, de l’époque. Dans mon livre, une scène entre Hitler et Himmler est inventée mais j’ai vérifié que tout aurait pu être vrai, plausible, réaliste. J’aime maîtriser le contexte avant d’écrire.
OB : Le titre est l’onomatopée des métiers à tisser de la Croix Rousse. Je ne l’ai pas inventé. Le récit est une conséquence de la Première Guerre mondiale. J’avais envie d’en parler, d’expliquer la terreur et comment cela a permis à la science de se développer. Les atroces blessures de la guerre ont poussé la science, la médecine à innover notamment en chirurgie réparatrice. Bien sûr, le vocabulaire technique est d’époque car le matériel actuel n’existait pas encore. Je ne peux pas l’inventer. Par contre, mon inspecteur est assez moderne.
CI : Pendant douze ans, nous avons écrit des romans jeunesse et nous devions brider notre vocabulaire car il était trop difficile pour les jeunes. Nous avons eu besoin de changer, de respirer et nous en sommes venues aux polars historiques.
On aime rire quand on écrit, on choisit des noms farfelus par exemple, des gros mots… Mais on a douté au début.
Avec Legris, la truculence est restée. Certaines expressions d’époque nous amusent alors on les intègre à l’histoire comme « en bas relief » ou « pêcher une friture dans le Styx »… elles datent vraiment du Paris du 19e. On aime ça. On ne choisit pas les mots qui ne sont pas de cette époque, comme par exemple « concocter » ou « alpaguer » qui n’apparaîtront qu’en 30-35.
Ce qui compte c’est le rire, il est salvateur.
Le héros récurrent est-il indispensable ?
CI : Il a été prévu en ce qui nous concerne. Ce fut une facilité et un plaisir.
OB : C’est une difficulté pour l’écrivain. Je suis nourrie aux séries télé où le héros est récurrent. J’aime les créer, les creuser, montrer leurs zones d’ombre… Il faut pouvoir aussi le tenir sur la longueur et ce n’est pas toujours facile.
DK : C’est le pied pour moi ! Dans la première version, il mourrait. Puis en tant que lecteur, je n’ai pas pu m’y résigner. J’ai eu envie d’une série. J’ai été emporté par mes recherches et découvert une dimension qui allait au-delà du sujet de mon premier roman et la suite s’est imposée. Il fallait qu’il poursuive. L’industrie pharmaceutique dont je parle, l’industrie alimentaire… découlent de la Seconde Guerre mondiale.
Retrouver un héros, c’est retrouver un ami. Pourquoi s’en priver ?
CI : La difficulté vient du fait que pour les lecteurs qui commenceraient la série au milieu, il faut rappeler quelques détails sans pour autant lasser les autres qui ont suivi depuis le début.
La ville est aussi très importante dans vos romans.
OB : J’ai eu envie de m’approprier Lyon, c’est une ville photogénique et sous utilisée en télé et en littérature. Comme le premier laboratoire scientifique a été créé à Lyon, cela s’imposait.
La Croix Rousse raconte des choses sur les habitants, les métiers, c’est important. On ne peut en parler sans évoquer les traboules, les cours, ce serait impensable. La ville devient un élément de l’histoire. C’est drôle aussi.
CI : Paris, c’est moins original. Mais je suis bouquiniste au pied de Notre Dame et j’ai été spécialisée un temps dans les cartes postales anciennes. Cela s’est donc imposé. Paris a marqué notre famille, notre vie. On n’aurait pas pu situer l’intrigue ailleurs.
Liliane a connu le Paris de la Seconde Guerre mondiale, très proche du Paris du 19e avec ses marchandes des quatre saisons, ses cinémas, ses chanteurs de rue, ses petits métiers… Nous avons vécu avec eux, en tant que famille d’immigrés russes, déportés pendant la guerre.
Nos héros vivent en quelque sorte dans un monde parallèle et existent vraiment pour nous.
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Par argali le 17 Mars 2013 à 19:46
Frédéric Ernotte est un jeune auteur belge d’une trentaine d’années. Assistant social et journaliste de formation, il est un véritable touche-à-tout. Découvert d’abord via son blog et sa page Facebook, j’ai eu la chance de le rencontrer lors de la Foire du Livre de Bruxelles. Abordable et chaleureux, il a engagé la conversation en toute simplicité avant de me dédicacer son ouvrage, « C’est dans la boîte ». Je vous invite d’ailleurs à lire mon avis ici.
Je n’ai pas résisté à l’envie de lui poser quelques questions sur son goût du polar et de l’écriture. C’est avec plaisir que je vous partage ses réponses.
Quels auteurs vous ont donné le goût de lire des romans policiers ?
J’ai l’intime conviction qu’il existe un nombre incalculable de portes qui mènent au plaisir de lire. Il faut simplement trouver la sienne. Alors que le programme scolaire s’obstinait parfois à lancer des pavés « indigestes » dans la mare du gamin que j’étais, j’ai poussé une porte derrière laquelle se trouvaient des auteurs comme Georges Simenon, Sir Arthur Conan Doyle, Raymond Chandler et Agatha Christie. Avec « Dix petits nègres » entre les mains (pour n’en citer qu’un), j’ai compris que lire pouvait être amusant. J’ai réalisé qu’un livre pouvait tenir en haleine et empêcher quelqu’un de dormir. Que l’envie de tourner les pages pouvait remporter des batailles épiques contre des paupières un peu trop lourdes. C’était magique !
Quel fut l'élément déclencheur de votre passage à l'acte d'écriture ?
Je me suis lancé dans cette incroyable aventure au détour d’un couloir à l’Université. Enthousiasmé par une de mes nouvelles, un professeur m’a mis au défi d’écrire un roman. Je pensais qu’il plaisantait. Il ne plaisantait pas. J’ai hésité une bonne dizaine de secondes et puis j’ai accepté de relever ce défi complètement dingue. Il pensait que je plaisantais. Je ne plaisantais pas…
En tant que lecteur, qu'attendez-vous d'un polar/thriller ?
Qu’il me surprenne et qu’il m’amuse. Je suis persuadé que le polar est un genre littéraire extrêmement ludique. En tant que lecteur, j’aime me poser des questions. Je cherche, je me méfie, je me trompe, je retourne ma veste, je tente de tirer mon épingle du jeu. Dans un polar, j’ai besoin de rythme, de personnages crédibles, d’un scénario cohérent et d’un dénouement mémorable. Vaste programme…
Si vous deviez recommander un auteur, un roman à lire absolument à des adolescents de 16-18 pour qu'il découvre ce genre, que leur suggéreriez-vous ?
Un seul ? Question cruelle mais je vais jouer le jeu en suggérant un coup de cœur au titre intriguant. « Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage » écrit par L.C. Tyler. L'écriture est brillante et l'humour anglais fait mouche sur ma petite personne. Le livre offre d’excellents personnages qui manient le cynisme avec brio. La fin est un peu trop prévisible à mon goût mais je pardonne presque tout quand je prends un tel pied en lisant un bouquin.
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Par argali le 15 Mars 2013 à 04:00
La fascination du mal
Auteurs présents : Roberto Constantini « Tu es le mal », Ignacio Del Valle « Silence dans la neige », Clara Sanchez « Ce que cache ton nom », Victor Del Arbol « La tristesse du Samouraï ».
Excepté dans le roman de Roberto Constantini, le IIIe Reich est présent, ne serait-ce qu’en filigrane, dans l’œuvre de chacun de vous. Pourquoi avoir choisi de placer votre roman dans cette période ?
IDV : Ma trilogie débute en effet en 1939. Au fil du temps, le parcours du héros que j’avais en tête se complexifiait. Où le situer ? Je me suis penché sur la Seconde Guerre mondiale et je suis resté fasciné par le nazisme, le fascisme, le catholicisme militant de cette époque. C’est ainsi que je suis tombé sur l’histoire d’Allemands ayant combattu sur le Front russe et dont on parle peu. L’outil dramatique était aussi intéressant que l’époque. La toile de fond est déjà là, il suffit d’écrire ensuite sur la condition humaine.
VDA : 40-43, origine du mal. Le thème de la Division Azul m’a intéressé autant que les liens de l’Espagne avec le nazisme. (La Division Azul était un corps de volontaires espagnols mis à disposition de la Wehrmacht par Franco, NDLR) Les combattants étaient phalangistes, arrivistes, curieux, soucieux de monter en grade… Chacun avait une raison particulière de rejoindre ses rangs. C’est intéressant de voir comment la barbarie arrive à faire de nous des survivants. Les chapitres les plus importants du livre parlent de survivance. Le Front russe était sensé faire d’un homme un héros, il en fera un monstre.
CS : Dans mon récit, les monstres sont devenus de bons grands-parents qui sauvent une vie. Ce n’est pas historique mais cela fait écho à ce qui se passe chez nous en Espagne. En fait, il s’agit de nazis liés à l’Espagne actuelle. Beaucoup se sont installés chez nous après la guerre protégés par Franco. Certains sont morts mais d’autres vivent toujours et même s’ils sont fort âgés et vivent normalement, cela me pose question. Cela m’effraie de savoir qu’ils vivent parmi nous avec le masque de personnes aimables et respectables.
Mon histoire se passe dans les années 80 et se fonde sur une histoire personnelle qui commence comme celle de Sandra. Alors que j’étais en vacances à Alicante, j’ai appris que mon voisin était un nazi ayant pignon sur rue dans le milieu de la construction. Cela m’a fortement impressionnée. Cela a fait écho à une autre histoire que j’avais lue dans les journaux sur deux réfugiés norvégiens, anciens bourreaux des camps. Et le récit est né là, d’une situation ambigüe et épineuse.
IDV : En ce qui concerne les nazis, je me suis souviens d’un documentaire des années 60 (Le chagrin et la pitié, NDLR) où l’on suivait d’anciens nazis ayant échappé au jugement et vivant normalement comme vous et moi. J’ai été frappé de leur propos : un nazi ne s’excuse jamais de ses actes passés. Il passe à autre chose. Ce nazi déclarait : « Nous avons perdu la guerre mais nous vivons encore avec vous ». Le nazisme est une religion.
RC : Victor Del Arbol a écrit que « la limite entre un assassin et un justicier est le motif pour lequel il tue. » C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon livre. Mon histoire est celle d’un sérial killer impuni pendant 24 ans. Mais le mal dont je parle est aussi celui du commissaire. Et s’y ajoute le mal de l’Italie, de l’Europe actuelle. Le point de vue de mon commissaire est minoritaire pour l’instant mais pourrait bien devenir majoritaire. Dans ce roman, on a le reflet du passé et les idées de l’avenir. On me dit même qu’on y trouve les raisons de la démission du Pape. *sourire* Rien n’arrive par hasard.
Le thriller nous parle du mal qui nous attend. Mon serial killer aurait pu rester impuni. Mais je fais une différence entre impunité physique et morale. La première est résolue dans le livre mais la deuxième, elle, continue.
Pour vous aussi il y a deux impunités ?
VDA : En ce qui concerne la violence de la guerre, le thème de l’impunité est fascinant car notre vraie personnalité émerge alors et le seul frein à la barbarie est notre morale personnelle. L’épisode où Fernando et la Division Azul en débandade tombent sur une famille et veulent de la nourriture nous met en question. La femme sera échangée contre de la nourriture. Terrifiant échange immoral perpétré en temps de guerre.
Tous, nous ressentons cette fascination pour le mal, au moins une fois dans notre vie. A cette époque, on peut voir que certains choisiront la dignité, le chemin du bien. C’est un choix personnel.
IDV : Dans mon récit, Berlin est en cendres mais la bête n’est pas morte. L’enseignement que je tire de ces trois romans est qu’Arturo est l’antidote contre le mal. Il a tout vu, il s’est confronté au mal. Et personnellement j’ai évolué aussi en même temps que lui. Je me suis endurci pour survivre, vaincre mon « ennemi » dans la vie quotidienne. Il y a l’idée de survie dans l’œuvre mais aussi le retour obligatoire à l’innocence pour ne pas finir fou après toute cette violence.
CS : Dans l’histoire, un des deux personnages est atteint de la maladie d’Alzheimer. On sait donc qu’il n’y aura pas de punition possible.
Tous ces gens qui vivent dans le mal et ne paient pas pour ce qu’ils ont fait reflète la situation actuelle de l’Espagne qui me choque. Le mal aujourd’hui, il est dans ces affaires de tricherie, de corruption, ces mensonges qui ont amené la crise et qui resteront impunis.
RC : Le mal est parmi nous en permanence. Dans mon livre, l’assassin et le policier ne sont pas très différents. L’un traque l’autre mais ils se ressemblent. Le mal moderne est en quelque sorte une philosophie. Dans le récit, un cardinal est au courant de l’identité de l’assassin mais ne peut rien dire car il s’agit d’un secret de confession. On peut se demander si le pardon que prône l’Eglise quel que soit l’acte ne justifie pas aussi le mal.
IDV : Aujourd’hui, le mal est aussi dans le désenchantement en politique, dans la société, dans la crise éthique que nous traversons et dans le repli sur soi qui les accompagne. De là peut sortir une nouvelle forme d’autoritarisme.
CS : Pour moi, le mal aujourd’hui est la non prise de conscience de ce qui nous vampirise, nous suce le sang, nous ment. Nous laissons faire, nous acceptons sans ouvrir les yeux sur la réalité qui nous entoure.
VDA : Le mal est l’absence du bien et le fait qu’il ait parfois l’apparence du bien. Actuellement, on nous prive de libertés, on nous ôte des privilèges au nom du bien commun. Pour moi, c’est ça le mal.
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Par argali le 14 Mars 2013 à 00:00
Nazisme, franc-maçonnerie, occultisme… les marronniers de l’imaginaire ?
Michel Dufranne : Longtemps éditeur, médiéviste et essayiste reconnu, spécialiste des Templiers, Arnaud de la Croix nous présente son dernier livre « Hitler et la franc-maçonnerie ». Nous aborderons le rapport entre fiction et Histoire, fiction et nazisme, franc-maçonnerie.
La fiction est-elle fidèle à la réalité ?
Arnaud de la Croix : Alexandre Dumas fut un best seller du 19e siècle, passionné d’Histoire et curieusement, il se raccroche au sujet de mon livre. Il a travaillé sur Cagliostro qui serait un franc-maçon à l’origine de la Révolution française. Or ce n’est pas le cas. Il a bien été mouillé dans l’affaire des bijoux de la Reine, mais Dumas va en faire un destructeur de la monarchie, ce qui est un faux historique.
Plus tard, un écrivain allemand s’en inspirera pour rédiger « Les Protocoles des Sages de Sion », un faux qui se présente comme un plan de conquête du monde établi par les Juifs et les francs-maçons, dont Hitler s’inspirera à son tour. (Il y fait référence dans Mein Kampf, comme argument justifiant à ses yeux la théorie du « complot juif ».NDLR) Dans ce plan de domination du monde, les francs-maçons tirent parti de la situation. Ce texte, en fait, était destiné au Tsar Nicolas II en vue de favoriser des politiques antisémites. Celui-ci y croira dur comme fer et persécutera les Juifs.
Le Times y croit un temps en 1920 avant de se rendre compte que c’est un faux et de le dire.
En 1864, en effet, un pamphlet destiné à remettre en cause le pouvoir de Napoléon avait été imprimé en Belgique par un Français, Joly. Or, des pans entiers sont copiés des Protocoles, la supercherie devient évidente. Goebbels, lui, pense que les Protocoles sont faux mais que le fond est exact, preuve de la complexité de leurs pensées.
Beaucoup d’idéologues de l’époque vont prendre ce texte au sérieux et l’exploiter pour faire croire en un complot judéo-maçonnique. Les nazis vont donc chercher des preuves de cette manipulation dans les archives des Loges qu’ils ont confisquées. En littérature, « les Protocoles des Sages de Sion » constituent l’ossature du roman d’Umberto Ecco « Le cimetière de Prague ». Tous les ouvrages sont des romans. Il est donc nécessaire de rétablir la vérité historique.
Autres grands fantasmes qui nourrissent le nazisme, il y a la fascination pour l’occultisme et l’ésotérisme. Hans Frank, Alfred Rosenberg, Dietrich Eckart, Hess… tous ces gens-là font partie de la Société Thulé (société secrète allemande de Munich dont les mythes racistes et occultistes inspirèrent le mysticisme nazi et l’idéologie nazie. NDLR).
Le DAP qu’Hitler infiltre le 19 septembre 1919 va le fasciner. Envoyé en espion, il va y entrer et le transformer. Il découvrira que ce DAP est une émanation d’une Loge para maçonnique, la Société Thulé, destinée à séduire les classes populaires pour promouvoir la suprématie de la race allemande.
Hitler n’en fait pas partie mais il est environné de personnes qui en sont membres. Dans sa bibliothèque, il comptait plus de 15000 ouvrages. On sait qu’il lisait beaucoup. Pillée par les soldats américains ayant investi ses repères, elle est entrain d’être reconstituée afin de se rendre compte et d’étudier les influences de ses lectures. Beaucoup de livres sont annotés de sa main et parmi eux, une majorité d’ouvrages ésotériques, ou d’occultisme. La franc-maçonnerie est bien structurée, hiérarchisée, Hitler pense qu’il faut s’en inspirer au point de vue de l’organisation.
Il ne persécutera pas les francs-maçons mais cherchera, s’ils sont aryens, à les récupérer.
La pensée symbolique, l’occultisme… est une composante de l’être humain. Nous sommes partagés entre la magie, le fantastique et le rationnel. Plusieurs fois dans l’Histoire, cela est revenu à l’avant plan. Notamment en période de crise.
« La France juive », pamphlet antisémite d’Edouard Drumont est publié en 1886 et se vend à 150 000 exemplaires. C’est un torchon développant un antisémitisme racial mais toutes les idées y sont. Ces thèmes parcourent l’Europe d’alors. Henry Ford était aussi sympathisant des idées du Protocole et a très certainement sponsorisé le parti nazi.
Il y a aussi « Le matin des magiciens » de Louis Pauwels (1960), rédacteur en chef du Figaro Magazine, proche de Le Pen. Ce livre se présente comme une introduction au réalisme fantastique. Il sera à la base d’un regain d’intérêt pour l’occultisme et le phénomène « Planète ». Cet ouvrage est bourré d’erreurs mais pose le doigt sur l’intérêt des nazis pour l’occultisme. Ce livre est un objet historique, phénomène de société à lire comme tel.
MD : La franc-maçonnerie s’est-elle démarquée de l’idéologie de départ ?
AdlC : Oui. En Allemagne, dès 33, la grande majorité des Loges ont tenté une alliance avec le Régime (80%). Ils ont transformé par exemple les noms des deux colonnes du Temple pour plaire aux nazis. Mais les nazis ne se sont pas laissés prendre et l’ont interdite. Ils ne supportaient pas qu’une partie de la société allemande échappe à leur contrôle.
La franc-maçonnerie était antisémite depuis le 18e siècle. L’honneur de la franc-maçonnerie a été sauvé par des Loges qui ont aidé les Juifs. Cela a aidé a fermé les yeux sur de nombreuses exactions et permis la renaissance de la franc-maçonnerie après la guerre.
Il faut savoir aussi que la plupart des Loges « vieille Prusse » avaient des liens tenus avec la France.
MD : A la fin du livre, vous faites une comparaison entre le Krach de 29 et la crise d’aujourd’hui.
AdlC : Oui car l’onde de choc de 29 va conduire aux résultats faramineux du NSDAP aux élections. On vote NSDAP pour sortir de la crise avant tout. Aujourd’hui que le chômage est à nouveau criant, les théories du complot réapparaissent. C’est le cas avec les Illuminatis et le succès des leaders populistes. Ce n’est pas un hasard.
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Par argali le 13 Mars 2013 à 00:30
Laurent Dehossay: La noirceur du monde est-elle votre inspiration première ?
Philip Kerr : J’ai écrit beaucoup de romans de genres différents avant « La trilogie berlinoise ». J’ai mis du temps à savoir ce que je voulais écrire. Cela doit avoir un lien avec le fait que je suis Ecossais, un peuple assez sombre. Edimbourg est peuplé d’ombres.
Mes parents étaient très religieux. Pour vous donner un exemple, nous allions à l’église trois fois le dimanche. Une partie des livres de mon père étaient sous clé et bien sûr, ils me tentaient. Il n’y avait rien de sulfureux, quelques James Bond, Lady Chatterley… mais il m’aurait été impossible de les emporter, mon père l’aurait vu. Je devais donc les lire en cachette quand mes parents étaient absents et les remettre en place. Je me suis donc forcé à les retenir et cela a ensuite forgé mon écriture.
Toute écriture commence par un voyage, celui de la découverte de soi. La lecture était pour moi une évasion. Il n’y avait pas grand-chose à faire à Edimbourg. Je suis toujours triste de voir qu’aujourd’hui les jeunes perdent cette voie qui rend ensuite créatif et permet de se découvrir. La petite voix de l’imaginaire, de l’inspiration n’est plus entendue par eux.
LD : Comment vous est venue cette fascination de l’Histoire ?
PK : Dès mon plus jeune âge, j’étais fasciné par de nombreuses choses de ma ville. Edimbourg est une ville historique. J’aimais apprendre, découvrir sur ces richesses qui m’entouraient.
Tout bon roman commence par une question et c’est l’histoire en elle-même qui apportera la réponse. La question qui me taraudait était « Comment un des pays les plus civilisés d’Europe est-il devenu un des plus barbares ? » Cette question m’a fasciné et questionné.
Je vois les images des détectives autour de nous et cela me met un peu mal à l’aise car je ne me sens pas auteur de roman policier. Je ne me satisfais pas d’un crime à élucider, j’ai besoin d’une trame, d’un contexte qui fassent écho au point de vue historique et philosophique.
LD : Vous réinterrogez donc l’Histoire officielle ?
PK : Je pense que ceux qui écrivent le mieux l’Histoire sont les romanciers (voyez le dernier ouvrage d’Erik Larson). C’est ce format, ce genre qu’il faut aborder pour intéresser les gens. Dans « Les Misérables », Victor Hugo donne la plus belle description de la bataille de Waterloo, sans y avoir été.
J’aime travailler dans les lignes de l’Histoire. J’aime inventer à partir de la véracité historique. Les historiens n’aiment pas beaucoup les romanciers. *rire*
Mon dernier roman « Vert-de-gris » présente une similitude avec les Misérables, c’est la durée de l’histoire, 22 ans. Ca m’attriste un peu de lire un livre où tout se passe sur une semaine. Et je voulais écrire sur la durée, qu’il parle de ses rencontres, de Mielke, de la CIA, de Diels… Cela met mal à l’aise toutes ces rencontres mais cela passionne aussi car cela dit quelque chose des gens et de ce qu’ils ont vécu. Ca permet d’installer des liens.
Quand j’étais étudiant, j’ai vu « Le chagrin et la pitié »** et j’ai été fasciné par un personnage, Christian de la Mazière, qui avait rejoint la division Charlemagne et je me suis demandé pourquoi. Homme calme et respectable, il vivait alors à Paris dans les années 60. Qu’avait-il vraiment fait pendant la guerre ? C’est cette part d’ombre qui est passionnante. En ce qui concerne la division Charlemagne, saviez-vous qu’elle comptait dix mille Français ? La moitié sont morts devant Könisberg et l’autre moitié à Berlin en défendant le bunker d’Hitler. Si on prend le film « La Chute » que vous avez tous vu, il aurait été plus intéressant s’il l’avait montré !
LD : Pensez-vous qu’humaniser des monstres comme le fait ce film est choquant ?
PK : Bien sûr, cela choque. Mais pour moi, il y a avant tout des hommes ordinaires qui commettent des monstruosités. Spécialisé en droit allemand, j’ai vu combien de juges s’étaient embarqués dans la SS. Ce n’était pas des monstres, mais des hommes ayant dans une situation donnée perpétré des monstruosités.
Tous les pays ont eu leur holocauste et une certaine culpabilité à gérer (Les Conquistadors, les colons du Congo, l’Empire britannique qui a réalisé un massacre d’Indiens en 1857…) Le XXIe siècle nous offrira une nouvelle trame de fond, une nouvelle possibilité.
Les hommes sont capables de choses horribles. Tous. Je dis les hommes parce que les femmes, par le fait qu’elle donne la vie, sont moins enclines à la reprendre. Le sexe féminin est sans doute plus intelligent. Je pense que, si plus de femmes dirigeaient le monde, cela irait sans doute mieux. Elles sont plus dans le travail, les résultats et moins dans l’égo.
Ma mère m’a rendu féministe. Quand j’étais à l’université, je ramenais mon linge le week-end. Elle m’a appris à le laver, le repasser, à cuisiner que je me prenne en mains. En écrivant, j’essaie de comprendre les femmes. Je me mets à leur place.
En Grande-Bretagne, nous avons la chance d’avoir une femme à la tête du pays. Elle ne dit rien, elle ne fait rien. Mais elle règne. Alors que les hommes politiques font et disent, s’agitent pour quand même s’écraser. Ils pensent à ce qu’ils vont laisser comme trace. La Reine règne sans s’en préoccuper.
LD : Gunther, est-ce nous ? Est-ce un anti héros ?
PK : Ce n’est pas un héros. Les héros sont embêtants. Les plus intéressants ne sont pas sans peur et sans reproche. Son statut de policier augmente ce qu’on attend car il doit souvent être sur la corde raide. Il y a la loi, les contingences de l’époque, sa morale… Les gens ne sont pas foncièrement bons ou mauvais. Il faut pouvoir le voir et le dire.
LD : Berlin est un personnage a part entière aussi dans vos livres.
PK : Dans les années 80, je me suis baladé à Berlin avec un vieux guide (un Baedeker de 1930). Et je me suis laissé envahir par des sensations. En effet, la ville fut entièrement détruite. Je voulais m’imprégner de la ville, ressentir. Puis j’ai fait de sérieuses recherches et m’y suis confronté. Je pense que la sensation éprouvée dans la recherche est plus importante que la recherche en elle-même.
Je vous donne un exemple. A Munich, il reste beaucoup plus de bâtiments de l’époque et notamment un appartement où a vécu Hitler. J’y suis allé et suis resté le trottoir pour ressentir une émotion. La porte s’est ouverte et j’en ai profité pour entrer dans l’immeuble. Le voir, le vivre. Je suis allé jusqu’au seuil de l’appartement imaginant si la porte s’ouvrait sur l’Histoire ce que je verrai, éprouverai. La sensation était indispensable.
Il ne faut pas tout mettre dans les livres, le ressenti est aussi important.
** Documentaire de Marcel Ophüls, datant de 1969 et présentant une chronique de la vie d’une ville entre 1940 et 1944. Les documents présentés ont été tournés par le gouvernement de Vichy.
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Par argali le 11 Mars 2013 à 12:00
Rencontre ce vendredi 8 mars à la Foire du Livre de Bruxelles avec Bertrand Puard, auteur de la saga « Les Effacés ».
Jeune auteur de 35 ans à l’allure juvénile, Bertrand Puard est passionné de littérature et de cinéma, avec une préférence pour le policier classique. A son actif, déjà une vingtaine d’ouvrages, essentiellement policiers mais pas seulement. Ce vendredi, il est venu nous parler d’une série pour la jeunesse dont le 5e tome sortira au printemps.
« Les Effacés » raconte l’histoire de quatre adolescents dont les parents sont morts assassinés. Réunis par un certain Nicolas Mandragor, ils seront amenés à mener des enquêtes pour cet homme mystérieux.
L’intérêt de cette série, selon l’auteur, est qu’elle s’adresse à diverses tranches d’âge. Selon lui, les enfants de 10 ans prendront plaisir à découvrir l’intrigue et à s’attacher au suspens de ce page-turner alors que les adolescents seront amenés à une réflexion plus poussée sur notre société et ses dérives. En situant cette histoire en France, il avoue avoir voulu créer un vrai réalisme géographique proche de ses lecteurs. Les endroits sont identifiables, connus et aident à entrer dans l’histoire.
Chaque tome présente un fait de société comme point de départ. Le premier se situe dans le monde des entreprises pharmaceutiques et des laboratoires médicaux ; le deuxième met en scène la bourse et ses traders ; le troisième nous plonge dans le sport business et les paris truqués ; enfin le quatrième nous parle des rapports étroits entre politique et média. Si chaque tome est inspiré librement de fait divers, « d’affaires » évoquées dans la presse, très vite l’imaginaire prend le dessus.
A l’écouter parler de sa saga, on sent qu’il y a derrière le travail d’écriture une sérieuse recherche de documentation. Il lit beaucoup la presse, des documents d’archives, des dossiers qu’on lui soumet et regarde les reportages et documentaires télé avant de se lancer dans l’écriture en elle-même. Partie la plus plaisante du métier d’écrivain pour lui.
Il aime écrire pour les adolescents car, contrairement aux adultes, ils aiment donner leur avis sur leur lecture, s’attachent aux personnages et envoient volontiers des mails à l’auteur pour partager leurs réflexions. Les échanges sont riches et permettent parfois de faire évoluer les personnages.
Séduite par cette présentation et soucieuse de me faire ma propre idée sur cette série, j’ai acheté le premier tome. Je vous en dirai plus après lecture.
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Par argali le 6 Juin 2012 à 19:30
Vous le savez, je ne suis pas fan de science-fiction. Je dois avoir lu quatre ou cinq récits en tout et pour tout. Mais parmi eux, il y a eu « Chroniques martiennes » découvert dans un manuel de lecture et que j’ai ensuite acheté pour lire l’entièreté de ces chroniques. J’ai adoré. Au point qu’aujourd’hui encore, j’en propose de larges extraits à mes étudiants.
« Chroniques martiennes », »Farenheit 451 » et bien d’autres étaient l’œuvre de Ray Bradbury. Ce dernier vient de nous quitter ce 6 juin, à l’âge de 91 ans.
Né dans l'Illinois, le 22 août 1920. Il a connu la notoriété mondiale en 1950 avec la publication du recueil de nouvelles "Chroniques Martiennes", une description des premières tentatives des Terriens de coloniser la planète Mars.
Auteur d'une trentaine de romans et de plus de 600 nouvelles en soixante ans, il restera sans doute l'auteur de science-fiction le plus lu au monde.
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