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Espaces, Olivia TAPIERO
Petite, je pleurais en voyant l’ombre qui me suivait en rampant, en m’agrippant par les chevilles, je criais et, malgré mes jambes engourdies par la peur, je courais aussi vite que je pouvais, talonnée par cette masse étrangère qui voulait m’engloutir. Ce jour-là, sur le trottoir, elle était devenue la seule preuve de mon existence, cette plaque noire et sans relief qui me traînait derrière elle. Sur le chemin du retour je ne l’ai pas quittée du regard, pour être bien certaine qu’elle ne partirait pas, qu’elle était là, que j’étais là.
Mon avis :
J’ai choisi ce roman sur les conseils du vendeur du stand québécois à la Foire du Livre de Bruxelles. Malgré douze titres sur ma liste, je n’ai pu trouver que trois ouvrages présents, choix des éditeurs oblige !! Je me suis donc laissé conseiller. Olivia Tapiero étant attendue en dédicace et le sujet me questionnant, je me suis laissé convaincre sans peine.
Olivia Tapiero a 22 ans. C’est une jolie jeune femme juvénile et souriante, réservée qui ne laisse absolument pas présager, au premier abord, la noirceur qu’elle a mis dans son histoire, ni la profondeur de son propos. J’ai commencé son roman le soir même et j’ai été happée par son récit.
Tout d’abord, l’écriture est magnifique. Légère, aboutie, poétique… belle tout simplement. On prend le temps de savourer les mots, les phrases, les idées.
L’histoire, au contraire, est loin d’être légère et douce. Noire, pesante, oppressante, elle laisse juste filtrer à quelques rares moments la poésie de la vie, comme de faibles rais de lumière à travers des volets clos.
Lola, l’héroïne, a du mal à communiquer. Ses tendances asociales et son repli sur soi seront exacerbés le jour où elle sera confrontée à la mort de sa colocataire, qui pourtant ne lui était rien. Elle deviendra l’Absente à laquelle Lola contera son quotidien. Elle glissera alors dans un espace-temps sans vie, s’abandonnant au ballotement des jours et des rencontres, et bien qu’elle laisse entrer les autres dans son monde, elle se refusera à entrer dans le leur. Communiquer lui est devenu vain et inutile. Elle prend mais ne donne rien.
Paniquée par le blanc qui la hante et la happe, Lola n’est qu’un spectre qui traverse le temps, se questionnant sur le sens de la vie et de la mort et sur le pouvoir que l’on a de maîtriser sa mémoire et l’oubli. Elle semble avoir compris trop tôt l’instabilité fondamentale de toute vie humaine et la laideur du monde.
On aimerait la plaindre, la choyer, la sauver mais son attitude distante et froide ne la rend pas sympathique et nous met à distance sans qu’on arrive à ressentir de la compassion pour elle. Je pense que l’auteur l’a voulu ainsi. Lola est tout le contraire d’une héroïne.
Etrange et beau roman que celui-ci. Etrange car anachronique, en dehors du temps présent et des tendances littéraires ; loin de l’univers qu’on imagine être celui d’une jeune femme de 22 ans. Beau par la lumière qui émane des images qui s’en dégagent et en même temps tellement tourné vers la noirceur de l’être humain.
Ce roman sensible reste longtemps au cœur. L’histoire d’une errance portée par le souffle poétique d’une jeune auteure qui risque de compter.
J’ai eu l’occasion de rediscuter avec l’auteure à la moitié de ma lecture. Comme je m’étonnais de lire une histoire si sombre sous une si jolie plume, elle m’a simplement répondu que si elle était si joyeuse dans la vie, c’était sans doute parce qu’elle écrivait justement des livres sombres. Exutoire de ses propres craintes ou volonté d’affirmer une certaine maturité et lucidité face au monde qui est le nôtre ?
Tags : espaces, errance, névrose, littérature québécoise, olivia tapiero
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Commentaires
2Amarilli SMardi 12 Mars 2013 à 15:23J'ai failli l'acheter samedi !! J'ai hésité car il me paraissait trop sombre et que l'auteur me semblait trop jeune pour aborder un tel sujet. Je le regrette maintenant !! Ne jamais se fier aux apparences !
J'ai pensé à toi l'autre jour, car je me suis finalement offert ce petit bouquin. On s'en reparle
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Il te connait bien, ton libraire.