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L'apparition du chevreuil, Elise TURCOTTE
Au XXIe siècle, entre deux révoltes féministes, une écrivaine se retire dans un chalet après avoir été victime de harcèlement sur les réseaux sociaux. Remontant le cours de la colère, une histoire familiale revient la hanter. Au cœur d’une tempête qui à la fois obscurcit et enlumine le paysage, elle appréhende la forêt ou rien n’est tranquille. Abandonné et rongé par la mérule, le chalet voisin se dresse comme une menace. Et si on l’avait suivie ?
Mon avis :
Volontairement coupée du monde, dans un chalet sans téléphone ni internet, une écrivaine décide de mettre par écrit une affaire de famille : la sienne. Par bribes quelque peu décousues au départ, elle retrace le cours de l’histoire, les événements qui l’ont poussée à écrire des articles féministes virulents sur son blogue, à prendre des risques au péril de sa vie, à suivre une thérapie, à affronter le harcèlement avant de lâcher prise et de fuir en plein hiver dans la forêt.
Si les propos semblent décousus c’est que la narratrice est au cœur d’une tempête qui dure depuis des années. Au sein de sa famille, en elle, dans la société, elle lutte, refusant l’autorité destructrice d’un homme et d’un groupuscule d’extrême droite : La Souche. Elle est en colère et cela la rend lucide. Elle fuit une menace ; virtuelle sur les réseaux sociaux, réelle dans sa famille. L’écriture sera-t-elle salvatrice ? Elle l’espère. Cette mise en abyme d’elle-même dans un récit où l’héroïne est romancière est sa manière de résister.
Paru à l’automne 2019, « L’apparition du chevreuil » a été rédigé dans la foulée du mouvement #agressionnondénoncée au Canada. Parler c’est bien, dénoncer c’est indispensable. Mais il faut aussi être prête à affronter les mises en doute qui suivent, le refus d’entendre, la minimisation des faits, parfois des lendemains encore plus violents. Et il faut les dénoncer, encore et toujours. C’est pour cela que la narratrice de ce récit prend la plume. Elle va raconter l’intime, l’interdit. Et se rendre compte que ce n’est pas si simple de dévoiler au grand jour la vie de famille.
Les personnages ne sont pas nommés. C’est Elle (la psy), la mère, la sœur, l’enfant… Par retenue et parce qu’hélas cette histoire est universelle. Le texte est au présent « J’emploie le présent et je veux mettre en scène un personnage d’écrivaine. C’est une provocation. » dit la narratrice. Le style est pluriel, les niveaux narratifs multiples. Les voix des uns et des autres se mêlent dans les souvenirs de l’écrivaine qui brise ainsi la linéarité du récit. Et la vérité se tisse peu à peu, libérant la parole.
Mais le danger guette, même au cœur de cette forêt. Quand frappera-t-il ? Où ? La proie deviendra-t-elle chasseur ?
Elise Turcotte nous offre un thriller psychologique implacable, dans l’air du temps. Un récit nécessaire car parler c’est survivre.
Tags : littérature québécoise, féminisme, harcèlement, famille, violence, marsauféminin
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Commentaires
Drôle de couverture !
Encore un à inscrire sur ma liste d'envies ! Bouh ! Impossible de suivre !
Bonne semaine.