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L'homme qui haïssait les femmes, Elise FONTENAILLE
Montréal, décembre 1989. Un matin comme les autres à Polytechnique. Soudain, en plein cours, un jeune homme fait irruption dans une salle, et tout bascule. Il sort de son sac un fusil, abat toutes les filles de la classe, et va poursuivre son carnage dans les couloirs de l'école. Il ne vise que les femmes. Au total, il en tuera quatorze, avant de retourner l'arme contre lui.
Pourquoi cette folie meurtrière, chez un garçon apparemment sans histoires ? Par haine des féministes. Elles lui ont — écrivait-il avant de se tuer — gâché la vie...
Mon avis :
Je découvre ici un roman adulte d’Elise Fontenaille, paru en 2011 chez Grasset. A partir d’un fait divers qui traumatisa le Québec, elle dresse le portrait d’un enfant écorché vif. Romancer des faits divers est sa marque de fabrique. Elle adore ausculter la société, mettre en exergue ses compromissions ses travers et ses erreurs tout en imaginant les pensées qui ont pu traverser l’esprit des protagonistes.
Le drame dont il est question ici a eu lieu à Montréal il y a trente ans cette année. Ce fut la première tuerie de masse dans une école en Amérique du Nord et elle provoqua un traumatisme profond dans tout le pays. Je n’en ai personnellement aucun souvenir. Il faut dire qu’à ce moment, en Europe, le mur de Berlin était tombé trois semaines plus tôt et cet événement a occulté tout autre pendant un moment.
Le tout a duré trente minutes. Trente minutes durant lesquelles, Gabriel a tué 14 jeunes femmes et en a blessé 13 autres. Il n’a visé que les femmes, épargnant les hommes. Cette tragédie prend racine dans des faits sociétaux. C’est en tout cas ce que la lettre trouvée sur le corps du tueur explique. Il cherche à se venger des femmes et de leurs revendications féministes d’indépendance et de reconnaissance.
Elise Fontenaille donne tour à tour la parole aux policiers arrivés sur les lieux, au tueur, à sa famille, à quelques rescapés et à leurs proches. Ces divers points de vue tentent de comprendre pourquoi et comment ce drame a eu lieu. Pourquoi et comment on n’a pas pu l’éviter.
A travers les interventions de chacun, l’auteure met en lumière la société québécoise des années 60, une société en pleine mutation après ce qu’on appelle « La Grande Noirceur », cette période qui couvre l’après-guerre jusqu’en 1959. (Alors que la société québécoise connaît des changements économiques et sociaux profonds, l’apparition d’idées neuves et une volonté d’émancipation, elle s’oppose aux élites traditionnelles groupées autour de Maurice Duplessis, premier ministre québécois, et au pouvoir du clergé.) A la mort de Duplessis s’amorce un changement radical des mentalités : rejet en masse de l’Eglise, du paternalisme et naissance des mouvements féministes. Ce qui ne se fera pas sans heurts.
Elise Fontenaille, journaliste, vivait à Vancouver à l’époque du drame. Elle est retournée au Québec 20 ans plus tard pour mener l’enquête et a pu constater qu’il était toujours bien présent dans les souvenirs de chacun. Dans un style journalistique, concis et sans émotion ou jugement, elle cherche à comprendre le tueur. Pas à l’excuser mais à le comprendre.
Malgré le style peu littéraire, j’ai trouvé ce récit bouleversant. Au-delà de la tuerie, il nous parle de lâcheté, d’amertume, de violence, de féminisme, de masculinisme, de culpabilité. Il vaut la peine d’être lu, d’autant qu’il est très court.
Tags : littérature française, massacre, Montréal, polytechnique, enquête, féminisme
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Commentaires
Broder autour de faits divers, j'aime ça aussi. Je m'y suis essayé dans mon recueil de nouvelles "Ici ou au-delà".
Bon dimanche.
Bon dimanche et bon choix !