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La vraie vie, Adeline DIEUDONNE
Le Démo est un lotissement comme les autres. Ou presque.
Chez eux, il y a quatre chambres. Celle de Gilles son frère, la sienne, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. Sa mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Les enfants passent leur samedi à jouer dans les carcasses de voiture de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle voudrait tout annuler, revenir en arrière. Retrouver son petit-frère, celui qui enchantait le monde. Cette vie lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie.
Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups, se découvre femme et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour.Mon avis :
Il y a longtemps qu’un récit ne m’a pas aimantée de cette façon. Happée dès la première phrase, j’ai lu ce roman d’une traite pour le terminer en apnée à l’aube. Fulgurant.
Non seulement Adeline Dieudonné a une plume acérée et précise, maniant avec bonheur et sans aucune lourdeur les métaphores tout comme les mots justes et précis. Mais elle raconte admirablement les histoires dosant avec minutie le suspens, les fausses pistes et l’émotion qui nous étreint quand on ne s’y attend pas. Pas de larme mais un goût amer qui s’insinue peu à peu au fil de la lecture jusqu’au dégoût. La force de ce roman est que rien n’est décrit de manière outrancière ou trash, tout est subtil et exprimé par les mots d’une fillette d’une lucidité implacable et d’une énergie peu commune.
Pour pallier les manques de sa famille dysfonctionnelle, la narratrice tente d’égayer la vie de son petit frère en faisant diversion. Elle l’emmène en cachette dans une casse de voitures où ils leur parlent pour qu’elles n’aient plus peur ou chez Monica, vieille dame excentrique qui raconte si bien les histoires. Et le soir, quand il se glisse dans son lit, elle le rassure et chasse ses peurs. Tout ce qu’elle veut, c’est entendre son rire, clair et innocent qui l’emmène alors à mille lieues de chez elle.
Toute l’histoire est tenue à bout de bras par cette gamine, magnifique personnage qui se construit sous nos yeux au fil du temps. Courageuse, lucide, intelligente, sensuelle, elle veut mordre la vie à pleine dent refusant d’être une proie. D’une force mentale indubitable, elle trace sa route avec un objectif : rendre le sourire à son petit frère après un terrible drame qui l’a enfermé en lui.
Adeline Dieudonné nous décrit également une batterie de personnages secondaires finement observés et dont elle dresse un portrait d’une grande justesse. Gravitant autour de l’héroïne, ils la mettent en lumière tout au long d’un récit féroce, ironique et percutant dont je suis sortie KO.
L'auteure ose briser les codes et si l'argument est classique, elle met en place une histoire vénéneuse que l'on n'attend pas de prime abord. C'est la force du livre, selon moi. Ce regard d'enfant mature et lucide dans la noirceur du quotidien et qui pourtant se réfugie dans le rêve, l'utopie, le merveilleux pour sortir de cette noirceur.Je vous le recommande très chaudement ; je suis sûre qu’on parlera beaucoup de ce premier roman.
3e
Tags : Rentrée, premier roman, enfance, famille, violence, espoir, fratrie, physique quantique, ode féministe
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Commentaires
4JacquelineDimanche 9 Septembre 2018 à 14:23Ce premier roman est une réussite. ...une tension qui va crescendo, une écriture précise et très suggestive, une fin comme je j'espérais et surtout une jeune héroïne particulièrement attachante .....Un petit bémol pour ma part :l'auteure a légèrement abusé des métaphores et des comparaisons .....-
Dimanche 9 Septembre 2018 à 20:52
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Très bon roman, effectivement, mais pour moi sans plus. Je ne comprends pas l'emballement médiatique... Dans les blogs, c'est plus équilibré : les avis enthousiastes cotoient les avis plus mitigés. Mais dans la presse, je n'ai pas lu une seule critique un tant soit peu négative... Cela m'interpelle...
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La langue est très belle et le sujet puissant. Je pense qu'il te plaira.