• Lire pour réussir - Un enjeu de société

     Lire pour réussir - Un enjeu de sociétéLire pour réussir - Un enjeu de sociétéLire pour réussir - Un enjeu de société

    Première conférence écoutée à la Foire du Livre, cet échange sur les enjeux de la lecture aujourd’hui m’a passablement agacée. Pas seulement par les constats négatifs qu’il a véhiculés encore et encore mais par le fait que l’on a, une fois de plus, pointé du doigt les enseignants comme facteurs de ces échecs.

    Je vais ici relater le contenu de cette rencontre puis me permettre quelques réflexions personnelles sur le sujet qui s’appuient non seulement sur une expérience de trente ans mais sur de nombreuses lectures sur le sujet.

     

    Le postulat de départ était que la maîtrise de la langue est primordiale et indispensable à tout apprentissage.

    Madame Shillings, chargée de cours à l’ULG, nous a résumé les résultats d’une enquête concernant le niveau de lecture des enfants de 4e primaire. Un panel de 4623 élèves ayant été interrogés à partir de textes comptant entre 600 et 900 mots. Si l’on constate que l’apprentissage du code est assez performant en Belgique (2 ans pour l’installer et le maîtriser chez la majorité), la compréhension de l’écrit est une catastrophe. La Belgique se classe dernière des pays européens et au niveau mondial, seuls les pays moins développés nous suivent. Nos élèves en 4e ne sont pas capables de mettre en place un processus de compréhension de niveau expert, c’est-à-dire : collaborer, intégrer, évaluer, faire des liens et comprendre l’implicite.

    Selon madame Schillings, ces piètres résultats viennent du fait que les mécanismes de compréhension qui devraient être liés au décodage ne le sont pas. Pire, les stratégies de compréhension ne sont pas enseignées. Ni aux jeunes enfants, ni aux futurs enseignants. Cela a pour conséquence que 4 enfants sur 5 en Belgique francophone ne maîtrisent pas la langue.

    Que faire ?

    Elle insiste sur la nécessité de mieux former les maîtres, de rédiger des manuels qui tiennent compte des stratégies de lecture, d’enseigner aux enfants à expliciter leur compréhension, à verbaliser leurs démarches, mobiliser des processus et d’entraîner les élèves au maximum en les soutenant dans leurs activités et en les aidant à surmonter leurs difficultés.

    Elle insiste sur un dernier fait : l’Ecole ne compense pas les inégalités sociales et la lecture en est le point de départ.

     

    Je ne me permettrai pas de contester les résultats de cette enquête, même si, comme d’habitude, on ignore tout de l’origine géographique, sociale ou scolaire des enfants. Je serai cependant plus circonspecte sur les causes invoquées qui me semblent au mieux être simplifiées, au pire être fallacieuses. En effet, je ne connais pas d’enseignant du fondamental qui ne pratiquerait les prescrits évoqués ci-avant et nombre de facteurs sont négligés. (Sciemment ?)

    Mes réflexions sur la question : 

    Enseignante dans le qualifiant, je ne nie pas le fait que mes élèves du 1e degré lisent mal. Cependant, sur les seize élèves qui composent ma 2S (élèves n’ayant pas obtenu leur CE1D) trois ont échoué à l’épreuve de français l'an dernier. Les autres ont réussi. Et les proportions sont sensiblement les mêmes chaque année. Ce qui a par contre posé problème, ce sont les épreuves de math et de langue. Certains me diront que c’est lié. Sans doute, mais pas que.

    Pour prendre les choses dans l’ordre, je rappellerai que lorsqu’un enfant s’engage dans l’apprentissage de la lecture, il devrait posséder une maîtrise signifiante de la langue orale. Or, force est de constater que ce n’est pas le cas.

    En 2005 déjà, Alain Bentolila, professeur de linguistique à l’Université de Paris V, dans une interview accordée au journal La-Croix, dénonçait le manque de vocabulaire des enfants. « Nos enfants, qu’on a cru nourrir de nos mots, utilisent un vocabulaire très restreint, réduit à environ 1 500 mots quand ils parlent entre eux – et à 600 ou 800 mots dans les cités. » Pour rappel, dans le développement du langage, on estime qu’un enfant de 3 ans comprend entre 400 et 900 mots et qu’un enfant de 6 ans devrait en maîtriser entre 2500 et 3000.

    Contrairement à ce que l’on a asséné aux instituteurs pendant trente ans, ce n’est pas le fait de déchiffrer qui est responsable d’une lecture empêchant l’accès au sens, mais c’est le déficit du vocabulaire oral qui empêche l’enfant d’y accéder.

    Divers facteurs expliquent ce déficit :

    D’abord, la non maîtrise de la langue orale courante. Nombre d’enfants arrivent à l’école avec une langue orale familiale très éloignée de celle qu’ils vont rencontrer en apprenant à lire et à écrire. Ils parlent une langue étrangère à celle sur laquelle leur apprentissage de la lecture va reposer. Premièrement, en raison de la pauvreté de leur vocabulaire, deuxièmement et surtout en raison des structures mêmes, de la syntaxe, des concordances de temps et des diverses articulations logiques de la langue. La langue familiale sur laquelle reposent les savoirs primitifs de ces enfants est souvent incompatible avec l’entrée dans le monde de la lecture et de l’écrit scolaire. L’écart entre les constructions grammaticales utilisées à l’oral par ces enfants et celles des premières phrases qu’ils vont devoir lire va exiger un effort accru de leur part, multipliant les échelons à gravir pour rejoindre le sens.

    Ensuite, on tiendra compte du peu d’occasions que certains parents prennent/ont pour parler avec leurs enfants après leur journée, réduisant les échanges au côté organisationnel du quotidien. Les échanges d’idées, les relations des événements ayant jalonné la journée, sont réduits au minimum.

    De plus, faute de temps ou d’envie, les moments de lecture plaisir à la maison qui permettent aux enfants d’entendre des mots nouveaux, peu usités, sont rares voire inexistants.

    Enfin, on peut ajouter à la liste, les émissions télévisées pour enfants qui ont perdu en qualité, étant donné qu’il coûte moins cher de diffuser un dessin animé japonais que de réaliser une émission intelligente dans un langage soutenu, comme l’était Bla-Bla par exemple.

    Alors, je suis d’accord que l’Ecole doit faire progresser tous les enfants, que l’école maternelle doit s’attacher à développer le stock lexical des enfants, à travailler sur le sens des mots en contexte et hors contexte mais elle ne peut pas à elle seule pallier les manques de la société.

     

    D’autre part, depuis deux décennies au moins, les programmes ont été alourdis en primaire, laissant moins de temps aux apprentissages de base, et énormément changés en secondaire, répondant en cela à des théories pédagogiques fumeuses visant à renoncer à transmettre un héritage classique. La culture étant alors envisagée comme un outil de domination bourgeoise. Ce fut l’époque de la déconstruction des savoirs, la mise en place de pédagogies alternatives qui, commençant à peine à montrer des effets, ont été abandonnées faute de moyens. Puis celle de changements à répétition concernant la terminologie de la langue et de la diminution des prescrits de lecture… jusqu’au nouveau programme du qualifiant dicté par le monde du travail et son fonctionnement. L’enseignement du français a donc été le premier à souffrir du déracinement culturel, transformant son apprentissage comme langue de communication et non plus comme langue littéraire. Cette manière de faire a accentué les difficultés en maîtrise de la langue et précipité une acculturation générale empêchant de nombreux jeunes d’entrer dans la littérature. Cela a entrainé une double réduction du champ lexical : en dehors de l’école pour les raisons mentionnées plus haut et à l’école suite à ces théories pédagogiques d’application dans l’enseignement.

    Si l’on veut accroitre le champ lexical de nos enfants, les aider à maîtriser l’orthographe et surtout la syntaxe, il faut revenir à une littérature de la fiction, de l’imaginaire. En cela, je rejoins Xavier Vanvaerenbergh, des éditions Ker, qui a dit samedi dernier « Lire de la littérature jeunesse est fondamental car on n’a jamais accès à LA Réalité ; on n’en a jamais que notre vision. La fiction permet d’aborder et d’appréhender la réalité hors des discours ambiants. » Et Virginie Tyou, philologue et auteure, d’acquiescer en ajoutant : « Le monde se renouvelle tellement vite qu’il faut pouvoir se créer une bulle permettant de revenir à nous, à nos émotions pour en débattre ensuite en classe. Il faut reprendre contact avec son imaginaire. Et se construire en classe, des références communes qui passent forcément par la langue et la lecture. Ce qui permet de se comprendre, de comprendre les autres, de s’intégrer et d’intégrer les autres. » Xavier Vanvaerenbergh a finalisé l’échange en précisant : « Il est temps, il est primordial de montrer que le livre est dans le monde et hors du monde, qu’il relie les hommes au monde, dans le temps et dans l’espace. »

    Je ne peux qu’être d’accord. Il faut rendre à la lecture de livres une place de choix. On ne peut espérer donner le goût de la lecture aux enfants, rêver les faire progresser dans la compréhension de la langue en ne leur donnant que des extraits, des schémas, des textes informatifs ou argumentatifs dont les qualités syntaxiques et orthographiques laissent très souvent à désirer.

    Durant des décennies, la littérature a été sacrifiée sur l’autel d’idéologies diverses et notamment celle qui ne voit dans la culture qu’une vision élitiste et non, comme je la conçois, un moyen d’émanciper les jeunes et surtout ceux qui n’ont pas accès à la culture dans la sphère familiale.

    Les politiciens et pseudo experts d’hier ont détricoté l’Ecole et aujourd’hui, ils accusent les enseignants de ne pas être à la hauteur. C’est trop facile. D’autant que les changements qui s’annoncent ont davantage une vision utilitariste de l’Ecole que celle d’une émancipation sociale.

    Errare humanum est. Perseverare diabolicum.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 1er Mars 2018 à 08:29

    Basé sur les lectures de "Tout sur l'école" d'Alain Bentolila, 2004, "Reprenons nos esprits" d'Alain Bentolila 2016, "Pourquoi développer le goût de la lecture ?" Agnès Desarthe 2007 et tant d'autres qui alimentent mes pratiques depuis trente ans.

    2
    Jeudi 1er Mars 2018 à 11:16

    J'aurais pu aussi parler des familles où lire est une perte de temps, une occupation de glandeurs (entendu en réunion de parents) ou des collègues qui ne voient que le côté utilitaire de la lecture : savoir lire un plan, une méthode, une notice... C'est en se confrontant à la difficulté des mots, des constructions grammaticales, des procédés de styles que l'on progresse, que l'on s'enrichit.
    J'aurais pu évoquer la facilité que procure aujourd'hui l'audio-visuel et les nouvelles technologies alors que la lecture est effort.
    Mais je me suis limitée à deux points qui me paraissent à l'origine de tout.

    3
    Jeudi 1er Mars 2018 à 11:30

    "Durant des décennies, la littérature a été sacrifiées sur l’autel d’idéologies diverses et notamment celle qui ne voit dans la culture qu’une vision élitiste et non, comme je la conçois, un moyen d’émanciper les jeunes et surtout ceux qui n’ont pas accès à la culture dans la sphère familiale."

    Je ne peux qu'applaudir (ou me désoler...)

      • Jeudi 1er Mars 2018 à 12:17

        Oui, c'est désolant.

    4
    Jeudi 1er Mars 2018 à 11:52
    George

    Très intéressant billet !Je suis entrièrement d'accord avec toi. Le problème qui se pose aussi c'est que les enfants ont de moins en moins d'images mentales, ils ont du mal à se représenter dans leur imaginaire ce qu'ils lisent. J'essaie souvent de leur demander, même si mes élèves sont plus grands (4e, 2de et 1ère), comment ils visualisent la scène, le personnage décrit, comment ils pourraient le dessiner. Je trouve aussi inadmissible de toujours taper sur les profs, les instit alors que bien souvent nous sommes sans cesse dans une recherche, une réflexion pour mieux faire comprendre et donner accès aux livres, à la lecture.

      • Jeudi 1er Mars 2018 à 12:22

        Merci George. Et effectivement, les images mentales manquent. Et souvent parce que des mots courants ne sont pas connus. Pas plus tard que cette semaine, j'ai du expliquer : saltimbanque, funambule et acrobate alors que le contexte du cirque était suffisamment explicite pour comprendre. La semaine dernière, c'était "l'horizon" qu'un élève ne comprenait pas.

    5
    pascald
    Jeudi 1er Mars 2018 à 17:29

    C'est tellement plus facile d'accuser les enseignants que de remettre en question la politique de l'éducation et la pédagogie des ministres qui se sont succèdés au ministère de l'enseignement.
    On oublie qu'on n'a jamais rien eu à dire dans les changements concernant le cours de français (et les autres). J'ai suivi des formations avec Dumortier sur l'apprentissage de la lecture et il disait à peu près la même chose concernant la littérature : on ne peut faire l'impasse sur les classiques ou la littérature jeunesse, cela forme un tout qu'il faut aborder pour comprendre l'évolution de la langue.

    Je me souviens aussi de la série "Pause Café" où un échange nous faisait mourir de rire "C'est qu'est-ce que j'fais." "C'est ce que je fais" "Ben c'est qu'est-ce que j'dis." Aujourd'hui, c'est bien pire, hélas, dans certaines familles.

    Bel article.

      • Jeudi 1er Mars 2018 à 17:59

        Ho oui ! Pause Café smile

    6
    Jacqueline
    Jeudi 1er Mars 2018 à 20:29
    Bravo pour ce billet ....je ne peux que partager tes "réflexions sur la question" ...
    7
    Jeudi 1er Mars 2018 à 21:21

    Comme d'habitude, on nous envoie les roses et les pots avec ! Il est tellement plus facile d'accuser autrui plutôt que de se remettre en question ! Je l'ai déjà dit :"Qu'on se pose les bonnes questions!"

    Et tu as tout à fait raison concernant le vocabulaire : déplorable ! 

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