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Un poisson sur la lune, David VANN
"Les gens seraient-ils en réalité tous au bord du suicide, toute leur vie, obligés de survivre à chaque journée en jouant aux cartes et en regardant la télé et en mangeant, tant de routines prévues pour éviter ces instants de face à face avec un soi-même qui n’existe pas ?"
Tel est l’état d’esprit de James Vann lorsqu’il retrouve sa famille en Californie – ses parents, son frère cadet, son ex-femme et ses enfants. Tous s’inquiètent pour lui et veulent l’empêcher de commettre l’irréparable. Car James voyage avec son Magnum, bien décidé à passer à l’acte. Tour à tour, chacun essaie de le ramener à la raison, révélant en partie ses propres angoisses et faiblesses. Mais c’est James qui devra seul prendre la décision, guidé par des émotions terriblement humaines face au poids du passé, à la cruauté du présent et à l’incertitude de l’avenir.Mon avis :
Jim Vann, 39 ans, criblé de dettes, est dépressif. De retour en Californie après avoir vécu seul en Alaska, il garde dans sa valise un Magnum et des munitions. Son frère Doug l’attend à l’aéroport. Pendant quelques jours, ils vont rouler à travers la Californie à la rencontre de son médecin et de ses proches. Mais il n’entend pas ce qu’ils lui disent, miné par la dépression.
Une fois encore, David Vann revisite son histoire personnelle en mêlant au récit, réalité et fiction. Dans Sukkwan Island, il nous relatait l’histoire d’un père qui emmène son fils vivre un an en Alaska, après une suite d’échecs personnels qu’il compte mettre derrière lui. Ici, un fils confesse qu’il n’a pas voulu suivre son père en Alaska comme il l’espérait. Le lien est établi.
Dans ce roman, les personnages portent leur nom : Vann. C’est le troisième roman où David Vann parle de son père et de sa famille et le premier où le nom est donné. Dix ans séparent les deux récits. Même s’il avoue la portée autobiographique de l’œuvre par cette attribution du nom de famille, le Jim du roman reste un personnage de fiction. Il y a bien l’histoire de la filiation à un chef Cherokee mais David Vann avait 13 ans à la mort de son père et en a 52 aujourd’hui. Les souvenirs sont donc devenus flous. Ce père ne vit plus que dans la mémoire de chaque membre de la famille et chacun en a gardé une vision personnelle et particulière.Ce livre est, il me semble, un moyen d’expier une culpabilité qui hante David Vann pour avoir refusé d’accompagner son père en Alaska. Se serait-il suicidé moins d’un an plus tard s’il l’avait accompagné ? On sent un long travail personnel sur lui-même pour oser affirmer 39 ans plus tard, « non, je n’en suis pas responsable. »
On retrouve dans ce roman de longues descriptions de paysages, comme un moyen thérapeutique de s’interpréter à travers ce que l’on regarde (comme un test de Rorschach). Il rejoint en ça une tradition littéraire américaine qui, par là, donne les clés des idées de l’écrivain, comme chez Cormac Mc Carthy ou Craig Johnson par exemple.
Ce roman est également une critique sévère des petites villes américaines où se côtoient des vies insignifiantes minées par la routine qui évite de réfléchir. Jim a vécu ainsi mais il n’y parvient plus.
« Un poisson sur la lune » est un roman oppressant et obsédant. Si vous êtes quelque peu mal dans votre peau et en quête d’aventures légères pour vous divertir, fuyez. Sinon, bienvenue dans l’univers sombre de David Vann dont l’écriture n’a d’égal que son talent de conteur.
Tags : littérature américaine, famille, non dit, suicide, filiation, dépression, drame
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Commentaires
Je connais l'auteur de nom, mais sans plus...
Il écrit vraiment bien. Mais c'est dur car cela le met indirectement en scène car il écrit sur son enfance et le suicide de son père afin d'exorciser tout ça.