• Belgiques, Luc BABAAmoureux des mots et des langues, surtout la langue française, Luc Baba nous offre ici un recueil de nouvelles empli de belgitude. Il s’inscrit dans la collection Belgiques (volontairement au pluriel, comme les couleurs et les nuances de notre beau pays) des éditions Ker. Deux autres recueils sont l’œuvre de Vincent Engel et d’Alain Dartevelle, décédé en décembre dernier. Trois autres devraient sortir fin de l’année.

    Comme pour les autres, ce recueil se veut une mosaïque de la Belgique, présentant des lieux, des paysages, des personnages comme on en connait tous, des traditions, des langages et surtout une ambiance inimitable qui fait qu’on sait d’emblée que l’on est en Belgique.

    La nouvelle qui a ma préférence est celle qui ouvre ce recueil. « La drache » raconte la rencontre improbable d’une dame âgée, mémoire d’un village ardennais de la Semois, et un jeune touriste hollandais d’une dizaine d’années égaré dans ce village fantôme. En treize pages à peine, Luc Baba nous dresse un récit de vie tout en tendresse et nostalgie. A travers le monologue de Louise mi en français, mi en wallon, c’est l’histoire d’une vie et d’un village qui se dessine sous nos yeux. Du tout bon Luc Baba.

    Il y a aussi une correspondance spatiale entre Tintin et le Capitaine Haddock, occasion de passer en revue leurs aventures et de lire les commentaires de Tintin, entre regrets et souvenirs bienveillants du colonialisme. Ou l’histoire de Justine, fraichement diplômée en médecine, qui revient chez elle après des années d’indépendance en kot. Ce déménagement correspond à une rupture amoureuse et Justine vit mal le choc d’un retour chez ses parents où elle redevient une petite fille. Il lui faut faire un choix de carrière, vite. Mais pour où ? Pour quoi ?

    Vous l’aurez compris, chaque nouvelle est un fragment de vie ordinaire. Ça pourrait être la mienne, la vôtre. Et chacune nous parle, éveille en nous des souvenirs ou nous fait penser à quelqu’un que l’on connait ou qui a traversé notre vie, le temps d’un instant.
    Chacun des personnages est saisi dans un moment où il vit une hésitation, une crise, un instant de creux. Luc Baba aime les marginaux, les meurtris, lui-même étant un écorché vif. Et il faut dire qu’il en parle vraiment bien, avec respect et tendresse, humour parfois.

    L’écriture est précise, ciselée, chaque mot sonne juste. On sent le poète derrière la prose. Le style, lui, varie de nouvelle en nouvelle : souvenirs, récit historique, pièce de théâtre, poème… Luc est un éclectique et nous offre dix nouvelles toutes différentes.

    Un recueil mélancolique, avec un ciel si bas qu’un canal s’est pendu. Dix tableaux impressionnistes où se retrouvent nos particularités : belgicismes, météo capricieuse, fleuve ou rivière, mer du Nord, charbonnage, guindailles estudiantines, baptême, immigré, gaufre, moules, bière, cafés populaires mais surtout une chaleur humaine bien belge.

     

     

    Belgiques, Luc BABA

     

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  • Mon voisin c'est quelqu'un, Vincent ENGELOtto n’aime pas se poser de questions. Il se content d’une vie bien rangée, entre une passion fanée pour l’aquariophilie et le rituel du thé qu’il partage avec son amie Katrin. Jusqu’à sa rencontre avec le propriétaire du manoir voisin, le puissant et charismatique Jorg von Elpen.

    Mon avis :

    Vincent Engel nous offre ici un récit tout en subtilité et sous-entendus, sur les rapports humains mais aussi et surtout sur la manipulation intellectuelle et le populisme.

    Le titre fait inévitablement penser au sketch de Raymond Devos, « Mon chien, c’est quelqu’un » et comme dans le sketch, cette phrase vient ponctuer régulièrement les pensées du narrateur, Otto. Ce dernier, aquariophile sans ambition ni passion, vit seul dans un pavillon à la campagne, en lisière de la propriété de Jorg von Elpen, le chatelain du village. Un jour, alors qu’il est dans son jardin, il fait sa connaissance par-dessus la clôture. Une phrase en entrainant une autre, il se voit inviter à prendre contact avec von Elpen qui pense depuis un moment à installer un aquarium chez lui. Cette rencontre va changer bien des choses…

    Dès le départ, on ne peut que faire des ponts entre Jorg von Elpen et Jorg Heider et Le Pen ou penser que le chien Heinrich doit son nom à Himmler. En faisant semblant de s’intéresser à son voisin Otto, homme insipide et ordinaire, il l’attire l’air de rien dans ses filets. Sans scrupule, il n’est pas à ça près. Flatté, Otto va se laisser séduire et devenir une marionnette bien obéissante. Par conviction ? Par faiblesse ? Peut-être simplement pour ne pas que sa vie ne soit trop bouleversée.

    Passant souvent pour un niais, Otto est un héros naïf, métaphore de la population qui vit sans se poser de question et ne fait preuve d’aucun esprit critique face aux informations qu’elle ingurgite chaque jour. Une population prête à se laisser influencer par une propagande bien huilée et des idées fallacieuses mais qui ont l’apparence de la vérité. Et il est à la fois étonnant et choquant de réaliser comment Otto et cette population ont une faculté d’amnésie incroyable. Malgré le passé, malgré l’Histoire, comment peut-on encore succomber au chant mortel de ces sirènes ?

    Au fil de l’histoire, l’idéologie extrémiste s’insinue sournoisement. Et même si Vincent Engel prend le parti de la caricature grotesque ou absurde et de l’humour caustique, son propos n’en est pas moins fort. Il dénonce les méthodes d’endoctrinement dont nous pouvons tous être victimes un jour et crée un malaise qui s’installe tout au long de la lecture. Mensonge, hypocrisie, manipulation, rien ne sera épargné aux crédules et l’on referme le livre avec un dégoût qui nous prend aux tripes.

     

     Mon voisin, c'est quelqu'un, Vincent ENGEL

     

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  • Pietr le Letton, Georges SIMENONLe commissaire Maigret, de la Première Brigade mobile, leva la tête, eut l'impression que le ronflement du poêle de fonte planté au milieu son bureau et relié au plafond par un gros tuyau noir faiblissait. Il repoussa le télégramme, se leva pesamment, régla la clef et jeta trois pelletées de charbon dans le foyer. Après quoi, debout, le dos au mur, il bourra une pipe, tirailla son faux col qui, quoique très bas, le gênait. Il regarda sa montre qui marquait 4 heures. Son veston pendait à un crochet, planté derrière la porte. Il évolua lentement vers son bureau, relut le télégramme et traduit à mi-voix : Commission internationale de Police criminelle à Sûreté générale, Paris : Police Cracovie signale passage et départ pour Brême de Pietr-le-Letton.

    Mon avis :

    Paru en 1931, ce roman est le premier de la série des Maigret. Publié une première fois dans un hebdomadaire de l’époque « Ric et Rac » de juillet à octobre 1930, après d’autres nouvelles, il paraitra sous la forme d’un roman policier huit mois plus tard.

    Pietr Johannson est un escroc que les polices européennes tiennent à l’œil. Lorsque la Police française est avertie de son arrivée à Paris, le commissaire Maigret se rend à la gare du Nord pour assister à son arrivée et le prendre en filature jusqu'à son hôtel. Mais il ne peut le suivre car le chef de train l’interpelle. Un homme assassiné a été découvert dans les toilettes. Il ressemble étrangement à Pietr.

    Lorsque Maigret apparait à l’hôtel Majestic, sa présence a quelque chose d’hostile. Sa charpente plébéienne ne passe pas inaperçue. Sa façon de se camper avec assurance dans ce lieu où l’élégance des habitués dénote avec ses vêtements, même s’ils sont de bonne coupe et en laine fine, en fait d’office le point de mire. Sa pipe, qu’il ne quitte pas malgré les usages, finit la description du personnage. En une page, Simenon a campé son commissaire. Il a trouvé le physique et la personnalité qui feront sa renommée. Il reste à affiner le tout. Ce sera chose faite avec ses silences, ses moments d’intense réflexion et son ton bougon, son amour de la table et d’une bonne pipe au coin du feu.

    On découvre aussi les descriptions urbaines caractéristiques du style Simenon. Lui qui a arpenté si souvent les rues de Liège dans sa jeunesse détient dans sa mémoire un univers de façades, de ruelles, de rencontres, d’odeurs, de sons qu’il couche sur le papier au besoin. L’acuité de l’observation de ses semblables fait que même ses personnages secondaires sont soignés.

    Quand on sait qu’à l’époque l’éditeur n’était pas très chaud pour publier ce roman sans héros charismatique, sans héroïne, qui n’est pas vraiment un roman policier selon les codes et finit mal, on se dit que la chance et la détermination font parfois bien les choses. Le commissaire enquêtera pas moins de 103 fois, dans 75 romans et 28 nouvelles publiés dans le monde entier.

    Devenu un classique de la littérature belge, ce roman d'atmosphère contient tous les ingrédients qu’on aime retrouver chez l’auteur : rebondissements, coup de théâtre et attente patiente de Maigret jusqu’à ce que le suspect dévoile une faille ou commette une erreur.

    Une jolie redécouverte.

     

    Pietr le Letton, Georges SIMENON 

     

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