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Cher Emile, Eric SIMARD
Non, je n’avais pas besoin de vivre ça. Pourtant, je l’ai vécu jusqu’au bout, jusqu’à me perdre, complètement. Beaucoup m’ont dit que c’est de cette manière qu’on apprend. Honnêtement, j’aurais préféré apprendre autrement. Je ne crois pas que ce soit toujours nécessaire de se casse la gueule pour avancer. »
Mon avis :
J’ai rencontré Eric Simard en février 2015 à la librairie Tulitu. Auteur et éditeur chez Hamac, il vit depuis vingt-cinq ans dans le milieu littéraire. Ne le connaissant pas, j’ai choisi de découvrir son premier ouvrage. Prise par d’autres, j’ai malheureusement oublié « Cher Emile » enfoui dans ma PAL. C’était l’occasion de l’en sortir enfin.
Eric Simard nous offre une plongée dans l’intimité d’un couple, à travers une vingtaine de lettres que E envoie à celui qui l’a quitté et l’a plongé par la même occasion dans une détresse immense. Tour à tour déclaration d’amour, apitoiement, ou reproches, ces missives racontent le lent cheminement du deuil amoureux. De la dévastation au relèvement, elles témoignent de la lente reconstruction que tout un chacun doit faire, passant par le sevrage, l’intériorisation et laissant enfin libre cours à la rage. Rares sont ceux qui ne sont pas passés par là.
Un deuil amoureux est comparable au processus de deuil lié à la mort, mais il ajoute une dimension bien plus difficile à vivre, celle du rejet subi. Et pour la victime de l’abandon, c’est l’estime de soi et la confiance qui sont brisés douloureusement. Il faut être fort pour résister à une telle épreuve et E semble perdre pied car cette rupture le force à se voir tel qu’il est.
Un roman de plus sur l’échec amoureux me direz-vous. Ce qui change ici, c’est le couple homosexuel formé par Emile et E. Ce dernier s’interroge sincèrement sur l’échec de ses relations amoureuses, lui, l’insécurisé chronique, l’amoureux à jamais inassouvi. A travers cette franche introspection, il met aussi en lumière son côté phagocyteur. Cela n’a pas dû être facile à accepter. Puis le douloureux choix entre la volonté de fusion et la peur de l’engagement. Choix cornélien que celui qu’il faut faire entre l’amour libre, respectant la liberté de l’autre (et par là même les relations extraconjugales) et l’envie de fonder un couple sur la durée mais qui risquerait d’aliéner la liberté.
Cette correspondance à vif, honnêtement livrée aux lecteurs, a provoqué chez moi un sentiment double. De l’agacement d’abord pour cet amoureux jamais content puis une réelle émotion. Faites d’emportements, de lyrisme et de contradictions, ces lettres transpirent de sentiments vrais. Les retours en arrière, les réflexions sur des événements passés et jugés avec recul, l’évolution cyclique de l’apaisement… tout a des accents de sincérité et souvent, il a fallu du courage à E pour reconnaître ses torts. Peu importe l’objet de son amour, tout un chacun se reconnait dans la description de ces tourments amoureux.
Un tout petit livre à dévorer, même dix ans après sa parution.
Tags : Cher Emile, littérature québécoise, roman épistolaire, deuil amoureux, homosexualité, Simard
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Commentaires
Je ne connaissais pas. Je ne lis pas beaucoup d'épistolaire, mais je crois que celui-ci pourrait peut-être me plaire un jour. Merci du partage
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Je crois que ce livre traîne dans ma pile québécoise... humhum...
J'ai aussi pris le temps comme tu vois.