• Jusqu'ici tout va bien, Gary D.SCHMIDT1968.
    Une petite, petite ville de l’Etat de New York. Un père sans repères, une mère sans remède.
    Deux grands frères, dont un avalé par la guerre du Vietnam.
    Pas assez d’argent à la maison. Trop de bagarres au collège.
    Des petits boulots pour se maintenir à flot. Une bibliothèque ouverte le samedi pour s’évader.
    Une idole accessible. Une collection d’oiseaux éparpillée à tous les vents.
    Des talents inexploités.
    Et une envie furieuse d’en découdre avec la vie. 

    Mon avis :

    Ce roman de Gary D. Schmidt a enchanté mes soirées d’après corrections de fin d’année. Ce roman jeunesse est une perle rare, tant par le sujet et son traitement que par le ton.

    On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille. C’est probablement ce que Doug Swieteck se dit en ce début de roman. Il n’est pas ravi de quitter sa petite ville natale après le licenciement de son père ; ni de voir la tristesse de sa mère, sachant que son mari va retrouver à Marysville un copain qui l’entrainait toujours dans des plans foireux ou des virées au bar du coin. Doug a raison d’être méfiant. Marysville est une bourgade paumée où il n’y a rien à faire, où il fait trop chaud et où la maison trouvée par le copain de son père n’est rien d’autre qu’un trou à rat exigu.

    La guerre du Vietnam fait rage. Lucas, le frère ainé de Doug s’y trouve et les nouvelles sont assez laconiques. L’Homme s’apprête à marcher sur la Lune. Doug, lui, subit la violence paternelle et la bêtise cruelle de son frère Christopher. Etiqueté de « voyou » en raison de ses proches, il se retrouve mêlé à des bagarres au collège et est dans le collimateur de plusieurs enseignants. Bien décidé à ne pas ressembler à sa famille et encouragé par le beau (et rare) sourire de sa mère, Doug va chercher du travail et rencontrer deux personnes qui vont radicalement transformer sa vie. Lil’ d’abord, la fille déterminée de l’épicierie du coin où il trouvera un travail de livreur et Mr Powell, le bibliothécaire. C’est avec lui que Doug rencontrera pour la première fois, les œuvres du naturaliste Audubon : de magnifiques peintures d’oiseaux d’Amérique. D’étincelle en étincelle, il découvrira son humanité et des talents qu’il ne soupçonnait pas.

    Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas déflorer l’histoire mais le roman ne s’arrête pas là. La vie de Doug est bien plus foisonnante. Grâce à son caractère volontaire et sa réelle gentillesse, il va faire de surprenantes rencontres et vivre des moments d’une grande intensité.

    Ce roman rédigé dans une langue fluide et bourré d’humour dessine en mots choisis l’évolution du personnage principal. Il est aussi riche de nombreux thèmes sans que cela ne donne une impression trop touffue. Gary D. Schmidt parvient à nous emmener dans une large gamme d’émotions grâce à la spontanéité de Doug qui joue avec subtilité des non-dits et rend ainsi le lecteur complice. Il nous offre également une multitude de personnages hauts en couleurs à la psychologie particulièrement fouillée et superbement décrits.

    Je ne peux que vous conseiller vivement ce petit bijou passionnant et lumineux. Un roman initiatique, un récit de résilience qui vous donnera la pêche d’un bout à l’autre.

     

      

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  • Cinq bébés enlevés. Un projet expérimental diabolique consigné dans un journal intime. Un journaliste qui enquête sur ces disparitions vingt-cinq ans après. 1910, Buenos Aires. Une jeune femme réapparaît au domicile de ses parents après avoir disparu une nuit alors qu’elle dormait dans son berceau. Une jeune femme sans aucun souvenir, un homme qui se comporte comme un chien, les images hallucinées d’une session d’hypnose, sont les pistes qui conduiront Alejandro à remonter le fil de cette sombre histoire jusqu’à un dénouement aussi terrifiant qu’inattendu. demande seulement de procréer et de servir.

    Mon avis :

    Ce roman jeunesse cruel et noir est très addictif. L’alternance entre le présent et les extraits du glaçant journal d’expérience du Dr Andrew, 25 ans auparavant, tient le lecteur en haleine dès le départ. Il n’a de cesse de découvrir ce qui se trame derrière les premières informations qu’il lit, malsaines et bouleversantes. Ce changement de point de vue rythme l’histoire grâce à de courts chapitres où l’auteur sème çà et là des indices dont le dénouement fera état.

    On est vite immergé dans l’ambiance du récit qui balance entre horreur et thriller. Un bon lecteur aura compris à la moitié du livre, une partie du mystère. Un lecteur moyen devra poursuivre sa route encore un peu. Et c’est, selon moi, un des intérêts de ce roman. Il peut être lu par tous les adolescents quel que soit leur niveau de lecture.

    Un autre intérêt est le cadre spatio-temporel qui nous dépeint l’Argentine de la fin du 19e siècle. Ce pays méconnu des adolescents, en dehors de son équipe de foot, et son histoire leur donneront à voir une autre réalité que la leur. Tout au long du livre, l’auteur fait référence implicitement au passé glorieux de ce pays, aux réfugiés nazis de l’après-guerre et aux enfants disparus lors de la dictature militaire.

    Enfin, ce récit pose une question existentielle : jusqu’où la science peut-elle aller sans dépasser les normes ? Le progrès excuse-t-il tout ?

    Très bien traduit, le récit dégage une ambiance particulière, oscillant entre douceur et horreur. De quoi ravir les adolescents. Ce roman glaçant et bouleversant permettra bien des développements et des débats éthiques après sa lecture. A découvrir au plus vite.

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  • Le livre d'Amray, Yahia BELASKRI« On m'a dit que je naissais au monde, que les montagnes reculeraient devant mes aspirations, que les plaines donneraient plus de blé qu'elles n'en ont jamais produit et que les matins s'offriraient à mes pas juvéniles. Que ne m'a-t-on dit pour me laisser croire que j'étais un homme libre ? »

    Amray est né avec la guerre, entre le souffle du chergui, le vent chaud du Sahara, et les neiges des Hauts Plateaux, fils préféré d'une mère qui n'avait jamais appris les mots d'amour, et d'un père qui a fait plus de guerres qu'il n'en faut pour un homme. Mais bientôt son monde vacille et les amis d'enfance, Shlomo, Paco, Octavia - celle qu'il nomme ma joie - quittent le pays. Resté là comme en exil, Amray, fils du vent, fils de fières et nobles figures de résistance, Augustin, la Kahina ou Abd el-Kader, avec la rage puisée dans les livres et les mots des passeurs, part chercher plus loin ses horizons, et la liberté d'être poète.

    Mon avis : 

    Amray nait dans un foyer sans amour. Sa mère a 13 ans quand elle est mariée à son père qui en a 36. Comme les femmes de son époque, elle n’a rien à dire, n’a aucun droit. On lui demande seulement de procréer et de servir. Quand il nait, au cœur d’une famille nombreuse, son père a 60 ans et a passé la majeure partie de sa vie à combattre : deux guerres mondiales sous le drapeau français et puis la guerre sur son sol. Sa mère, sans instruction, simple et d’une grande sagesse, l’aimera comme elle n’a pu aimer ses autres enfants.

    « Le livre d’Amray » nous plonge dans l’histoire d’un pays jamais nommé mais dont on comprend très vite qu’il s’agit de l’Algérie. A travers les tourments de l’Histoire, Yahia Belaskri nous raconte la vie d’Amray – dont le nom signifie l’amoureux en berbère. Très jeune, le narrateur a la fraîcheur de l’innocence, la candeur de l’enfance. Il nous décrit avec force détails son quotidien, ce monde qui change, ses amis qui disparaissent de l’école et de sa vie, les regards qui se font fuyants ou au contraire appuyés… Son histoire se confond avec celle de son pays, faite d’espoir et de rêves au cœur des années 60 et 70 puis d’illusions perdues et de trahison. Solitaire, il vole des livres – avec la bienveillance du libraire - car il ne peut les acheter. Il s’instruit, se construit, grandit et devient à son tour mari et père. Mais un autre danger guette et la violence refait surface au cœur de son pays et de sa famille.

    A travers Amray, c’est l’histoire de l’Algérie qui se dessine et de la lutte incessante qu’elle a menée pour sa liberté, lutte marquée par des figures héroïques comme Saint Augustin, la Kahina ou Abd-el-Kader. Tous trois berbères, ils sont les piliers de ce roman, et les fondements de l’identité algérienne.

    D’une grande puissance poétique, ce récit de violence et de guerre, retrace l’histoire d’Amray mais est aussi un réquisitoire contre l’autoritarisme, l’intégrisme, la dictature qui enferment l’homme. Jamais nommée, l’Algérie est pourtant bien présence à chaque page, dans chaque mot célébrant avec mélancolie cette terre natale de l’auteur. C’est un chant d’amour à un pays dur, fier, meurtri dont l’auteur espère encore le renouveau, la renaissance. C’est une fresque onirique, celle d’un pays souffrant, écartelé entre mythes, souvenirs heureux et tragédies.

     

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    A Bovenmeer, un petit village flamand, seuls trois enfants sont nés en 1988 : Laurens, Pim et Eva. Enfants, les « trois mousquetaires » sont inséparables, mais à l’adolescence leurs rapports, insidieusement, se fissurent. Un été de canicule, les deux garçons conçoivent un plan : faire se déshabiller devant eux, et plus si possible, les plus jolies filles du village. Pour cela, ils imaginent un stratagème : la candidate devra résoudre une énigme en posant des questions ; à chaque erreur, il lui faudra enlever un vêtement. Eva doit fournir l’énigme et servir d’arbitre si elle veut rester dans la bande. Elle accepte, sans savoir encore que cet « été meurtrier » la marquera à jamais.

    Treize ans plus tard, devenue adulte, Eva retourne pour la première fois dans son village natal. Cette fois, c’est elle qui a un plan…

    Mon avis :


    Dans ce roman de 420 pages, Lize Spit raconte l’histoire de trois jeunes enfants dans un petit village anversois, à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les enfants en vacances courent les rues du village en toute liberté, jouent, refont le monde. Le reste du temps, la vie s’écoule lentement entre la famille, l’école, les sorties entre copains. Tout n’est pas rose dans leur vie, loin de là : famille dysfonctionnelle, fratrie fragile, isolement, rumeurs et commérages. Heureusement, il y a l’amitié. Quoique.

    Le roman alterne les souvenirs de l’été 2002 et le présent d’Eva, la narratrice, en 2015. On sait dès le départ que quelque chose de grave s’est passé cet été-là et qu’elle prépare une vengeance.

    Certes, l’histoire est extrêmement bien construite et rédigée avec une plume précise et réaliste. On attend la chute en sentant monter la tension et les non-dits piquent sans cesse notre curiosité. Elle dresse un portrait assez juste de cette période entre deux eaux qu’est la fin de l’enfance et le début de l’adolescence. Celle où on aimerait grandir et à la fois rester enfant car l’avenir angoisse ; celle où on est capable, dans la même journée, de cruauté et de douceur, de haine et de compassion. La jeune auteure a le sens de la narration et nous propose également une galerie de personnages d’une précision chirurgicale, dressant un portrait au vitriol de la campagne flamande et de sa bonhomie apparente. Cette peinture flamande est certainement l’objet d’une longue observation avant de pouvoir obtenir un tel rendu. Mais les adultes sont tellement dysfonctionnels dans ce village qu’on se dit parfois que c’est too much.

    Malgré ces indéniables qualités, j’ai été déçue. Sans doute attendais-je trop de ma lecture après les critiques dithyrambiques lues et le succès de ce roman.

    Il y a d’abord, à mon sens, une erreur de timing. Certains détails de cette histoire me la feraient plutôt ancrer dans les années 70 ou 80, (les mères au foyer, le fil en spirale du téléphone fixe, Aldi qui ne vend pas de produits frais...) De plus, j’ai peine à croire qu’au lendemain de l’affaire Dutroux qui a secoué profondément tout le pays, les enfants de ce village soient si libres et laissés à eux-mêmes.

    Ensuite, je l’ai trouvé lent, extrêmement lent, comme l’ennui qui colle à la peau d’Eva dans ce village microscopique. Et parfois trop touffu : beaucoup de détails sur la vie du village, les événements anodins du quotidien, les ragots qui l’animent m’ont paru dispensables.

    Enfin, je crois que je m’attendais à un dénouement différent. J’ai tellement lu les mots « malaise, atmosphère irrespirable, soufre, glaçant, glauque, machiavélique » que je prévoyais autre chose -d’où le fait que j’ai longtemps postposé cette lecture – même si la fin est réellement noire, cruelle, à la limite du supportable comme si l’auteure se plaisait dans le sordide et le cru.

    Je suis contente de l’avoir lu, je me suis fait ainsi un avis personnel. Très mitigé comme vous l’avez lu.

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