• L'heure des fous, Nicolas LEBELParis. Un SDF est poignardé à mort sur une voie ferrée de la gare de Lyon. "Vous me réglez ça. Rapide et propre, qu’on n’y passe pas Noël", ordonne le commissaire au capitaine Mehrlicht et à son équipe : le lieutenant Dossantos, exalté du code pénal et du bon droit, le lieutenant Sophie Latour qui panique dans les flashs mobs, et le lieutenant stagiaire Ménard, souffre-douleur du capitaine à tête de grenouille, amateur de sudoku et de répliques d’Audiard...
    Mais ce qui s’annonçait comme un simple règlement de comptes entre SDF se complique quand le cadavre révèle son identité. 

     

     

     

    Mon avis :

     

    Ce roman est le premier de Nicolas Lebel, paru en 2013, et le premier que je lis. Je me demande pourquoi j’ai attendu aussi longtemps.

    L’histoire est assez classique en soi : un meurtre, un cadavre non identifié, une enquête, aucun indice au départ de ce qui semble bien être un règlement de compte entre SDF. Mais peu à peu l’affaire se corse et un vrai récit à tiroirs s’offre à nous. On découvre des documents sur Napoléon III, des articles de presse sur la pauvreté en Ile de France et les bidonvilles qui gangrènent Paris de nos jours, un brillant mémoire de sociologie passé à la Sorbonne, le tout sur fond de répliques culte de Jacques Audiard.

    Et c’est tout cela qui m’a plu, séduite même. Autour d’une histoire toute simple, Nicolas Lebel crée une atmosphère à la fois extravagante et extrêmement érudite et nous construit un récit remarquable mêlant Histoire de France, Empire et misère du peuple au 21e siècle.

    Aux commandes, le capitaine Mehrlicht, l’homme à la tête de grenouille, gouailleur et râleur mais cultivé, citant Hugo à longueur de temps. Une sorte de Danglard mais beaucoup moins polissé, passionné par les polars d’Audiard. Sous ses ordres, le lieutenant Dossantos, un dur pour qui la loi, l’ordre prime avant tout ; le lieutenant Sophie Latour, intelligente, fine et prudente et enfin un stagiaire, le lieutenant Ménard, dans le service depuis deux semaines et tête de turc du capitaine. D’emblée, on comprend que l’auteur est fan des policiers de l’époque Ventura, Blier et consort. Et cela fonctionne à merveille, donnant à l’histoire un petit côté vintage que j’ai vraiment aimé.

    Nicolas Lebel plante le décor dans un Paris sortant des sentiers battus, où grouille une faune de laissés pour compte que l’on ne voit même plus : des SDF, des clodos, des immigrés, qui campent dans le bois de Vincennes et ont reproduit une société hiérarchisée, divisée en villages où l’anarchie n’a pas sa place. Mais, là comme ailleurs, la manipulation, le chantage et les luttes d’influence gangrènent l’ordre établi.

    J’ai vraiment adoré ce roman noir qui nous plonge au cœur d’une réalité sociétale sur laquelle on ferme trop souvent les yeux. J’ai aussi aimé le ton, le style et les références culturelles de l’auteur. Je le recommande chaleureusement.

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  • Rêverie, Golo ZHAOUn dessinateur chinois explore Paries le temps d’une escale. Entre l’Ile Saint-Louis et La Concorde, il s’éloigne bien vite des chemins balisés pour les touristes. Débute alors une flânerie étrange. Au détour du chemin : de dangereuses jeunes femmes, des machines à remonter le temps, des peintres impressionnistes que l’on rencontre dans les bars après minuit…

     

    Mon avis :

     

    Golo Zhao a 35 ans et est diplômé de l’Académie des beaux-arts de Guangzhou et de l’Académie cinématographique de Beijing. Passionné de dessin et d’animation, il nous offre ici un recueil de nouvelles fantasmagoriques dont le titre « Rêverie » fait référence à la musique de Debussy et rend un bel hommage à Paris.

    Monsieur Z, un dessinateur connu, rencontre une amie, Xiao-Yu, dans la capitale. Ils discutent, bercés par les notes de Claude Debussy qu’ils aiment tous les deux. La musique, l’ambiance de la ville, tout est propice à la séduction et à la rêverie.

    Sept nouvelles se succèdent alors. Golo Zhao nous propose d’accompagner chaque personnage dans une flânerie douce et légère où se mêlent rêves, hallucinations et réel. Nous rencontrons dans ce Paris sublimé par l’artiste un étudiant chinois qui disparait mystérieusement après une nuit d’amour avec une étudiante en astronomie, tatouée d’une étoile dans le dos ; deux survivants d’une expérience scientifique de 2100, baptisée « Capsule du temps », et derniers humains sur terre ; une jeune femme solitaire et détachée du monde qui fait appel à une société privée pour organiser son suicide le jour de ses 24 ans ou encore un jeune homme qui un soir d’errance rencontre au café Phillies, Edward Hopper et Claude Debussy. La rêverie prend fin et l’on retrouve les deux protagonistes du début.

    C’est un album déroutant. D’abord, le Paris dessiné par Zhao est fantasmé. C’est le Paris tel que le rêvent, l’imaginent les Asiatiques. On y voit cohabiter les portables dernier cri avec des vespas ou des DS et les lieux sublimés par le cinéma des années 50-60. Ensuite, chaque histoire aboutit à des événements bizarres, troublants se déroulant tous la même nuit. Policier, science-fiction, romance… chacune a un genre différent. Enfin, on a l’impression de sauter du coq à l’âne ; chaque idée, pensée en entraînant une autre et débouchant sur une nouvelle histoire. On glisse sans cesse de la réalité à l’imagination sans parfois s’en apercevoir. On aimera ou pas. Personnellement, j’ai un avis mitigé.

    J’ai aimé le trait et la diversité de celui-ci, le graphisme, l’alternance des cases rectangulaires linéaires et des pleines pages qui rendent le récit dynamique. Les couleurs toutes de dégradés de bruns et noirs participent à l’ambiance nocturne voulue par l’auteur. J’ai aimé le rendu de Paris, ses ruelles, ses beaux magasins, ses artistes, ses cafés, l’art… Je suis plus dubitative quant aux histoires : trop courtes pour découvrir vraiment les personnages, trop oniriques parfois pour cerner le sens voulu par l’auteur.

    Je reprendrai cet album plus tard car je suis sûre qu’il y a d’autres lectures possibles que cette flânerie poétique mais je suis hélas passée à côté en cette fin juin tumultueuse.

     

     

     

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  • Bonaventure - Comment je suis devenu un super agent discret, Johan HELIOT"Je m'appelle Bonaventure et si vous ne me croyez pas, tant pis ! C'est pourtant le prénom qu'ont choisi mes parents, ne me demandez pas comment, je l'ignore. J'ai quatorze ans et demi, j'arrive de Martinique, et je suis interne dans un collège de banlieue, près de Paris. 
    Mais vous voulez apprendre un truc beaucoup plus dingue ? Alors voilà, tenez-vous bien : j'ai été recruté par une organisation méga-secrète pour sauver le futur de la planète... 
    Non, sans rire ! 
    Laissez-moi vous raconter comment je suis devenu un super agent discret. Et après, évidemment, je serai obligé de vous tuer..."

     

    Mon avis :

     

    Envoyé par sa mère faire ses études en France, Bonaventure partage la chambre de Kevin, un ado un peu rustre qui aime l’intimider. Quelques jours après la rentrée, une étrange jeune fille le contacte à la sortie des cours. Dirigeante de l’agence SFN ! (Save the Future Now !) Léonore Risk souhaite le recruter et lui propose de débuter un entrainement d’arts martiaux. Ainsi débute sa formation d’agent discret. Mais Kevin les a vus…

    Ce roman ado, à lire dès 12 ans, est un roman d’espionnage au rythme enlevé qui plonge le lecteur dans un univers technologique digne des meilleurs James Bond. D’ailleurs le roman est rempli de références à l’univers des agents secrets, que ce soit, Bond, Jason Bourne ou Ethan Hunt. Et comme dans tous les récits d’espionnage, les situations rocambolesques se succèdent dont les héros se sortent toujours, après mille péripéties, comme par miracle.
    Mais malgré tout, c'est un roman qui se base sur des faits authentiques, la réalité dépassant parfois la fiction. Ainsi Egan Risk fait furieusement penser au milliardaire inventeur et promoteur de la Tesla et le sommet de Wurtemberg à la conférence de Bilderberg. Quant aux moyens mis en oeuvre pour déstabiliser son adversaire, voler des brevets ou empoisonner ses ennemis, il suffit de se servir dans les actualités internationales pour y trouver de quoi asseoir une histoire qui tient la route.

    Les personnages sont attachants, notamment Kevin qui évolue au fil de l’histoire et perd son côté lourdaud pour un humour plus en finesse. Le trio d’adolescents fonctionne bien, chacun apportant sa personnalité à la progression de l’intrigue.

    C’est aussi un roman bourré d’humour qui devrait faire mouche auprès des jeunes lecteurs tant il est agréable à lire. Certaines ficelles sont un peu convenues mais cela reste un bon divertissement.

    On attend la suite.

    Merci à Masse critique de Babelio et aux éditions Scrinéo pour cet envoi.

     

     

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  • Un poisson sur la lune, David VANN"Les gens seraient-ils en réalité tous au bord du suicide, toute leur vie, obligés de survivre à chaque journée en jouant aux cartes et en regardant la télé et en mangeant, tant de routines prévues pour éviter ces instants de face à face avec un soi-même qui n’existe pas ?"
    Tel est l’état d’esprit de James Vann lorsqu’il retrouve sa famille en Californie – ses parents, son frère cadet, son ex-femme et ses enfants. Tous s’inquiètent pour lui et veulent l’empêcher de commettre l’irréparable. Car James voyage avec son Magnum, bien décidé à passer à l’acte. Tour à tour, chacun essaie de le ramener à la raison, révélant en partie ses propres angoisses et faiblesses. Mais c’est James qui devra seul prendre la décision, guidé par des émotions terriblement humaines face au poids du passé, à la cruauté du présent et à l’incertitude de l’avenir.

     

    Mon avis :

     

    Jim Vann, 39 ans, criblé de dettes, est dépressif. De retour en Californie après avoir vécu seul en Alaska, il garde dans sa valise un Magnum et des munitions. Son frère Doug l’attend à l’aéroport. Pendant quelques jours, ils vont rouler à travers la Californie à la rencontre de son médecin et de ses proches. Mais il n’entend pas ce qu’ils lui disent, miné par la dépression.

     

    Une fois encore, David Vann revisite son histoire personnelle en mêlant au récit, réalité et fiction. Dans Sukkwan Island, il nous relatait l’histoire d’un père qui emmène son fils vivre un an en Alaska, après une suite d’échecs personnels qu’il compte mettre derrière lui. Ici, un fils confesse qu’il n’a pas voulu suivre son père en Alaska comme il l’espérait. Le lien est établi.

    Dans ce roman, les personnages portent leur nom : Vann. C’est le troisième roman où David Vann parle de son père et de sa famille et le premier où le nom est donné. Dix ans séparent les deux récits. Même s’il avoue la portée autobiographique de l’œuvre par cette attribution du nom de famille, le Jim du roman reste un personnage de fiction. Il y a bien l’histoire de la filiation à un chef Cherokee mais David Vann avait 13 ans à la mort de son père et en a 52 aujourd’hui. Les souvenirs sont donc devenus flous. Ce père ne vit plus que dans la mémoire de chaque membre de la famille et chacun en a gardé une vision personnelle et particulière.

    Ce livre est, il me semble, un moyen d’expier une culpabilité qui hante David Vann pour avoir refusé d’accompagner son père en Alaska. Se serait-il suicidé moins d’un an plus tard s’il l’avait accompagné ? On sent un long travail personnel sur lui-même pour oser affirmer 39 ans plus tard, « non, je n’en suis pas responsable. »

    On retrouve dans ce roman de longues descriptions de paysages, comme un moyen thérapeutique de s’interpréter à travers ce que l’on regarde (comme un test de Rorschach). Il rejoint en ça une tradition littéraire américaine qui, par là, donne les clés des idées de l’écrivain, comme chez Cormac Mc Carthy ou Craig Johnson par exemple.

    Ce roman est également une critique sévère des petites villes américaines où se côtoient des vies insignifiantes minées par la routine qui évite de réfléchir. Jim a vécu ainsi mais il n’y parvient plus.

    « Un poisson sur la lune » est un roman oppressant et obsédant. Si vous êtes quelque peu mal dans votre peau et en quête d’aventures légères pour vous divertir, fuyez. Sinon, bienvenue dans l’univers sombre de David Vann dont l’écriture n’a d’égal que son talent de conteur.


    Un poisson sur la lune, David VANN 

     

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  • Une femme en contre jour, Gaëlle JOSSERaconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. Une Américaine d’origine française, arpenteuse inlassable des rues de New York et de Chicago, nostalgique de ses années d’enfance heureuse dans la verte vallée des Hautes-Alpes où elle a rêvé de s’ancrer et de trouver une famille. Son œuvre, pleine d’humanité et d’attention envers les démunis, les perdants du rêve américain, a été retrouvée par hasard – une histoire digne des meilleurs romans – dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meubles de la banlieue de Chicago. Vivian Maier venait alors de décéder, à quatre-vingt-trois ans, dans le plus grand anonymat.

     

    Mon avis :

     

    Gaëlle Josse retrace ici la vie de Vivian Maier et de son entourage à travers des témoignages, des documents et des photos mis au jour lorsque son œuvre artistique a été révélée au grand public. Elle a aussi compulsé d’innombrables articles ainsi que deux documentaires essentiels : « Finding Vivian Maier » de John Maloof et le site de l’Association Vivian Maier et le Champsaur.

    Cette femme mystérieuse et solitaire aimait visiblement aller au contact de ses semblables. Née pauvre et ayant toujours vécu modestement, elle a photographié la misère des quartiers populaires, des émigrés, des laissés pour compte. Elle montre une société rude, des vies malmenées. Et de temps à autre des personnes fortunées en habits de soirée. Alors qu’elle voue le plus grand respect aux premiers qu’elle magnifie, les photographies des autres sont souvent moqueuses, floues, décentrées. Ce ne peut être un hasard. Ensuite viendront des autoportraits où elle n’est jamais au centre de la photo mais fait partie du décor comme n’importe quel autre objet. Sa présence est absence comme une allégorie de sa propre existence.

    J’ai beaucoup aimé ce récit que nous fait Gaëlle Josse et j’ai été touchée par le personnage même de Vivian. Se dire qu’elle n’aura jamais vu la plupart de ses photos (le développement était trop coûteux et elle ne devait sûrement pas imaginer que cela intéresserait quelqu’un) et n’aura rien su de sa gloire post mortem est déroutant et bouleversant. Elle aura vécu seule, connu de lourds secrets familiaux et aura mené une vie de liberté à une époque où cela était exceptionnel pour une femme.

    Je me suis laissé emporter par l’écriture de Gaëlle Josse qui, une fois encore, nous raconte une belle histoire soutenue par une écriture précise et lumineuse. On sent derrière ce récit l’attachement qui s’est noué entre l’auteure et son personnage et j’ai été séduite.

    Un très bon récit à s’offrir.

    Une femme en contre jour, Gaëlle JOSSEUne femme en contre jour, Gaëlle JOSSE

     

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  • Deux papas, deux enfants, Oxen LAMBERTÊtre papa, gay et avoir été marié avec une femme : l'aventure d'une vie. 

    Oxen a eu deux vies, celle d'un hétérosexuel marié et père de deux filles et celle aujourd'hui d'un papa gay qui élève ses enfants avec son compagnon.

    Érudit, engagé dans le social, Oxen avec son livre et son témoignage explique, démonte les fantasmes, ouvre des perspectives de réflexion à la fois sociétale et parentale sur ces familles qui, somme toute, sont celles de parents regroupés autour de leurs enfants avec présence et amour. 

     

    Mon avis :

     

    Oxen Lambert est le pseudo d’un enseignant, père de trois filles, qui raconte sa vie et son expérience dans ce récit. Après plusieurs années de mariage et trois enfants, il se rend compte que quelque chose ne va pas dans sa vie. Il n’est pas heureux car il ne se sent pas à sa place. Annoncer à son épouse qu’il la quitte et qu’il ressent des attirances homosexuelles ne sera pas facile. Ni pour l’un ni pour l’autre. Mais avec intelligence, patience, compréhension, ils parviendront à éviter les drames et à protéger les enfants. Pour ces dernières, la séparation puis la garde alternée sera une étape plus ou moins réussie. Puis viendra Christophe, le copain de papa (qu’il ne connaissait pas lors de son divorce). Il partagera des moments de plus en plus longs avec la famille, deviendra proche des filles, logera parfois à la maison… Et tout naturellement, sans vraiment nommer les choses, une famille se reformera où chacun trouvera sa place…

    Il n’en ira pas de même avec « les autres ». Les parents qui, comme Oxen, attendent leurs enfants à la sortie de l’école et ont entendu la rumeur. Ces voisins bien intentionnés qui la colportent. Les courageux anonymes qui iront jusqu’au conseil communal pour dénoncer les faits et les paroles blessantes qui reviendront aux oreilles d’Oxen. Sans parler des manifestations contre le Mariage pour tous qui se déroulent à la même époque.

    Avec humour, Oxen Lambert raconte la genèse d’une aventure familiale comme tant d’autres. Les mêmes joies, les mêmes peines, l’amour, la séparation, la reconstruction… et puis ce genre qu’on assume enfin. Il nous parle des réactions de la famille, de l’entourage et des anonymes. Il prend de la distance et choisit, en bon optimiste, de ne pas laisser les censeurs prendre le dessus. A travers son expérience, il ouvre aussi de nombreuses pistes de réflexion sur l’homoparentalité

    J’ai aimé ce récit vrai, sincère et la simplicité avec laquelle Oxen Lambert nomme les choses et les décrit. Oui, sa famille ressemble furieusement à toutes les familles. La seule différence c’est qu’elle compte deux papas.

     

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