• La vie en ville, Damien DESAMORYLorsque je rentrai chez moi, je remarquai, devant ma porte, un os. Un os plat, un sternum ou un bout d’omoplate. Pas très grand, six centimètres sur quatre. Partiellement rongé avec encore des lambeaux de chair brunâtres et séchés. Je considérai longuement l’os du regard, la clé à la main. D’une certaine manière, ce n’était qu’un os. Mais, par ailleurs, cet os avait quelque chose d’inquiétant. Il se trouvait exactement devant ma porte, en plein milieu du palier. (…) Coïncidence ? Il ne m’arrivait jamais rien habituellement. Et maintenant, tout cela. Est-ce que je l’avais souhaité en ouvrant la porte à Ferran comme je l’avais fait, perdu dans mon ennui chronique à la recherche de la vie ?

    Mon avis :

    Publié aux éditions Diagonale, ce premier roman de Damien Desamory est un pari assez réussi. Son personnage, Antal, gardien de nuit dans un hôtel, voit un jour sa vie basculer. Par petits faits anodins : une rencontre imprévue, un os trouvé sur son palier, une soirée dont il n’a aucun souvenir, un câble de vélo qui lâche, il sent sa vie lui échapper. Lui qui aimait sa petite vie pépère, sans vague, banale à souhait, il perd pied. Tous ces aléas de la vie auxquels personne sans doute n’aurait porté attention, lui semblent être des signes que quelque chose ne va pas. Ce jeune homme fragile, qui s’ennuie dans sa vie et est perméable au moindre changement, va se retrouver entraîné dans une histoire qui le dépasse. Cet anti héros est balloté par le destin.

    La construction de ce roman est assez particulière : les chapitres alternent, passant du « je » au « il » et au début, c’est assez désarmant. On comprend cependant assez vite que l’auteur a choisi ainsi d’approfondir la psychologie de son personnage. Alors que les chapitres au point de vue omniscient font avancer l’intrigue, le narrateur interne montre au lecteur comment il ressent cet enchainement d’événements et de petits désagréments. Très vite, un sentiment d’empathie envers ce personnage naïf nous étreint.
    Les deux trames se rejoindront au moment crucial du récit.

    J’ai aimé l’écriture romanesque de Damien Desamory, sa plume vive et le côté thriller de son récit. Son ton juste et décalé à la fois, ironique à souhait, fait de « La vie en ville » un récit qui se lit rapidement. Et pourtant, la précision de ses descriptions nous font revenir en arrière avec plaisir pour goûter à nouveau une scène de vie magistralement dépeinte. Qu’il s’agisse d’un vieux couple dans un bistrot cradingue, le hall des urgences d’un hôpital ou un spectateur au cinéma, il trouve les mots justes et la distance idéale pour nous permettre de les imaginer. C’est aussi un merveilleux guide de Bruxelles – personnage à part entière du récit.

    Damien Desamory nous offre donc un roman très plaisant, plein d’humour et attachant. J’espère qu’il ne sera que le premier d’une longue série.

     

     La vie en ville, Damien DESAMORY

     

     

     

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  • La cravate, Milena Michiko FLASARJour après jour, Taguchi Hiro et Ohara Tetsu se retrouvent sur un banc. Taguchi vient de sortir de la chambre où il vit cloitré depuis deux ans. Ohara a été licencié et est incapable de l’avouer à sa femme. Ils se regardent, s’apprivoisent et se livrent : la disparition d’un poète, le suicide d’une amie, la vie professionnelle brisée, l’amour d’une épouse, les rêves et les renoncements.

    Mon avis :

    Ce roman nous raconte la rencontre improbable d’un salaryman et d’un hikikomori. Deux personnages issus de deux mondes différents qui n’auraient jamais dû se croiser. Chacun a son univers, son langage, ses codes. Ce qui les rapproche au départ, c’est la solitude et la honte. Leur rencontre se fait dans des conditions difficiles (il pleut en plus) et on sent que c’est très dur pour chacun d’être vu par l’autre dans cet état. Puis au fil des jours, la lumière revient lentement dans leur vie parce qu’ils ont appris à lancer des ponts l’un vers l’autre à se dévoiler sans rien épargner à l’autre. On se rend compte alors que leur vie ordinaire a basculé suite à l’explosion d’une violence aussi forte que brève. Cette violence s’annonçait mais ils n’en ont pas vu (ou pas voulu voir) les prémices. Et l’éclatement a été d’autant plus terrible.

    Taguchi vient de passer deux ans cloitré dans sa chambre. Cet ermite moderne s’est enfermé suite à la perte d’un ami. Ce phénomène méconnu en Europe touche un million de jeunes Japonais, des adolescents de 14-15 ans. L’école, la famille, les attentes trop lourdes de leur entourage, un mental fragile et ils se referment sur eux-mêmes, s’isolent au sein même de leur domicile. Et c’est toute la famille qui vit cloitrée, subit ce malaise et la honte. Cet enfermement dans sa chambre est un refus de grandir, de s’adapter à ce que la société japonaise attend de ses membres : fonctionner et performer.

    Le récit se passe au Japon mais ce banc, témoin de leur rencontre, pourrait être transposé partout ailleurs. Il traite en effet d’un sujet universel : la perte de confiance en soi, l’échec, la douleur qui semble alors insurmontable. C’est la parole qui les libérera l’un et l’autre et leur permettra de s’accepter.

    L’écriture de Milena Michiko Flasar est particulière car située entre deux mondes. On y retrouve à la fois une écriture japonisante où mêmes les silences sont exprimés et où les non dits sont aussi importants que les confidences, et un côté plus terrestre, ai-je envie de dire, qui montre de l’optimisme, de l’espoir après être allée au fond de la noirceur. C’est un roman singulier et très attachant qui vient de remporter le prix Eurégio des lycéens. Ces derniers ont bien perçu les qualités du texte, la langue musicale, ciselée et de l’histoire d’où se dégagent force et douceur. Je vous le conseille vraiment.

    Milena Michiko Flasar est née en Autriche de parents japonais. Elle a suivi des études de littérature comparée et de philologie germanophone et romane. Citons aussi son traducteur qui a fait un travail remarquable, Olivier Mannoni, directeur  de l'école de traduction du CNL à Paris.

     

     

     
     

    La cravate, Milena Michiko FLASAR

     

     

     

     

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  • Zebraska, Isabelle BARYMartin Leroy, quinze ans six mois et vingt-deux jours, vient de recevoir un étrange cadeau: un paquet de feuilles reliées. Il croit dabord à une farce - on ne lit plus de livres en 2050 -, mais lorsquil découvre sur la première page la dédicace À mon petit zébron Marty, il est pris dun véritable tremblement. Au risque de paraître ringard, il entame clandestinement la lecture de ce texte qui dévoile la vie mystérieuse et bouleversée dun enfant Haut Potentiel dans les années 2010 et celle de sa mère touchante et burlesque à la fois... Il comprend peu à peu quil nest pas étranger aux secrets bien gardés que renferme le récit.

    Mon avis :

    Je ne savais trop à quoi m’attendre avec « Zébraska » avant d’entendre Isabelle Bary en parler. Je savais juste que c’était son 7e roman et qu’il abordait la problématique des enfants à Haut Potentiel. J’ai appris que l’auteure a elle-même un adolescent surdoué et que ce roman a été comme une évidence pour elle à un moment donné. Un besoin d’expliquer les difficultés de ces enfants, les leurs et celles de leur entourage, un besoin de tourner une page aussi. Ce livre fut en quelque sorte, une thérapie.
    Je ne connaissais pas intimement le sujet avant cette lecture. Enseignante dans le qualifiant, je n’ai rencontré qu’un seul enfant HP durant ma carrière et assez éloigné de Thomas. J’ai donc découvert cette réalité à travers les yeux de Mamiléa, de Thomas et de Marty.
    J’ai aimé le fait que ce soit un roman, une histoire où les héros sont particuliers  (et terriblement attachants). Un roman qui se déroule en 2050, ce qui permet de porter un regard distancié sur notre époque et propose une réflexion intéressante sur le monde que nous laisserons aux générations à venir. Les difficultés de vie et d’acceptation de Thomas sont celles de tout enfant différent. Ici, c’est un HP mais la souffrance qu’il raconte, l’inadaptabilité qui est la sienne peuvent se retrouver chez des enfants dysphasiques, autistes, TDA/H... difficultés d’apprentissage que je côtoie constamment.

    Dans une classe de normo pensants, un enfant différent, quel qu’il soit, sera forcément en marge, l’action pédagogique des enseignants étant adaptée à la norme, elle souffrira donc d’une certaine inadéquation. La différenciation, bien qu’étant notre objectif, n’est pas toujours favorisée par le nombre et les multiples profils apprenants des élèves. J’imagine donc assez bien le décalage intellectuel qui doit exister entre un HP et le reste du groupe. Cela doit également affecter le fonctionnement pédagogique habituel et représenter une problématique douloureuse aussi bien pour l’enseignant que pour l’élève.

    J’ai été touchée par ce roman hors norme, par ces enfants qui pensent différemment, souffrent de synesthésie, décodent le quotidien à leur façon... Que de souffrance, que ce soit chez l’enfant ou chez la maman ! Remise en question permanente, peur du regard des autres, angoisse face à l’avenir, souffrance de l’isolement, du rejet, du déséquilibre de l’enfant, de son inadaptation... Mais malgré tout, Isabelle Bary ne nous propose pas un récit anxiogène. L’humour est bien présent, l’espoir aussi. Chaque avancée est une victoire même si on avance comme à la procession d’Echternach, s’il faut recommencer encore et encore. Elle trouve les mots justes pour décrire les situations et les émotions intenses qui traversent ce roman de part en part. Les parents concernés se reconnaissent très certainement dans ce récit et ceux qui, comme moi, le lisent en spectateur, touchent du doigt une réalité qu’ils ne soupçonnaient pas. 

    Mais ne perdons pas de vue que ce livre est avant tout un roman. Un roman qui parle aussi d’héritage, de lecture, de progrès technologiques et relationnels, d’anticonformisme... Bref, une histoire d’espérance et de foi, une belle ode à la vie et un pari réussi. 
     

    "On ne choisit pas le monde qui nous entoure, mais bien la façon de s'y promener."

     Un autre avis, celui de Nath


     

    Zebraska, Isabelle BARY

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  • Ristigouche, Eric PLAMONDONLe doute est comme une vague dans la mer. Il y a un mois, sa mère est morte. Quelqu’un lui a dit que, pour être un vrai pêcheur, il fallait avoir pêché au moins une fois dans sa vie un saumon. C’est pour ça qu’il est parti sur la rivière Ristigouche. Pour ça, et parce qu’il y a un mois, sa mère est morte. Le doute est comme une vague dans la mer. 

    Mon avis :

    Courte nouvelle de 52 pages et pourtant récit complexe.

    Sa mère est morte et avec l’héritage, Pierre s’est offert un pick-up, une tente, un canot pneumatique et un équipement de pêche au saumon. Il prend quelques jours pour aller à la pêche. Ce sera l’occasion de faire le point sur sa vie, d’essayer de reprendre pied à près de 60 ans. Fils unique, sans père, il a été élevé par une mère aimante et courageuse qui lui a tout appris. Même la pêche. Ce voyage sera une sorte d’hommage.

    Ce court roman raconte en fait trois histoires qui s’entremêlent. Il y a l’histoire de Pierre Lhéger qui se remémore son passé, celle de son ancêtre ayant participé à la bataille de la Ristigouche en 1760 et le récit de la journée de pêche. On passe de l’une à l’autre sans transition, seuls les couplets d’une comptine ponctuent le tout. Les paragraphes s’enchainent donc de manière fluide et naturelle. Ecrites dans un langage poétique, les phrases courtes rythment les souvenirs du narrateur et soutiennent le suspens jusqu’au bout. En peu de mots, Eric Plamondon nous raconte une histoire personnelle ancrée dans l’Histoire du Québec et on se délecte de ce texte fort à l’écriture vive. Le livre se ferme et on en voudrait encore.

    La série Nova, c'est dix novellas écrites par les auteurs de la maison d’édition Le Quartanier. Une agréable façon de découvrir de nouveaux auteurs québécois et d’oser ensuite leurs autres productions.

     

     Ristigouche, Eric PLAMONDONRistigouche, Eric PLAMONDON

     

     

     

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  • J'écris parce que je chante mal, Daniel H. RONDEAUCe matin, je roulais à 120 vers le travail. Rien ne pressait pourtant, mais la moto semblait avoir trouvé l’hiver très long.
    Je suivais depuis quelques moments une de ces voitures-camions qu’on excuse par l’arrivée d’un enfant. Dans cette boite de tôle six cylindres, il y avait une gamine au sourire troué qui me regardait avec fascination. Je lui ai fait un salut de la main. Elle n’a pas répondu. Petite conne. Je lui ai donc fait une grimace. Elle s’est cachée jusqu’aux yeux derrière le dossier de la banquette, puis, sans prévenir, elle m’a tiré une balle avec son index. Bang
    !

    Mon avis :

    Daniel Rondeau est professeur de français dans un collège anglophone de Montréal. Linguiste amoureux de la langue française, il excelle dans l’art de décrire des rencontres. Il nous propose dans ce recueil, plus de cinquante nouvelles minimalistes où, en mots choisis, il nous dépeint un moment suspendu dans la vie de ses personnages. Ces instantanés, écrits dans une langue superbe, créent en peu de mots un univers différent à chaque fois mais toujours décrit avec une belle sensibilité. Rien de commun, de plat, de niais dans ces scènes de vie ordinaire touchantes où en quelques phrases il saisit l’essentiel de l’atmosphère, du décor, de la situation. Il n’a pas son pareil pour toucher le cœur des relations humaines, le petit défaut, la blessure cachée, le moment de grâce... Surprise par la mélancolie que dégagent ces textes, j’ai pourtant pris plaisir à côtoyer les êtres solitaires qui les peuplent. Il faut beaucoup aimer l’humain pour en parler si bien en si peu de mots.

    Daniel Rondeau joue et jongle avec les mots qu’il brode en phrases délicates telle une dentelle de Bruges. Outre cette langue poétique d’une grande finesse où affleure beaucoup de tendresse, j’ai aimé les situations décrites. Tant de tranches de vie où chacun peut se reconnaitre ou que l’on a vécues sans en percevoir la force dramatique ou drôle que Daniel Rondeau en retient, son regard bleu profond portant au-delà des apparences. Il nous offre ici des portraits magnifiques dans lesquels il a certainement glissé une part de lui-même.

    Un recueil qui m’a touchée et auquel je reviendrai certainement. Je ne peux que vous encourager à lire à votre tour ce coup de cœur québécois paru en Belgique aux Editions Quadrature, car si Daniel Rondeau chante mal, il écrit magnifiquement bien.

     

    J'écris parce que je chante mal, Daniel H. RONDEAU

     

     

     

     

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  • Chaque automne j'ai envie de mourir, Véronique COTE & Steve GAGNON«Mais moi on dirait que j'ai pas signé de contrat, je me rappelle pas d'avoir signé ça là, un contrat de gentillesse sociale, pis je me dis que, qu'on se connaisse ou pas, on se parle des fois quand ça nous adonne, pis d'autres fois on se parle pas parce que ça nous tente pas cette fois-là, pis y pourrait comme pas avoir de problème, on pourrait arrêter de se poser des questions pis de se sentir coupable. Pis ça se peut aussi de juste sourire, on sous-estime je trouve les sourires, mais c'est simple, c'est rapide, c'est sobre mais en même temps très chaleureux, ça veut dire ce que ça a à dire.»

    Mon avis :

    Ce recueil de courtes nouvelles a une histoire étonnante. Pour un parcours théâtral déambulatoire, Véronique Côté (comédienne et metteure en scène) a lancé « un appel aux secrets » sur internet. Elle a demandé qu’on lui confie un secret en échange d’un anonymat total. Des centaines de missives et de messages sont arrivés. Des drôles, des émouvants, des troublants, des choquants... Il a fallu faire un tri puis les réécrire en petites histoires courtes destinées à être jouées en quatre ou cinq minutes, devant un public intime, dans des lieux publics. Des secrets susurrés à l’oreille des spectateurs. Steve Gagnon (comédien et auteur) s’est joint à elle pour finaliser tout ça. Trente sept petits récits concis, justes, enchanteurs et vifs à la fois sont nés et forment ce recueil à déguster lentement.

    Comme souvent, tous n’ont pas fait écho en moi. Mais beaucoup m’ont fait frissonner, m’ont touchée ou fait sourire. Je pense notamment à « Carnet » et « Lapin ». (La première phrase de « Lapin » a d’ailleurs donné son titre au recueil). Que de tendresse et d’amour dans ces deux nouvelles !
    P
    orteurs d’un titre en un mot et classés par ordre alphabétique, ces petits bijoux littéraires, ces secrets personnels dissimulent une force et une fragilité incroyables rendant hommage à ceux qui composent notre univers.

    Rédigées dans une langue courante qui colle aux histoires racontées, ces fenêtres ouvertes sur la vie parlent d’enfance, d’amour, de famille, du temps qui passe, de déception, de peur, d’attente... Chaque récit est une découverte, une surprise. Ils auraient pu être écrits par chacun de nous, pour chacun de nous et c’est en cela qu’ils sont le plus émouvants. J'ai vraiment beaucoup aimé.

    Un recueil à emmener partout pour lire un secret quand on a cinq minutes et le laisser infuser en nous. A déguster sans modération.

     

     Chaque automne j'ai envie de mourir, Véronique COTE & Steve GAGNONChaque automne j'ai envie de mourir, Véronique COTE & Steve GAGNON

     

     

     

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  • Dans le bleu de ses silences, Marie CELENTINBérénice, fille du roi Ptolémée Philadelphe, a vécu au IIIe siècle avant notre ère. On lui donna le surnom de Phernèphoros, « celle qui apporte la dot », en raison du trésor inestimable quelle reçut de sa famille lors de son mariage avec le roi de Syrie. Cinquante ans plus tôt, Alexandre le Grand était mort prématurément, en léguant un monde nouveau à ses compagnons darmes et aux milliers daventuriers qui lavaient suivi dans sa flamboyante conquête de lOrient. Nous sommes au début de laventure de lÉgypte des Ptolémées. Nous sommes à lorée dune nouvelle ère. Lhistoire dAlexandrie ne fait que commencer. Pour tous ceux qui y vivent, elle est déjà une légende. À la manière de Bérénice, Titus, Ptolémée, Zénon, Nathanyah, Diounout et tous les autres, nous aussi, nous sommes tous, alourdis par le poids des traditions et des souvenirs qui nous ont été transmis, modelés par notre temps et notre histoire familiale, nous sommes en quête de bonheur et parfois capables, au détour dune rencontre, à la faveur dune coïncidence, de sublimer notre destinée et de conquérir notre liberté.

    Mon avis :

    D’emblée, je voudrais adresser mes plus vifs remerciements aux Editions Luce Wilquin et à leur attachée de presse pour m’avoir envoyé ce roman. J’avoue humblement que je ne l’aurais peut-être pas lu s’il ne m’avait été offert. En effet, la longueur et le poids de l’ouvrage m’auraient probablement freinée. Et c’eut été bien sot.

    Le récit qui nous est conté comprend trois parties et s’étend sur une trentaine d’années. Tout commence à Alexandrie au printemps 274 ACN dans la capitale hellénistique de l’Egypte. Ptolémée II règne alors, en digne successeur pense-t-il, d’Alexandre le Grand. Les Ptolémaia sont célébrées en grande pompe afin de rassembler en une même ferveur patriotique les cultures grecque et égyptienne. Au même moment arrivent à Alexandrie deux ambassadeurs romains, chargés de nouer des liens commerciaux et de sceller des alliances politiques entre les deux puissances méditerranéennes. En ces jours de libation, un jeune homme, Callias, rentrant de mission pour le roi est sauvagement assassiné dans une ruelle de la ville. Ce crime sauvage et odieux va pousser Péisiclès à diligenter une enquête personnelle et discrète sur cet assassinat.

    Cette première partie, principalement tournée vers l’intrigue policière, est l’occasion pour l’auteure de mettre en place ses nombreux personnages dans un décor soigneusement détaillé tant géographiquement que socialement. Dès les premières pages, le cadre est donné. On découvre la ville d’Alexandrie, son architecture novatrice, ses mythes et ses légendes, les intrigues, les dessous du pouvoir, la vie quotidienne du peuple et des nantis et surtout Ptolémée II. Ce roi malgré lui aurait-on envie de dire, qui aime la bonne chair, les plaisirs de la vie, la poésie, la culture, la philosophie mais n’est certes pas un chef de guerre. Bref un jouisseur qui exalte la joie et la beauté. « Il voulait que chaque instant de sa vie, à défaut d’être une fête, fût une œuvre d’art. » «  La délectation dans tous les domaines était son empreinte, sa création, l’unique réalisation de son règne qu’on ne pourrait attribuer qu’à lui seul. »

    D’essence divine – son père n’était-il pas un dieu vivant – il se sait porteur d’un devoir, d’une mission et de responsabilités qui parfois le dépassent. Mais toujours, il cherchera à créer l’harmonie et notamment par le rapprochement des civilisations grecque et égyptienne, cette union dit-il « de l’ordre et du chaos, de la sauvagerie et de la civilisation, du plaisir et de la contrainte, de la vie et de la mort, indissociables pour comprendre la place de l’homme dans l’univers. »
    Marié deux fois, à deux jeunes femmes portant le prénom d’Arsinoé (deux opposés, la glace et le feu) il aura trois enfants de sa première épouse dont une fille, Bérénice, une jeune femme « enfermée en elle-même ». Ce qui n’empêchera pas son père de la marier de force à son ennemi Antiochos afin de faire cesser la rivalité entre les deux royaumes.

    Autour du roi et de sa famille gravitent une série de personnages que l’on suit tout au long du roman : Apollonios, directeur de la bibliothèque d’Alexandrie, Callicratès, amiral et conseiller du roi, Titus jeune romain devenu mercenaire du roi, Callimaque, Zénon, Nathanyah... et tant d’autres dont les histoires forment la trame romanesque de l’ouvrage. En suivant ses personnages, leurs amitiés, leurs amours, leur travail quotidien, Marie Celentin en profite pour glisser de belles réflexions sur l’éducation des enfants et l’enseignement, la liberté et le devoir, la littérature, les cultes ou la gastronomie. Dans la deuxième partie du livre, elle nous offre une analyse magistrale d’Iphigénie à Aulis (d’après une traduction de Marie Delcourt s’il vous plaît) et l’on ne peut que créer un lien entre la destinée de Bérénice et celle de cette jeune Iphigénie, toutes deux sacrifiées au nom du devoir d’Etat.

    A travers ces histoires où se mêlent réalité et fiction, l’auteure nous montre que le pouvoir n’est pas un don gratuit et que la plus grande force de l’homme est sans doute de pouvoir assumer ses faiblesses. Elle prouve aussi que tout être humain, quelle que soit sa condition, peut faire des choix en toute liberté et sublimer, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, sa destinée.

    Marie Celentin nous offre ici un ouvrage remarquable qui ravira les amoureux de l’Antiquité, de l’Histoire et des beaux récits joliment contés. Un livre exigeant aussi qu’il faudra apprivoiser lentement pour bien savourer toute sa richesse et sans doute un dictionnaire à la main, tant le vocabulaire est riche et pointu. Sa plume alerte nourrie des légendes et de l’histoire helléniques rend ce long récit tragique passionnant d’un bout à l’autre. Je ne peux que vous encourager vivement à le découvrir.

    Marie Celentin, professeur de langues anciennes à Liège, nous offre ici son tout premier roman.

     

     

     

     Dans le bleu de ses silences, Marie CELENTIN

     

     

     

     

     

     

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