• L'architecte du désastre, Xavier HANOTTEElle n'était pas venue me voir à l'hôpital, même quand j'avais été rapatrié. Et, depuis un an, elle ne se contentait pas de raccourcir ses réponses, elle ne m'écrivait tout simplement plus. Au début, j'avais accusé l'incurie de la Feldpost. Puis, peu à peu, j'avais accepté la situation. En un an, aucune nouvelle de Bruchsal n'était parvenue à aucune de mes adresses successives, du centre de tri sanitaire à la clinique de rééducation, près de Francfort. J'avais pourtant gardé mon alliance, par habitude plutôt que par fidélité. Car je ne rêvais plus d'elle de même que, selon toute vraisemblance, elle ne rêvait plus de moi."  

    Mon avis :
     

    « L’architecte du désastre » est un bref roman de 85 pages qui inaugure ce recueil de nouvelles de Xavier Hanotte. Dans ce premier récit, le héros est tiraillé entre ses envies et ses obligations, ses rêves et la réalité. Mai 1941. A peine sorti de l'hôpital, l'Oberleutnant Eberhard Metzger débarque à Bruxelles, où règne  l'armée allemande victorieuse. Mission lui est aussitôt donnée d'évaluer l'intérêt artistique d'un monument promis à la destruction. Lui, l’idéaliste, pour qui dessiner des maisons, des bâtiments… était un réel plaisir doit maintenant statuer sur le maintien ou la destruction de monuments qui déplaisent à quelques chefs nazis. Doit-il obtempérer ? Doit-il rester fidèle à lui-même ? Doit-il tenir compte des éventuelles conséquences ?
     

    Les textes suivants (huit en sus) forment trois étapes : les temps enfuis (dont l’architecte fait partie), les temps poreux et les temps présents. Ce sont de brefs romans ou de courtes nouvelles déjà parus auparavant dans diverses revues. Leur point commun est de mettre en scène des héros confrontés à eux-mêmes, se débattant contre le monde qui les entoure et vis-à-vis duquel ils se sentent en décalage.

    Quelle que soit l’époque, Xavier Hanotte les décrit sans s’appesantir, laissant au lecteur le soin de se faire une idée personnelle de chacun. A nous de voir l’ironie de la situation, d’entrer ou non en empathie avec ces quidams, de laisser leur histoire faire écho à la nôtre. Chaque personnage dévoile sa fragilité face à des situations qui le dépassent. Que ferions-nous à leur place ?

    Réflexion sur la société, le temps qui passe, la fidélité, le devoir… ce recueil empreint de nostalgie est d’une écriture élégante et poétique, à l’image de son auteur. Un écrivain qui vaut vraiment la peine d’être découvert. Merci Anne !

     

    L'architecte du désastre, Xavier HANOTTE

     

     

     

     

     

    Pin It

    5 commentaires
  •  La littérature belge, complexité et richesse

    Le mois belge se poursuit chez Anne et Mina et avec lui de jolies pages d’écriture se tournent.

    C’est Reka qui la première m’a donné l’envie de découvrir d’autres romans belges que ceux des auteurs que je lisais déjà (Amélie Nothomb, Simenon ou Nadine Monfils par exemple). Par la suite, en suivant le blog d’Anne, j’ai découvert d’autres écrivains comme Xavier Hanotte. J’aime lire belge régulièrement, comme j’aime lire québécois, car je retrouve dans cette littérature un art de vivre et des émotions qui font écho en moi.

    Les puristes vous diront sûrement qu’il n’y a pas de littérature belge mais des écrivains francophones ou néerlandophones. Or ce sont justement ces deux aspects qui nous identifient et nous définissent. Nous ne serions rien l’un sans l’autre, nous ne serions pas ce que nous sommes et notre richesse littéraire en serait amoindrie. Bien malin qui peut dénouer la complexité de la situation en Belgique, dans la mesure où le contexte linguistique a influencé et influence encore grandement notre littérature. Au XIXe siècle, bon nombre d’auteurs belges francophones ont en fait le flamand comme langue maternelle dont Emile Verhaeren et Maurice Maerterlinck. Ecrivant en français, ils ont ainsi imposé la Flandre sur la carte littéraire européenne.
     
    Parmi les Flamands, Jozef Muls et David Scheinert ont écrit respectivement de sensibles évocations de la vie urbaine ou paysanne témoignant de leur attachement à leur Flandre natale. On retrouve chez eux les préoccupations et un peu de la poésie d’Emile Verhaeren. -Verhaeren, dont le premier recueil « Les Flamandes » fit scandale à l’époque de sa parution et choqua ses compatriotes alors qu’il était encensé chez nous- Comme le fera plus tard, Jef Geeraerts dont les ouvrages racontent sa vision de l’Afrique et de la colonisation bien avant que David van Reybrouck ne nous propose son histoire du Congo.

    Ma connaissance de la littérature flamande s’arrête hélas ici. Trop d’auteurs, trop de romans et pas assez de temps. Peut-être qu’un jour, je lancerai un mois de la littérature flamande, qui sait ?

    En ce qui concerne la littérature belge francophone, elle s’est longtemps confondue avec la littérature française, nos écrivains étant étudiés en France jusque dans les années cinquante, sans que l’on sache qu’ils étaient belges, comme les Liégeois Simon et Simenon. Aujourd’hui, force est de constater que Paris domine toujours largement le champ littéraire francophone. Pour être édités et connus, les auteurs belges ont intérêt à publier dans la capitale française, quitte à atténuer leur spécificité. Il y a quelques années encore, ils passaient donc pour Français – qui sait, en France, que Marguerite Yourcenar ou Françoise Mallet-Joris sont Belges ? Il semblerait que la roue tourne et qu’être Belge en France est de bon ton. Cela donnera-t-il plus de visibilité à nos écrivains ? Et nos auteurs doivent-ils revendiquer leur belgitude et mettre en avant leur différence culturelle ou gommer toute altérité ? Il n’est certes pas simple de trancher et je vous laisserai répondre.

    Si ma connaissance des classiques de la littérature belge est à parfaire, celle de mes contemporains est plus riche. La tenue de mon blog m’ayant fait sortir des sentiers battus, pour aller à la rencontre d'auteurs et de maisons d’édition bien de chez nous. Sans vouloir être exhaustive, je citerai parmi ceux que vous pouvez y trouver : Barbara Abel, Elisa Brune, Valérie Cohen, Geneviève Damas, Gudule, Eva Kavian, Katia Lanero-Zamora, Aurélia Jane Lee, Nadine Monfils, Colette Nys-Mazure, Amélie Nothomb, Françoise Pirart, Nicolas Ancion, Frank Andriat, Luc Baba, Jean-Baptiste Baronian, Alain Berenboom, Daniel Charneux, Michel Dufranne, Frédéric Ernotte, Ferry, Xavier Hanotte, Alexandre Janvier, Armel Job, Arnaud de La Croix, Alain Magerotte, Jacques Martin, Jacques Neyrinck, Jean-Luc Outers, Thierry Robberecht, Romain Renard, Georges Simenon, Bernard Tirtiaux, Michel Torrekens, Antoine Wauters, …

    Que ces auteurs revendiquent leurs origines ou les gomment, ils écrivent notre histoire dans sa diversité. Indirectement, leur belgitude transparait dans leur langue, leurs histoires, dans leur rapport à l’autre et à la vie en général. Leurs romans deviennent notre héritage et les auteurs, de merveilleux ambassadeurs de notre pays, terre du chocolat, de la bière, de la BD et…d’une douceur de vivre bien particulière.


    Ci-dessous, vous trouverez d'autres articles du blog parlant de la littérature belge.

    http://argali.eklablog.fr/trente-ans-de-lecture-made-in-belgium-a3391908  
    http://argali.eklablog.fr/la-litterature-belge-a1925065 
    http://argali.eklablog.fr/patrimoine-et-litterature-a5510757

     

     

     

    Pin It

    14 commentaires
  • On the Brinks, Sam MILLARDe fait, le spectaculaire récit autobiographique de Sam Millar a tout d’un thriller. À ceci près que si on lisait pareilles choses dans un roman, on les trouverait bien peu crédibles.
    Catholique, Millar combat avec l’IRA et se retrouve à Long Kesh, la prison d’Irlande du Nord où les Anglais brutalisent leurs prisonniers. Indomptable, il survit sans trahir les siens: voilà pour la partie la plus noire, écrite avec fureur et un humour constant.
    Réfugié aux Etats-Unis après sa libération, il conçoit ce qui deviendra le 5e casse le plus important de l’histoire américaine. La manière dont il dévalise le dépôt de la Brinks à Rochester, avec un copain irlandais, des flingues en plastique et une fourgonnette pourrie, est à ne pas croire. Même Dortmunder, dans un roman de Westlake, s’y prendrait mieux. Il n’empêche, le butin dépasse les 7 millions de dollars!
    Un procès et une condamnation plus tard, il retrouve la liberté, mais entretemps, la plus grande partie de l’argent a disparu. Millar semble avoir été roulé par ses complices. Saura-t-on jamais la vérité?
    En tout cas, le FBI cherche toujours!

    Mon avis :

     Fan de polars et amatrice de récits sur la Seconde Guerre mondiale, je croyais avoir déjà lu du glauque, du gore, de l’insoutenable… et découvert le tréfonds de la noirceur de l’âme humaine. C’était sans compter le récit autobiographique de Sam Millar.

     « On the brinks » est construit en deux temps. Il relate dans une première partie, les vingt cinq premières années de Sam Millar. Adolescent catholique, il a 14 ans quand il vit le Bloody Sunday. Il prend alors douloureusement conscience du combat politique à mener. Arrêté à dix-sept ans, il aurait pu écoper d’une amende, il sera condamné à 3 ans de prison et en fera… huit ! Enfermé à Long Kesh, dans des conditions inhumaines, bestiales, et dégradantes parce qu’il a refusé, comme d’autres, d’enfiler l’uniforme britannique des prisonniers, il supportera l’horreur de la brutalité et de la cruauté des gardiens, ne cessant de rivaliser d’ingéniosité pour torturer les détenus. Il est impensable que de tels faits aient pu avoir lieu à notre époque, dans un pays « civilisé » de l’UE et inadmissible que les responsables directs et indirects n’aient jamais été inquiétés.

     Dans la seconde partie, heureusement plus légère, nous découvrons un Sam Millar réfugié aux Etats-Unis. Travaillant d’abord dans un casino clandestin comme croupier, il deviendra directeur des caisses puis, à la fermeture du casino, bouquiniste. Grâce à quelques relations, il aura ensuite l’opportunité d’être le concepteur du 5e casse le plus important de l’histoire américaine. Pourtant la préparation est tellement naïve et amateur qu’aucun auteur sérieux n’oserait s’en servir dans un roman. Il n’empêche, ce vol leur rapportera 7 millions de dollars.

     J’ai dévoré ce récit comme un thriller tant il est passionnant d’un bout à l’autre. La première partie est un uppercut que je n’attendais pas mais derrière l’horreur des faits, il y a une écriture nerveuse, acérée et forte et un humour constant qui permet de prendre quelques respirations bienvenues. La deuxième ne nous dévoile pas tous les détails de sa vie et du casse et cela ne fait qu’accroitre le côté mystérieux de cette histoire dont le FBI ne connait pas encore toute la vérité.

     Je tenais à commencer ma découverte de Sam Millar par ce livre avant de me plonger dans ses romans pour comprendre son passé et mieux apprécier son écriture, marquée de l’histoire de sa vie. Je ne suis pas déçue. Cette autobiographie dure et poignante est une formidable leçon de courage et une ode à la vie. Secoué par la violence des évocations et des mots, on sort bouleversé de cette lecture.

    Je vous recommande chaudement ce livre.


     

      

     On the Brinks, Sam MILLAR

     

     

     

     




    Pin It

    3 commentaires
  • CMémé goes to Hollywood, Nadine MONFILSette fois, c’est décidé, Mémé Cornemuse va réaliser son rêve : partir à Hollywood rencontrer son idole JCVD. Pour ça, elle est prête à tout : voler une baraque à frites, rouler jusqu’au Havre et se faire embarquer sur un bateau direction les States. Promue direct à la plonge, elle se débarrasse du cuistot et prend sa place. Cette vieille bique ne doute de rien, elle va flanquer le souk à bord…

    Mon avis :

    Mémé Cornemuse revient avec la forme des grands jours. Là voilà prête à tout pour financer un voyage aux States afin de rencontrer son idole JCVD ; même se faire adopter !
    Nadine Monfils aussi est en grande forme ; son héroïne n’a jamais été si déjantée. Elle se laisse même aller à chanter des chansons paillardes.

    Mêlant l’actualité à son intrigue, elle égratigne au passage la famille Brangelina, les militants contre le mariage pour tous, le bourgmestre de Néchin qui a accueilli Gérard Depardieu et à côté de qui Michou passe pour un homme classe et distingué… et bien d'autres.

    Comme toujours, c’est drôle, fou, exagéré et inclassable. Mais cette fois, je suis entrée moins vite dans l’histoire que d’habitude. La redondance sans doute. Le début m’a semblé franchement lourd. Il a fallu attendre que Mémé taille la route pour entrer dans la dynamique de l’intrigue et prendre plaisir à ce road trip loufoque qui nous déconnecte du quotidien. On retrouve une Mémé en forme olympique et toute une galerie de personnages improbables et pittoresques.

    Nadine Monfils a un talent fou et il ne faudrait pas qu’elle le brade pour faire rire à tout prix. Elle a suffisamment d’humour et de répartie pour que sa Mémé mouche tout le monde sans être exagérément vulgaire. Même San Antonio avait ses limites.

    Bref, un roman noir dans la veine des précédents mais qui m’a un peu moins plu car trop is te veel comme on dit chez nous.

    Petit clin d'œil d'humour belge en ce mois belge, avec la bande annonce de la sortie du livre ici.

    Mémé goes to Hollywood, Nadine MONFILS Mémé goes to Hollywood, Nadine MONFILSMémé goes to Hollywood, Nadine MONFILSfamille

     

     

    Pin It

    11 commentaires
  • Un élève de trop, Julia JARMANDanny vit une terrible descente aux enfers : il est le souffre-douleur de la classe du collège anglais dans lequel il vient d'entrer. Même son meilleur ami d'enfance semble le fuir, comme les autres. Pourquoi cette haine farouche ?

    L’avis de Pierre-Yves :

    C’est l’histoire de Danny Lamb, un jeune collégien qui, dès son arrivée dans son nouveau collège, est rejeté par certains garçons de sa classe, dont son meilleur ami d’enfance Frank. Celui-ci est menacé par les autres afin qu'il participe aux moqueries. Les autres font remarquer à Danny ses défauts, ses cheveux gras, trop longs, son odeur et lui reprochent de ne pas aimer les mêmes choses qu’eux. Danny aime le latin, l’armée, s’intéresse à la Seconde Guerre mondiale mais ni au foot, ni aux filles.
    Au début, ce sont juste de petites insultes ensuite ils vont le frapper, le menacer et faire pression moralement. C’est ainsi que l’escalade de la violence s’enclenche.
    Ce livre ne m’a plu qu’à moitié car l’histoire est fort dure : la discrimination et la maltraitance sont très présentes. Se dire que cela se passe vraiment est effroyable. Cependant l’écriture est juste, le vocabulaire d’un niveau moyen est accessible et l’histoire est rythmée.
    Je conseillerais ce livre à des jeunes d’au moins 13 ans pour la violence des scènes.

     Un élève de trop, Julia JARMAN

     

     

    Pin It

    9 commentaires
  • Le cahier de Leïla, De l'Algérie à Billancourt, Valentine GOBY1963 : la famille de Leïla vient de rejoindre le père, ouvrier des usines Renault à Bilancourt. Dans ses montagnes de Kabylie, Leïla attendait cet instant depuis toujours. Dans son journal intime, elle nous raconte la découverte de ce nouveau pays, ses joies, ses peines, avec toujours, dans le cœur, le souvenir de son pays natal.

    Mon avis :

    J’ai été surprise en recevant ce livre des Editions Autrement, grâce à Masse critique. En effet, je ne m’attendais pas à un récit si court. Pourtant, Valentine Goby parvient à nous faire vivre en 48 pages toute la difficulté de l’adaptation de la famille Boulkroun à la vie en France. Nous découvrons une famille où père et mère ont une vision antagoniste de la situation et se heurtent à l’incompréhension de l’autre. Au milieu, Leïla tente comme elle peut de concilier les points de vue et de rendre sa famille heureuse, tout en essayant de se faire une place dans ce nouveau pays. Pourtant, rien ne leur sera épargné : le changement de climat, de mode de vie, l’accueil inexistant des Français et leur méfiance hostile, les conditions de travail pénibles…
    Ce récit s’inscrit dans une volonté de raconter l’Histoire aux plus jeunes, ici celle de l’immigration des Algériens en France. Après le récit, un dossier d’une quinzaine de pages replace l’histoire de Leïla dans le contexte de l’époque et propose aux enseignants de poursuivre la découverte avec quelques pistes didactiques. Un lexique et une chronologie des événements importants complètent le tout.

    J’ai bien aimé ce récit. Sans lourdeur mais sans rien occulter, il remet en contexte l’arrivée des Algériens en France. Il m’a rappelé l’album graphique de Laurent Maffre « Demain, demain » qui raconte l’histoire du bidonville de Nanterre. Une bien sombre période de l’histoire de France qu’il me semble utile et nécessaire d’enseigner aux jeunes générations.

    Pour parfaire le texte, des illustrations émaillent joliment l’ouvrage. Elles émanent de Ronan Badel, auteur-illustrateur de romans jeunesse.

    Un petit livre à découvrir et à faire découvrir aux enfants dès 10 ans.

     

     

     

     

     

     

     

     

     




    Pin It

    5 commentaires
  • Le cavalier démonté, Gisèle BIENNESa femme l’a quitté à cause de ses colères spectaculaires. Les gens le traitent de mécréant, de comédien, d’alcoolique, de dépressif, d’illuminé.
    Lucille, elle, pense que son grand-père est peut-être un génie. On lui a dit qu’elle avait le même caractère que lui. Elle se demande s’il se sent aussi seul qu’elle.
    Un soir, après le lycée, elle prend son courage à deux mains et pousse la porte du café où il retrouve tous les jours ses amis, des gueules cassées de la guerre de 1914. Il est là, le corps intact, l’esprit inguérissable. Ici, entre les vapeurs d’alcool et la fumée des cigarettes, règne une liberté de parole comme Lucile n’en a jamais connue.
    Nous sommes le 19 novembre 1964. Les foyers français se modernisent. Une jeune fille s’apprête à partir, à travers les villages disparus de l’Argonne, à la rencontre du passé de son grand-père.

    Mon avis :

    Dans ce roman, Gisèle Bienne touche du doigt la difficulté de vivre après la guerre, de survivre plutôt. Pour Félicien, le retour à la vie normale est impossible. Avec trois amis, ils se retrouvent au café, chez Lou et refont l’Histoire. Il est le seul physiquement intact mais il est le plus tourmenté du groupe.
    Instituteur, il a été incapable de reprendre les cours, de s’intéresser aux enfants. Il a aussi été incapable de reprendre la vie commune et de renouer des liens d’amour avec sa femme. Elle voulait aller de l’avant, oublier ce conflit. Il était incapable de faire une croix sur les combats, les morts, l’horreur. Cette guerre a fait de lui un animal féroce. Ce cavalier devenu fantassin devant l’inutilité du cheval dans les tranchées (d’où le titre) est aussi démonté contre la guerre, les gradés, chefs d’Etat et la société dans son ensemble qui n’a rien compris.
    Ayant renoué avec sa petite-fille malgré lui, il l’emmène en excursion sur les routes de Champagne et d’Argonne. Elle découvre les cimetières, la ferme de Navarin où du moins le panneau qui indique sa présence autrefois, avant la désastreuse offensive de 1915… Ils évoquent les poètes combattants, Aragon, Cendrars, Apollinaire. Il se remémore pour elle les mutineries du Chemin des Dames en 1917, renâcle contre les monuments aux morts, les cérémonies du 11 novembre, l’hypocrisie de la société…
    Pour moi, les plus belles pages sont celles qui décrivent ces escapades sur les lieux des batailles.

    Pourtant, bien que remarquablement écrit, ce roman me laisse perplexe. Destiné aux jeunes, le discours est quelque peu décousu, comme le sont les conversations à bâtons rompus que les quatre hommes enfilent à chaque fois qu’ils se retrouvent. La guerre étant leur seul sujet de discussion. Tout au long de ma lecture, je me suis demandé si mes élèves percevraient les finesses de ces échanges, les non dits, la pertinence des propos de ce vieux fou de Félicien.

    De plus, trouveront-ils plausible ce parcours initiatique d’une jeune fille qui préfère la compagnie de quatre messieurs âgés à celle d’amis de son âge ? Comprendront-ils qu’elle fuie ses propres problèmes en compagnie de cet irascible grand-père, aux côtés duquel elle est une intruse ? Que peut-elle comprendre de ces discussions, elle qui n’a que quinze ans ?

    Je prendrai cependant le pari de leur compréhension, tant le côté passeur de mémoire est riche et le réquisitoire pacifiste intéressant. Je reviendrai vous en parler dans quelques temps.

     

     Le cavalier démonté, Gisèle BIENNE

     

     

    Pin It

    5 commentaires