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Par argali le 2 Novembre 2018 à 00:00
Anaïs et Janvier s'aiment depuis l'enfance. Ils grandissent auprès de Noëlla, la tante de Janvier. Dans la Basse-Ville de Québec, près de la rivière Saint-Charles, entourés de livres et de chansons, ils sont à l'abri de tout, sauf des cœurs nénuphars. Comme la Chloé de Boris Vian, Janvier est malade et Anaïs est terrorisée. Obsédée par la mort qui guette, elle pousse tout croche.
Mon avis :
J’ai rencontré l’auteure, Valérie Forgues, à la librairie Tulitu où elle dédicaçait ses livres. Cette femme vive et douce à la fois m’a donné envie de découvrir son univers. J’ai commencé par son dernier roman Janvier tous les jours, édité par Hamac.
Anaïs connait Janvier depuis l’enfance. Elle a vécu ses premières fois à ses côtés tout au long de sa vie, l’a connu en forme pédalant au bord de la rivière avec elle, lisant Boris Vian ou Lucy Maud Montgomery avec lui ou alité, aux pires moments de sa maladie. Quand le récit commence, ils débutent la trentaine, Janvier est au plus mal et Anaïs vit les derniers moments d’une relation chaotique qui dure depuis trois ans. Quand le cœur de Janvier lâche, Anaïs lâche tout à son tour et s’enfuit en Europe. Elle trouve refuge chez de curieux logeurs qui ont ouvert leur grande maison à des artistes en résidence. Elle y rencontre Elena, peintre italienne et Alejandro, écrivain brésilien. Elle donne à voir que tout va bien mais le passé la rattrape.
Ce roman tout en mélancolie et poésie est d’une vitalité étonnante. Malgré les états d’âme d’Anaïs et la mort qui l’oppresse et l’empêche de vivre, l’auteure parvient à la maintenir à la vie par un fil ténu mais essentiel. Les chapitres très courts, parfois une page, illustrent les émotions qui l’habitent, les crises, les éclats de voix ou de rires et tout l’arc-en-ciel de sentiments qui la traversent avec fulgurance. Anaïs est à vif mais refuse de l’admettre. Elle en perd les mots qu’elle voudrait coucher sur le papier, ce pourquoi elle est là, en bord de Seine, dans une maison qui ressemble tellement à son Château de Québec.
A travers son héroïne, c’est le lecteur que Valérie Forgues questionne. Comment l’amour, l’amitié peuvent-ils survivre au deuil ? Comment vivre quand on a le sentiment d’avoir perdu une part importante de soi-même ? Est-ce que la vie est toujours plus forte que la mort ? L’écriture peut-elle être un baume dans ces moments-là ?
J’ai été séduite par la plume de l’auteure, sa douceur, sa beauté et sa poésie. Je me suis laissée portée par ses mots, la tendresse de sa langue ; ses phrases courtes, brutes, au plus près de la crise, quand le présent est trop lourd ; ses longues descriptions nostalgiques quand les souvenirs affleurent.
Ce court roman qui parle du deuil avec justesse s’est insinué en moi et des passages me reviennent en mémoire quelques jours après l’avoir refermé. J’ai vraiment eu l’impression de vivre dans l’intimité d’Anaïs, au plus près de ses émotions. Une belle lecture, qui secoue et réconforte à la fois.
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Par argali le 24 Octobre 2018 à 21:30
Janvier 2016 : une jeune étudiante à l’université de Venise est retrouvée noyée dans la lagune. C’est le début d’une série d’assassinats dont on ne comprend pas le motif. Elle consacrait une thèse à l’une des principales confréries du XVIe siècle, qui avait été la cible d’une série de crimes durant le carnaval de Venise en 1575, baptisé par les historiens « Carnaval noir »…
Cinq siècles plus tard, les mêmes obscurantistes qui croyaient faire le bien en semant la terreur seraient-ils toujours actifs ? Bénédict Hugues, professeur de latin à l’université de Genève, parviendra-t-il à déjouer une machination ourdie par l’alliance contre-nature d’un groupuscule d’extrême droite de la Curie romaine et de mercenaires de Daech, visant à éliminer un pape jugé trop bienveillant à l’égard des migrants ?
Mon avis :
Delendi sint haeretici !
L’Histoire se répèterait-elle ? Les complots visant à déstabiliser l’Etat ou l’Eglise n’en finissent-ils jamais ? Le traité de Machiavel, rédigé au XVIe siècle, semble éminemment moderne, la réalité étant parfois pire que la fiction.
Tout commence à Venise lorsqu’une jeune doctorante en Histoire s’approche de trop près, d’une confrérie caritative qui, en 1575, disparut corps et biens durant le carnaval. Le siège de la confrérie fut incendié et un prestigieux tableau peint par Paolo il Nano disparut à son tour avant que l’auteur ne soit retrouvé pendu au pont du Rialto, quelques jours plus tard. Personne n’a jamais su qui était derrière ces crimes et les historiens de l’époque ont appelé ces événements « Carnaval noir ».
Mêlé à cette histoire bien malgré lui, Bénédict Hugues, éminent professeur de latin médiéval à Genève n’aura de cesse de comprendre le lien entre la confrérie du XVIe siècle et les meurtres de 2016.
Dans ce roman, Metin Arditi nous raconte l’histoire d’un complot : le 29 juin 2016, un double attentat doit avoir lieu à Rome. Si les terroristes sont issus de la filière libyenne de Daesh, les commanditaires, eux, sont membres d’un groupuscule d’extrême droite. La raison de tout cela est double : la peur d’une Europe de moins en moins blanche et chrétienne, pour les uns, la volonté de tuer des infidèles pour les autres.
Reliant les fanatismes d’hier et d’aujourd’hui, ce récit nous promène d’un siècle à l’autre avec érudition. On y retrouve l’univers d’Arditi que j’avais tant aimé dans « Le Turquetto » : le monde de la peinture italienne dont il parle si bien et l’Histoire de la Sérénissime à l’époque de sa splendeur. Soigné, passionnant, ce roman nous offre deux intrigues étroitement imbriquées et deux époques qui, finalement, ne semblent pas si éloignées.
Une fois encore, Metin Arditi se montre un conteur d’exception. Il construit un roman fluide, dans une langue élégante et ciselée où se côtoient latin médiéval, frioulan et français contemporain mais aussi la Venise du XVIe siècle, l’univers feutré des banques suisses du XXI, les manigances de la Curie actuelle et les attentats terroristes de l’EI. Le tout agrémenté d’humour.
On referme ce livre sous le charme de ce roman historique romanesque et proche du thriller ou Metin Arditi interroge la légitimité même de la Curie et sa fidélité au pape. Un sujet éminemment d’actualité.
9e
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Par argali le 15 Octobre 2018 à 00:00
Allan est émigré en France. Il a fait sa vie avec Prune, sa compagne, et tous deux veillent sur Thésée, la mère de Prune, en fin de vie. Alors qu’il est heureux dans cette famille entre ces deux femmes et les deux sœurs de Prune, il refuse d’accepter les appels de sa sœur et de son frère, restés au pays, qui téléphonent tous les jours…
Mon avis :
Beaucoup d’implicites dans cette BD et de non-dits dans la vie Allan-Abel. Au fur et à mesure que le récit avance, on comprend par bribes ce qu’il en est.
Exilé en France où il a fait sa vie, il a tiré un trait sur son passé et changé de nom. Un jour, sa belle-mère étant au plus mal, il décide de retourner chez lui, sur cette terre dont il s’est senti banni afin de lui trouver un remède qui la soulagerait un peu. Mais, malgré les décennies d’absence, les souvenirs douloureux sont encore bien ancrés en lui. Ecartelé entre ses origines et sa vie actuelle, Abel va tenter de recoller les morceaux de son identité.
Il faut du temps avant de comprendre qu’Abel a quitté le Liban où il a vu mourir son père. Il ne parle plus sa langue natale, a abandonné la religion et mis de la distance avec sa famille. Le retour au pays sera initié par sa belle-mère qui, mourante, le pousse ainsi à renouer avec sa propre mère et les siens. Mais ce retour sera douloureux, fera remonter les souvenirs et mettra Abel face à un choix.
Joseph Safieddine, le scénariste, dépeint un homme tourmenté, déchiré entre deux cultures : une qu’il a reniée, une qu’il a choisie mais n’est pas tout-à-fait la sienne. C’est un être complexe, taiseux, renfermé mais dans lequel on sent beaucoup d’affection, de force et de doutes à la fois. L’auteur, comme le dessinateur Kyungeun Park installent une atmosphère, une ambiance que le rythme lent de l’histoire favorise. Par une foule de petits détails, de situations esquissées ou d’événements plus intenses, la personnalité d’Abel et l’origine de ses blessures se construisent peu à peu expliquant ses ambiguïtés.
J’ai aimé le dessin de Park, notamment dans les décors qu’il rend à merveille : la justesse et la précision des traits des animaux ou les paysages montagneux du Liban. Thésée dont la santé décline est également dessinée de façon émouvante : traits vieillis, fatigués, visage souffrant…
Le tout est mis en valeur par Loïc Guyon et Céline Badaroux dans des tons ocre, orange, crème, vert qui rendent bien l’atmosphère chaude du pays.En ce qui concerne l’histoire, j’ai aimé la manière dont l’auteur aborde la famille, ses secrets, ses blessures et ses apaisements ou les tensions qui habitent Abel et les thèmes du déracinement et de l’identité ainsi évoqués. Délaissant le côté politique, Safieddine ancre le récit sur un drame familial pour mieux parler de ces thématiques et c’est réussi.
Beaucoup d’émotions dans cette bande dessinée qui touche à l’intime avec justesse.
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Par argali le 12 Octobre 2018 à 00:00
Qui a bien pu tuer Ichrak la belle, dans cette ruelle d’un quartier populaire de Casablanca ?
Elle en agaçait plus d’un, cette effrontée aux courbes sublimes, fille sans père née d’une folle un peu sorcière, qui ne se laissait ni séduire ni importuner. Tous la convoitaient autant qu’ils la craignaient, sauf peut-être Sese, clandestin arrivé de Kinshasa depuis peu, devenu son ami et associé dans un business douteux. Escrocs de haut vol, brutes épaisses ou modestes roublards, les suspects ne manquent pas dans cette métropole du XXIe siècle gouvernée comme les autres par l’argent, le sexe et le pouvoir. Et ce n’est pas l’infatigable Chergui, vent violent venu du désert pour secouer les palmiers, abraser les murs et assécher les larmes, qui va apaiser les esprits…Mon avis :
Tout commence par un meurtre. Qui et pourquoi a-t-on tué la jeune Ichrak en pleine rue ? Les suspects ne manquent pas. Le commissaire Daoudi qui la désirait et est justement chargé de l’enquête ? Farida Azzouz qui règne en maître sur le quartier de Derb Taliane ou Nordine, son homme de main ? Un amoureux éconduit ? Et pourquoi semble-t-on vouloir faire porter le chapeau à Sese, devenu l’ami d’Ichrak ?
Tout le quartier est en ébullition depuis ce meurtre et le vent chaud qui souffle sur la ville aiguise encore les tensions. Que lui reprochait-on à Ichrak si ce n’est de vivre libre et de tenir tête à tous ? Elle était belle mais solitaire, flanquée d’une mère malade, perdant un peu la tête. Elle cherchait aussi désespérément à connaitre ses origines et le mystère de sa naissance, elle, la fille sans père. Était-elle trop curieuse ?
Au cœur d’un quartier populaire de Casablanca, on plonge au cœur des jalousies et des passions, du trafic et des affaires, des luttes d’influence et de la concupiscence masculine. Sese fait office de candide dans ce panier de crabes, lui qui a échoué là par hasard, roulé par un passeur. Débrouillard, il joue le séducteur sur internet, un brouteur dans le jargon congolais, et vit de l’argent que lui envoient des femmes naïves dont il exploite, sans scrupule, la solitude.
D’un humour cynique, ce roman dénonce avec lucidité la corruption immobilière, l’exploitation des pauvres et des migrants, les magouilles et les intimidations. Certains sont prêts à tout pour obtenir ce qu’ils convoitent même à monter les gens les uns contre les autres et mettre la ville à feu et à sang dans l’indifférence totale des autorités.
Tout au long des deux cents pages du roman, on oscille entre tragédie et comédie. In Koli Jean Bofane a la plume acérée, féroce et brillante. En quelques traits précis, il dépeint un microcosme populeux haut en couleurs et parvient à nous faire rire des malheurs de l’Afrique. Même si parfois, ce rire est triste.
Un récit à lire pour découvrir une population et un état de fait. Brillant.
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Par argali le 9 Septembre 2018 à 00:00
Alicia Zitouni est le genre de femme qui a tout pour aller mal. D’origine marocaine, elle est née en Belgique, mais ne se sent ni d’ici ni de là-bas. Elle sillonne une vie chahutée et marquée au fer rouge par un environnement violent, enfermant, aculturé et soumis au diktat des hommes. Pourtant Alicia rayonne. Elle transpire cet enchantement pour la vie qui permet de la traverser les bras grand ouverts, quel que soit le cadeau de naissance.
Lorsque Mathilde Lambert, jeune femme moderne, décide d’écrire un roman inspiré par le destin étonnant d’Alicia, elle est loin d’imaginer que ce projet va bouleverser sa vie.
En se glissant dans la peau de son héroïne, elle découvrira, au bout de sa propre plume, une manière d’appréhender l’existence aux antipodes de la sienne. Elle pénétrera les mondes invisibles des croyances et de l’imaginaire et se laissera porter par la grâce d’envisager le monde avec poésie. Elle comprendra enfin pourquoi, d’elles deux, c’est Alicia qui souriait le mieux.
Mon avis :
Jusqu’ici, je n’ai fait que de bons choix parmi les romans de la rentrée.
Je termine le dernier livre d’Isabelle Bary, lu d’une traite en quelques heures. Un récit positif (enfin ) et très humain.
Les hasards de la vie ont mis en présence Mathilde et Alicia. Une amitié sincère est née entre ces deux femmes si différentes. La première a un métier qu’elle aime, un compagnon qui l’aime et sa vie est pleine de doutes. La seconde a connu une vie cahotique et pourtant elle possède une force vitale incroyable qui lui permet de voir la poésie et le beau en toute chose. Alicia est une belle âme, elle est solaire et rayonne sur les autres. Elle apaise Mathilde par sa simple présence. Lorsqu’Alicia disparait, Mathilde décide de lui rendre hommage en racontant son incroyable parcours. Plongeant au cœur d’un art de vivre oriental où l’imaginaire et la poésie jouent un rôle primordial, elle va trouver peu à peu des réponses à ses propres questionnements.
La technique narrative -une mise en abîme bien choisie- entrelace la vie et les pensées des deux femmes, rendant le récit dynamique. Pour évoquer les vérités enfouies, les relations familiales, l’espoir, la peur, l’amour… Isabelle Bary décline avec harmonie les notes justes d’une partition vitale mouvementée jusqu’au point d’orgue inattendu.
J’ai été rapidement embarquée par l’écriture fluide et sensuelle de l’auteure qui nous invite dans l’intimité de ces deux femmes. C’est une belle ode à la vie, un roman intimiste qui nous parle de déracinement, d’identité, de douleur mais aussi de la force des femmes et de l’influence que chacun a sur sa propre existence. Apprendre à s’aimer soi-même, à aller à la rencontre de sa part d’ombre, c’est le premier pas vers une vie sereine. Alicia nous le laisse voir, elle dont la maxime est « Ce qui importe, ce n’est pas la vie qu’on a reçue mais la manière dont on la vit ! »
Inspirée d’une rencontre réellement vécue par Isabelle Bary, ce roman positif nous présente de beaux portraits de femmes et nous sort de préjugés dans lesquels nous sommes trop souvent enfermés.
Merci aux éditions Luce Wilquin pour ce bel envoi.
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Par argali le 1 Septembre 2018 à 00:00
Que se passe-t-il dans les bibliothèques la nuit, derrière les portes closes et les banques de prêt désertes ? Les lecteurs choisissent-ils leurs livres, ou est-ce plutôt l'inverse ? Vient-on en bibliothèque pour travailler, voyager, ouvrir ses mails ou avoir chaud ? Et si la bibliophilie était un sport de combat ? Partant de l'univers policé de la Grande Bibliothèque et retraçant l'histoire de la lecture publique, ce roman nous mène jusqu'aux forêts urbaines où s'échafaude l'utopie d'une bibliothèque noire, sauvage, avec la liberté de lire et d'écrire pour unique mot d'ordre.
Mon avis :
Ce livre qui nous donne l’illusion d’être un roman fantastique est en fait un essai sur la Bibliothèque nationale et de la lecture publique. A travers l’histoire d’un lecteur, d’un livre puis d’une bibliothécaire, on découvre l’histoire d’un lieu, d’un métier et de leur évolution. De la bibliothèque privée (librairie) réservée aux riches instruits, à la bibliothèque informatisée, le lecteur nous raconte la grande et la petite histoire de la Grande Bibliothèque de Paris, de sa création au 16e siècle à nos jours, égratignant au passage un Président et des manières de faire despotiques sous couvert de culture.
Le livre nous conte l’histoire de l’intérieur : la rivalité supposée entre classiques et jeunes livres qui finiront probablement dans les oubliettes des réserves, les livres nobles et les autres. Il nous confie aussi son agacement des écrans qui éloignent des livres et des pseudos lecteurs qui viennent travailler sur leur portable dans la salle de lecture sans jamais ouvrir un ouvrage.
La bibliothécaire donne enfin sa version des faits en professionnelle. Et ses collègues goûteront probablement mieux son intervention que le lecteur lambda même s’il en comprendra tout l’enjeu. Bibliothécaire et écrivain, Cyrille Martinez s’inspire visiblement de son expérience.
J’ai bien aimé ce livre précisément documenté, au ton ironique et mordant qui se lit comme un roman. Il nous parle de livres (quel bonheur) et de lecture : son importance, ses richesses, ses enjeux, les dangers qui la guettent… comme celui de consommer les livres comme n’importe quel autre produit. Que reste-il de nos lectures quand le livre est fermé et oublié sur une étagère ? Qu’en avons-nous retiré ?
Un ouvrage déroutant mais agréable à lire et qui fait l’éloge de la lecture.
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Par argali le 30 Août 2018 à 14:00
Le Démo est un lotissement comme les autres. Ou presque.
Chez eux, il y a quatre chambres. Celle de Gilles son frère, la sienne, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. Sa mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Les enfants passent leur samedi à jouer dans les carcasses de voiture de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle voudrait tout annuler, revenir en arrière. Retrouver son petit-frère, celui qui enchantait le monde. Cette vie lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie.
Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups, se découvre femme et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour.Mon avis :
Il y a longtemps qu’un récit ne m’a pas aimantée de cette façon. Happée dès la première phrase, j’ai lu ce roman d’une traite pour le terminer en apnée à l’aube. Fulgurant.
Non seulement Adeline Dieudonné a une plume acérée et précise, maniant avec bonheur et sans aucune lourdeur les métaphores tout comme les mots justes et précis. Mais elle raconte admirablement les histoires dosant avec minutie le suspens, les fausses pistes et l’émotion qui nous étreint quand on ne s’y attend pas. Pas de larme mais un goût amer qui s’insinue peu à peu au fil de la lecture jusqu’au dégoût. La force de ce roman est que rien n’est décrit de manière outrancière ou trash, tout est subtil et exprimé par les mots d’une fillette d’une lucidité implacable et d’une énergie peu commune.
Pour pallier les manques de sa famille dysfonctionnelle, la narratrice tente d’égayer la vie de son petit frère en faisant diversion. Elle l’emmène en cachette dans une casse de voitures où ils leur parlent pour qu’elles n’aient plus peur ou chez Monica, vieille dame excentrique qui raconte si bien les histoires. Et le soir, quand il se glisse dans son lit, elle le rassure et chasse ses peurs. Tout ce qu’elle veut, c’est entendre son rire, clair et innocent qui l’emmène alors à mille lieues de chez elle.
Toute l’histoire est tenue à bout de bras par cette gamine, magnifique personnage qui se construit sous nos yeux au fil du temps. Courageuse, lucide, intelligente, sensuelle, elle veut mordre la vie à pleine dent refusant d’être une proie. D’une force mentale indubitable, elle trace sa route avec un objectif : rendre le sourire à son petit frère après un terrible drame qui l’a enfermé en lui.
Adeline Dieudonné nous décrit également une batterie de personnages secondaires finement observés et dont elle dresse un portrait d’une grande justesse. Gravitant autour de l’héroïne, ils la mettent en lumière tout au long d’un récit féroce, ironique et percutant dont je suis sortie KO.
L'auteure ose briser les codes et si l'argument est classique, elle met en place une histoire vénéneuse que l'on n'attend pas de prime abord. C'est la force du livre, selon moi. Ce regard d'enfant mature et lucide dans la noirceur du quotidien et qui pourtant se réfugie dans le rêve, l'utopie, le merveilleux pour sortir de cette noirceur.Je vous le recommande très chaudement ; je suis sûre qu’on parlera beaucoup de ce premier roman.
3e
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