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Par argali le 1 Mai 2022 à 00:00
Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes.
Mon avis :
Le roman de Constance Joly est un cri d’amour à son père décédé du Sida dans les années 80. Il est donc le reflet d’une époque, celle où l’homosexualité est encore pénalisée, où les amoureux endurent insultes et railleries, celle aussi où la maladie n’est pas connue et où on croit soigner de nouveaux genres de cancer. Celle où les morts n’ont pas droit à des soins funéraires et doivent être enterrés vite, mal.
Pudique, ce récit est touchant et vibrant tant l’amour et la tendresse filiales sont palpables. Il relate la vie de famille de Constance, le couple idéal que forment ses parents au sein de leur groupe d’amis. Ils sont jeunes, beaux, privilégiés, passionnés par leur métier d’enseignant et la culture et vivent pleinement chaque moment qui passe. Mais quand le soir arrive, son père est mal, fait des cauchemars, se sent coupé en deux. Viendra ensuite la naissance de Constance et une tendre complicité unira le père et la fille jusqu’au jour où il acceptera enfin son homosexualité et quittera sa famille. Elle sera une des premières enfants à vivre la garde alternée avec un couple homosexuel. Elle grandit, devient une adolescente, découvre sa féminité et son corps. L’amitié et les amours de jeunesse prennent alors toute la place et elle voit moins son père dont la santé se détériore toujours davantage. A l’âge mûr, elle jette un regard sur cette époque, sans pathos ou crudité.
J’ai beaucoup aimé ce roman sensible et d’une grande délicatesse où les émotions tiennent une grande place. Le style bref et direct de l’auteure, ses phrases courtes, ses énumérations lui donnent un rythme dynamique. Constance Joly ne s’appesantit pas sur les faits, ne livre pas ses états d’âme en détails mais chaque phrase laisse poindre l’émotion ressentie. Aujourd’hui, elle a cinquante ans, l’âge de la maturité, le moment idéal pour lancer un regard rétrospectif sur son père, sa vie et leur relation. C’est une réussite.
Un beau chant d’amour filial, entre douceur et regrets et un réquisitoire sur ces années Sida, terribles, culpabilisantes, honteuses pour les victimes et leurs familles. Une maladie dont on parle moins mais qui a causé la mort de 35 millions de personnes en 35 ans. Et n’est pas éradiquée.
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Par argali le 29 Avril 2022 à 00:00
Ancien président du Conseil, Augustin 82 ans s’est réfugié dans sa propriété des Ebergues, en Normandie, après un échec politique retentissant. En dehors de son personnel, il ne voit et ne reçoit personne, vivant dans une solitude choisie. Bien qu’il ne le reconnaisse pas, il souffre d’avoir perdu son pouvoir sur la vie politique du pays. Mais une crise gouvernementale lui laisse entrevoir la possibilité de se venger de son éviction et de retrouver de l’influence.
J’ai pris plaisir à découvrir ce roman dur dont j’ai vu l’adaptation cinématographique, il y a 30 ans, avec Jean Gabin dans le rôle principal et Bernard Blier dans le rôle de son adversaire. Le discours que Gabin prononce à l’Assemblée nationale est d’ailleurs un modèle du genre et souvent utilisé au cours de français.
Augustin, dont l’on ignore le nom de famille, est un être dur, tyrannique avec son personnel et supportant mal la défaite. Veuf et sans relation avec ses enfants, il ne semble pas subir sa solitude qu’il met à profit pour rédiger ses mémoires. Basé sur des faits de l’époque dont on n’a pas gardé, ce roman reste un classique, surtout, à mon avis, grâce au film resté dans les mémoires des cinéphiles.
C’est un roman amer qui met en évidence l’évolution de la vie d’un homme, l’acceptation de la défaite, du retrait de la vie active et du temps qui passe. Ce n’est jamais facile mais ça l’est encore moins quand on a été un homme influent, acteur majeur de la vie politique.Un roman que certains devraient lire en ces semaines d’élections.
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Par argali le 24 Avril 2022 à 15:00
Lassés de les voir seuls, Line, 12 ans, inscrit son père Harold sur un site de rencontres et Jules, 13 ans, fait de même pour sa mère Chloé. Ils ne se connaissent pas et, en se faisant passer pour leurs parents, ils entrent en contact et découvrent la supercherie. Mais ils ignorent que Chloé et Harold se connaissent déjà depuis des années.
Mon avis :
Profitant du confinement, Halim Benbouchta s’est mis à écrire et nous offre son premier roman « Le Pseudo ».
Deux adolescents inscrivent leurs parents respectifs sur un site de rencontres afin de rompre leur solitude. Mais leurs parents se connaissent déjà et ils l’ignorent. Le pitch est simple et moderne.
C’est une histoire sympa et attrayante. J’ai aimé les personnages et le ton léger du récit qui ne manque pas d’humour. L’histoire se passe à Bruxelles, dans le quartier Louise, et on y retrouve avec plaisir des coins connus. L’écriture de l’auteur est fluide et agréable et malgré le fait que ce soit un premier roman, je l’ai trouvé maitrisé. Je ne suis pas une grande fan des dialogues mais j’ai apprécié la véracité de ceux-ci dans les échanges parent-enfant notamment.
Ce roman parle des réseaux sociaux et les dédiabolisent, montrant qu’aujourd’hui il est plus facile de faire connaissance en ligne que dans un café ou dans la vraie vie. L’évolution de la société en ayant fait un outil d’ouverture, facile aussi pour rompre la solitude.
Il évoque aussi les relations parents-enfants et le choc intergénérationnel, les jeunes vivant au quotidien avec Instagram et WhatsApp que ne connaissent pas toujours les adultes.
Un roman léger et agréable, idéal pour se distraire au soleil. Et un nouvel auteur à tenir à l’œil.
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Par argali le 17 Avril 2022 à 00:00
Demain je franchis la frontière. La frontière des conventions, celle du premier pas, du secret ou de la culpabilité…
Onze nouvelles tendres, savoureuses et pleines d’humour dans lesquelles les personnages attachants imaginés par Agnès Dumont sont confrontés à un moment-clé, une rupture qui laissera des traces.
Mon avis :
Agnès Dumont vient de publier un nouveau policier à quatre mains (avec Patrick Dupuis) et cela m’a donné envie de découvrir cette auteure et enseignante liégeoise. J’ai donc choisi son premier ouvrage, un recueil de nouvelles paru chez Quadrature en 2008. Chacune d’entre elles se déroule à Liège ou dans les environs (Seraing, Herstal…) donc près de chez moi. C’est ce qui m’a attiré en premier pour ce mois belge.
J’ai apprécié le style et l’écriture de l’auteure et la diversité des thèmes abordés. Celle qui m’a le plus plu, sans doute parce qu’elle était la première et qu’elle m’a surprise alors que j’ignorais à quoi m’attendre, c’est « Comme une grenade dégoupillée », où une grand’mère, l’air de rien, confie à sa petite-fille un secret bien lourd à porter. J’ai aussi apprécié « La cage à lapin » qui nous entraîne rue St Léonard, une des plus longue et animée de Liège. Je regrette par contre que « Dans la gorge un oursin » n’ait pas été plus développée. Sa concision aboutie nous prive cependant de détails croustillants.
Le point commun entre toutes est bien sûr le moment où on franchit la frontière, la ligne du non-retour. Celle de l’interdit, de la bienséance, de ce qu’on attend de nous… Parfois, c’est un soulagement, d’autres fois une décision lourde de conséquences. Mais chaque décision prise conduit à la liberté. La liberté de choix, la liberté de se poser les bonnes questions ou celle de changer de vie. La plupart sont racontées par des narratrices, à la première personne et Agnès Dumont parvient à en dessiner le portrait en quelques pages à peine. Ces femmes sont proches de nous, nous ressemblent ou pourraient être une de nos proches. Que ce soit la « vieille fille », la mère désabusée, la célibataire heureuse de l’être…
J’ai aimé la plume de l’auteure, son humour décalé, ses belgicismes assumés et l’ambiance créée pour chaque nouvelle et qui ne ressemble pas à la précédente. Je pense que ma découverte de l’écrivaine n’en restera pas là.
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Par argali le 7 Avril 2022 à 00:00
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, François est obnubilé par la dernière phrase prononcée par Elise May, son amour de jeunesse. Celle qui lui avait dit sa haine du Führer quelques semaines auparavant, a crié avec conviction « Heil Hitler » un soir de janvier 1945, avant de poser son front contre l’arme du soldat de l’armée rouge qui lui fait face, prêt à l’abattre. François a besoin de comprendre ce cri. Quarante ans plus tard, il décide de refaire le voyage jusqu’à la « Tanière du Loup » où Elise fut une des goûteuses du dictateur.
Mon avis :
Un sentiment de malaise m’a étreinte dès le début de ce roman. Le sujet était dur, je le savais avant de commencer ma lecture mais j’en ai lu d’autres sur le sujet. Non, il y a autre chose…
Quinze, quatorze, treize… on comprend assez vite que les jeunes femmes dont on parle sont de moins en moins nombreuses. Ces quinze-là sont les goûteuses d’Hitler. Lorsque les Russes ont envahi l’Allemagne, elles ont été abandonnées par les Nazis et sont tombées aux mains de l’Armée rouge. Battues, torturées, violées… elles subiront les pires exactions avant d’être tuées comme le fait comprendre ce compte à rebours. Elise est l’une d’entre elles. Le récit nous raconte son parcours et celui de son fiancé qui, quarante ans plus tard, fera le voyage en RDA, sur les traces de la disparue afin de comprendre.
J’ai aimé découvrir Rosa, le précédent roman de Marcel Sel. J’ai beaucoup moins goûté celui-ci que j’ai fini par lâcher presqu’aux deux tiers du récit. J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans le récit. Le changement d’époque d’un paragraphe à l’autre par exemple est déstabilisant. Puis la violence décrite dans les moindres détails, le voyeurisme que cela engendre malgré nous m’ont donné plus d’une fois la nausée. L’atrocité de la vie des goûteuses, les soldats sautant sur les mines, le quotidien des prisonniers… c’était trop. Et la poésie qui parfois affleure entre deux descriptions sordides m’a paru déplacée.
Certes, je me doutais que parler d’endoctrinement, de guerre, de vengeance… n’offrait pas un tableau impressionniste aux couleurs diaphanes. Mais trop de cruauté, de langage cru, de scènes horribles voire complaisantes m’ont fait abdiquer avant la rédemption, le pardon, la compassion.
Certains me disent que je suis passée à côté d’un bon roman. Tant pis. Il n’était pas pour moi.
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Par argali le 1 Avril 2022 à 00:00
Flâner, arpenter les rues, à son rythme. Appréhender les restrictions et les règlementations par la libre pensée, en attendant l’aube et le retour de la lumière, en écrivant mentalement…
« Marcher noir », comme un nouveau système de prise en charge personnelle. Une marche libertaire, une autocontrebande d’idées pour se réoxygéner le cerveau. Un circuit propre de distribution créatrice pour pallier les carences sociales et culturelles du moment.
Mon avis :
Auteur Bruxellois prolifique, historien de formation, Marc Meganck nous propose ici une sorte de journal intime de la pandémie qui court du 25 avril 2020 au 21 avril 2021. A chaque jour d’écriture correspond une chronique (45 en tout). Il décrit ainsi les rues vides, les balades qu’il y fait, la relation au temps qui passe qui prend une forme tout autre, des réflexions sur la manière dont chacun gère cet isolement imposé par le confinement et que l’on ne vit pas de la même manière dans une villa ou dans un appartement surpeuplé.
Il porte aussi un regard acéré sur les décisions gouvernementales et les réactions des citoyens qu’ils jugent soumis car trop frileux, trop ancrés à leur confort et leur avoir. Les bien-pensant mous comme il les appelle. Les petits caprices des nantis sont passés au crible : qui veut partir en vacances, qui exige de prendre l’avion, qui n’accepte pas qu’on le force à… alors que tant d’autres, démunis, survivent comme ils peuvent espérant seulement retrouver le droit de sortir et de respirer librement. Les scientifiques devenus par les circonstances des stars du petit écran ne sont pas non plus épargnés.
Ces chroniques sont un cri de révolte où l’auteur exprime son désarroi, sa colère, son impuissance face à la pandémie, à la gestion de celle-ci, à cette vie dont nous avons été amputé
Ce qui l’a aidé, ce sont les marches urbaines qu’il pratiquait le plus souvent possible, un carnet de notes à la main pour coucher ses soliloques intérieurs. Ils sont maintenant devenus un recueil au style soigné et cinglant. Un point de vue sans concession sur une années particulière de nos vies. L’écriture est forte, parsemée de citations et de références littéraires. C’est un recueil actuel et touchant, un témoignage pour les générations futures… peut-être…
Merci aux éditions 180° pour cet envoi ainsi que leur attachée de presse.
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Par argali le 26 Mars 2022 à 14:00
Par-delà les charmilles du parc, il voyait les cimes des arbres poussant hors de l’enceinte du domaine, dans les forêts, et il rêvait de pouvoir se promener là-bas. Il savait qu’au printemps le sous-bois était tapissé d’anémones et de jacinthes sauvages, il les entrevoyait depuis la fenêtre de la berline familiale lorsqu’il quittait le manoir avec ses parents et, deux ou trois fois, il avait même aperçu la mer au loin. C’était cela le vrai monde, cet espace sans limites où l’on pouvait marcher librement sur des sentiers se perdant dans les bois, vers l’inconnu, comme dans les livres d’aventures qu’il lisait le soir au lit.
Mon avis :
Être à la fois jardinier et écrivain, quelle douceur de vivre !
Dans ce recueil de nouvelles, chacune porte un nom de fleurs et est prétexte à conter des rencontres et des lieux. Ainsi, celle intitulée « Pensées » nous emmène sur les traces d’Emily Dickinson à travers la rencontre de l’auteur et de Stephen Tremblay, responsable de la Dickinson collection à Harvard. Il nous parle du domaine et de l’herbier réalisé par Emily où il admire des dizaines de variétés de pensées. « Roses » évoque Enrique Vila-Matas, Picasso, le poète Teodor Céric et son recueil « Jardins en temps de guerre » ou encore les jardins de l’Alhambra ou celui des Tuileries.
Chaque page exhale la rose, le chèvrefeuille, l’herbe fraiche… Tout l’ouvrage est empreint de la poésie des fleurs.
J’ai beaucoup aimé ce petit livre des éditions Acte Sud, découvert grâce à une copine du club de lecture. Marco Martella, historien des jardins, s’intéresse à la façon dont ils nous enseignent à vivre dont ils reflètent la personnalité de leur propriétaire. Il aime les jardins un peu sauvages où les insectes peuvent se régaler, où la main de l’Homme ne domine pas la fantaisie des fleurs mais vit en harmonie avec elles.
L’écriture est douce, fine, agréable et poétique. Les descriptions laissent rêveur et donnent envie de visiter chaque espace qui se dessine lentement sous nos yeux. Un réel art de vivre et de paix émerge de chaque page. Un ouvrage idéal à offrir aux passionnés de jardin.
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