• Les volets verts, Georges SIMENONC'était curieux : l'obscurité qui l'entourait n'était pas l'obscurité immobile, immatérielle, négative, à laquelle on est habitué. Elle lui rappelait plutôt l'obscurité presque palpable de certains de ses cauchemars d'enfant, une obscurité méchante qui, certaines nuits, l'attaquait par vagues ou essayait de l'étouffer.
    Vous pouvez vous détendre.
    Mais il ne pouvait pas encore remuer. Respirer seulement, ce qui était déjà un soulagement. Son dos était appuyé à une cloison lisse dont il n'aurait pu déterminer la matière et, contre sa poitrine nue, pesait l'écran dont la luminosité permettait de deviner le visage du docteur. Peut-être était-ce à cause de cette lueur que l'obscurité environnante semblait faite de nuages mous et enveloppants ?
     

     

    Mon avis :

     

    Paru en 1950, « Les volets verts » a été édité à l’époque aux Presses de la Cité.

    Emile Maugin fait le bilan de sa vie après avoir appris qu’il était gravement malade. Cet acteur parisien tyrannique et alcoolique est au sommet de sa carrière et rêve d’une maison aux volets verts, symbole de la réussite. Aimé par une jeune femme désintéressée qu’il a épousée pour la mettre à l’abri, il n’a jamais cherché à réellement former un couple avec elle. Est-il heureux ? A-t-il réussi sa vie ? Quel est le sens de cette vie ? Après l’annonce de la maladie, il décide de partir dans le sud, sur la Côte d’Azur.

     

    Pas d’enquête, pas de suspens, pas vraiment d’intrigue, ce roman revient sur la vie d’un homme hors norme, coincé par l’enfant pauvre et rêveur qu’il est encore au fond de lui et l’image de réussite qu’il donne de lui et de ses excès. Ce sont ses derniers mois de vie, il le sait et fait son introspection.

    Simenon explore la vie de cet homme, ses fêlures, ses angoisses, l’amertume que lui laissent certains événements de sa vie et les espoirs qu’il voudrait encore avoir. Maugin n’est pas intérieurement celui qu’il laisse voir à son entourage. Il se dégoûte, regrette, craint la mort qui arrive à grands pas.

     

    Une fois encore, Simenon ausculte et dissèque l’âme humaine. Il nous donne à voir la fragilité derrière la rudesse, la rugosité même d’un homme adulé et détesté à la fois. C’est subtile et d’une grande acuité.

    Récemment adapté au cinéma Maugin est interprété par Depardieu et je pense que cela lui va comme un gant. N’ayant pas vu le film, j’attends les avis de ceux qui l’auraient vu.

     

     Les volets verts, Georges SIMENON

     

     

     

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  • Testostérone, Jean-Luc RENARDIris a traversé ma vie comme une comète traverse le ciel, m’amenant à un carrefour, là où, sans elle, jamais je ne serais arrivée. Je dois, sans doute, me satisfaire de cette sensation d’avoir effleuré un objet rare. Comme lorsqu’une œuvre d’art nous transperce de sa force pour s’effacer aussitôt en déposant ses traces au plus profond de la mémoire, dans le silence étourdissant des choses insaisissables. Il en subsiste des fragments, des éclats. Il me reste d’Iris des éclats de liberté. 

     

    Mon avis :

     

    Premier roman d’un auteur liégeois, « Testostérone » donne la parole à Eva.

    D’origine modeste, elle a épousé Jacques après une cour assidue et contre l’avis de sa belle-famille. Rose, sa belle-mère, n’a jamais aimé cette femme qui n’avait pas leurs codes, leur éducation, leurs relations. Ils ont eu deux enfants, aujourd’hui ados : Gilles et Charline et elle vivote dans son quotidien. Sa relation de couple s’est toujours déroulée dans l’ombre de Rose, omniprésente et moralisatrice, et elle s’en est accommodée. Même les aventures de son mari la laissent indifférente. Il a réussi professionnellement, a une « femme encore canon », deux enfants, des maitresses, tout lui sourit.

    Eva s’est oubliée et elle prend conscience qu’elle est coincée dans des conventions et des obligations qui ne la rendent pas heureuse. Elle est en fait le faire valoir de Jacques devenu ambitieux et pédant. Eva n’en est pas dupe mais elle sauve les apparences.

    Son métier de bibliothécaire lui permet de sortir de cette routine et de découvrir d’autres personnes dont Iris, une nouvelle volontaire. Sa personnalité intrigue Eva autant qu’elle la fascine. Elles vont se rapprocher...

     

    Le récit de la narratrice est entrecoupé d’extraits de journaux intimes, celui d’Eva d’abord, celui d’Iris ensuite. On se rend compte que leurs vies ont des points communs, dont un mariage où elles s’enlisent mais rien ne se passera comme on l’imagine.

    Avec férocité, l’auteur nous présente deux vies sous emprise et n’épargne personne, surtout les hommes qui n’ont pas le meilleur rôle. Ce roman d’une rare puissance est bouleversant et la plume de l’auteur est agréable. Son regard acéré sur la vie des autres et les portraits qu’il dépeint sont d’une justesse qui donne de la force à ce récit sur la conquête de la liberté.

    Le seul bémol que je ferais c’est la mise en page peu aérée et le manque de chapitres clairs qui alourdissent un peu la lecture.

    Un premier roman à découvrir aux éditions Murmure des soirs et sûrement pas le dernier de l’auteur.

     

     Testostérone, Jean-Luc RENARD

     

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  • En prélude au Mois belge, j’ai assisté le mois dernier à deux rencontres aussi différentes qu’intéressantes ayant un lien avec la Belgique.

    La première a eu lieu à la librairie Livre aux Trésors de Liège où Pierre Kroll interviewait Alain Berenboom à propos de son dernier roman « Clandestine ».

    La seconde s’est déroulée à la librairie L’Oiseau Lire de Visé où Christophe Boltanski est venu nous parler de sa nuit au musée de Tervuren, l’Africa Museum.

     

    Alain Berenboom :

    Le point commun entre mes romans est qu’ils parlent de quidam confrontés à des réalités politiques qui les dépassent, que cela se passe en Chine, en Pologne, en Afrique ou ici en Russie. Ce sont des humains qui se sont vu dépassés par un événement qui leur a sauté au visage de façon inattendue.

    Dans « Clandestine » je visite un nouveau pays, la Russie d’où Iulia mon héroïne s’est enfuie. A son arrivée à Bruxelles, elle est enfermée à la Caricole, centre de détention pour immigrés. Elle réussira à s’enfuir de ce centre et se refugiera chez son avocat, maître Biederman.

    Nous sommes en 2005, Poutine vient d’être réélu et les élections ont été faites dans la légalité. L’image de la Russie est positive en Occident, c’est celle de la reconstruction et de l’espoir d’une avancée vers le libéralisme et la démocratie. La Belgique porte un regard candide sur ce pays et ne comprend pas pourquoi Iulia s’en est enfuie. Elle sera donc sur la liste des migrants à renvoyés chez eux.

     

    Ce choix de 2005 est voulu car c’était une période de tensions politiques. D’un côté l’espoir d’un renouveau dans le pays ; puis des manifestations à la suite de la « loi de monétisation des avantages sociaux » qui supprimait des acquis pour les catégories les plus démunies comme les retraités, les anciens combattants, les invalides… et de l’autre des révolutions démocratiques dont l’Ukraine et la Géorgie ont été le théâtre.

    J’avais de quoi montrer les deux visages du pays qui promettait un changement, laissait voir des beaux jours arriver et de l’autre durcissait le ton.

    Mes personnages ne sont donc pas hors sol. Le contexte a de l’importance pour comprendre ce qui leur arrive.

     

    C’est aussi quelque part un hommage à ma mère, Russe, même si elle n’a rien avoir avec celle du livre, n’étant ni communiste ni bolchévique.

     

     

    Africa Museum :

    Ce musée de Tervuren a été érigé entre 1905 et 1908 pour y abriter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles et y relater l’histoire de la colonisation du Congo. Son but était d’éveiller la curiosité du peuple belge pour le Congo et donner envie d’aller y vivre et travailler.

    D’importants travaux de rénovation ont vu sa fermeture de 2013 à 2018. Le musée en a profité pour revoir la scénographie et décoloniser ses collections. Ce qui était le musée royal de l’Afrique central est devenu l’Africa Museum.

     

    Dans le cadre de la collection « Ma nuit au musée » les éditions Stock ont proposé au journaliste et écrivain français Christophe Boltanski de choisir un musée et son choix s’est naturellement porté sur celui-ci. Un précédent ouvrage « Minerais de sang » qui se déroule au Kivu l’avait déjà amené sur les lieux pour consulter les archives du Congo.

    Sa nuit s’est déroulée en 2021 peu après l’assassinat de George Floyd et le déboulonnage de statues en peu partout en Europe et notamment à Bruxelles.

    Après être descendu dans les mines du Kivu, il lui semblait normal de s’informer d’avantage sur ce pays et la période de la colonisation. Colonisation qui n’est pas le propre de la Belgique, c’est une histoire européenne. D’autant que les premiers conquérants du Congo ne sont pas les Belges. Cette nuit l’a fait s’interroger sur le passé, cette période avec ses avantages et ses inconvénients. « On a tous un lien avec cette histoire ».

    « J’étais accompagné du roman de Conrad, Au cœur des ténèbres qui évoque cette période de la colonisation. Il était arrivé à Matadi en 1890. »

    Ce récit est un carnet de voyage d’une nuit, mêlant impressions de l’auteur et histoire du chasseur qui tua King Kasaï, l’éléphant majestueux qui trône dans le hall du musée. C n’est pas une fiction mais cela peut se lire comme un roman.

    Un roman qui met en lumière un des joyaux de notre patrimoine.

     

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  • 10e Mois belge chez Anne et Mina


    Aujourd’hui commence le 10e Mois belge imaginé et géré par Anne et Mina, deux blogueuses littéraires bien connues. Et pour la dixième fois, je participe.

    C’est toujours un plaisir de publier ses chroniques, de lire celles des autres, de partir à la rencontre de plumes diverses et de se laisser porter par Anne dont la gestion rigoureuse apporte un plus indéniable à ce challenge.

     

    Au début, ce Mois belge m’a permis de découvrir de nouveaux auteurs que je ne connaissais pas en lisant les publications d’autres participants. Aujourd’hui, j’espère contribuer à faire découvrir, à mon tour, des écrivains moins connus.

    La littérature belge est foisonnante et de nouveaux auteurs émergent chaque année. Des jeunes, des moins jeunes et ceux de l’autre communauté enfin traduits en français.

     

    J’ai rassemblé pour ce challenge des ouvrages éclectiques : un classique, des romans récents, plus anciens, des bandes dessinées… J’espère avoir le temps de lire la pile préparée à cette occasion.

     

    Bon challenge à tous !

     
    Récapitulatif

    Rencontres littéraires 
    Il y a 120 ans naissait Georges Simenon


    Testostérone; Jean-Luc Renard
    Les volets verts, G. Simenon
    Le meurtre du Docteur Vanloo, Armel Job
    Le collectionneur d'armes, Pieter Aspe
    Don Bosco, l'Ami des jeunes, Jijé
    Simenon, l'Ostrogoth, Loustal-Bocquet-Fromental-Simenon
    Clandestine, Alain Berenboom

     

     

     

     

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  • Emma Peel, Bottes de cuir contre chapeau melon, Stephen SARRAZINEn 1965, dans l’épisode bien nommé The Town of No Return de la série déjà culte Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers), une certaine EMMA PEEL fait son apparition. Incarnée par une actrice de théâtre remarquée, la sublime Diana Rigg, c’est elle qui impose le fétichisme de ses longues bottes de cuir, balaie d’un regard incendiaire tous les autres personnages de la série, forme un inoubliable et sulfureux duo avec le flegmatique John Steed (Patrick Macnee). Cinquième partenaire de cet agent, la jeune femme intrépide devient instantanément une immense icône de la culture pop des années 60. Sa personnalité flamboyante cristallise à jamais l’esprit de son époque : l’effervescence du swinging London, le kitsch des James Bond, l’exotisme des arts martiaux asiatiques, l’enthousiasme pour la physique quantique, l’insolence de la mode vestimentaire et, bien sûr, la libéralisation sexuelle. Car, faut-il le rappeler, Emma Peel est d’abord un jeu de mots avec « Man appeal ». À travers ses audaces, jamais femme n’a été aussi fatale. 

     

    Mon avis :

     

    Personnage fictif de la télévision britannique, Emma Peel est l’icône féministe de la pop culture des années 60. La première Emma Peel de la série est l’actrice Diana Rigg qui donna ses lettres de noblesse à l’héroïne par sa beauté et sa combinaison de cuir noir. Veuve, Emma est sportive et maitrise les arts martiaux. Son intelligence lui permet de venir à bout des ennemis les plus retors. On sent une certaine tension sexuelle entre John Steed et elle sans que rien ne soit jamais explicite dans la série.

     

    L’ouvrage de Stephen Sarrazin nous présente l’héroïne, la genèse du personnage, sa personnalité, l’image de la femme qu’elle véhiculait à une époque et dans un pays très traditionnalistes et paternalistes. Les relations entre Steed et elle sont aussi passées au crible.

    Il nous confie des anecdotes de tournage, détaille certains épisodes et les tenues d’Emma Peel dans ceux-ci ; replonge la série dans son cadre spatio-temporelle et apporte un éclairage sur les choix des scénaristes.

     

    Un agréable ouvrage à lire pour (re)découvrir l’héroïne d’une série emblématique qui a bercé les beaux jours des années 60 et 70.

    Merci aux Impressions Nouvelles pour l’envoi de cet ouvrage qui m’a replongée en enfance.

     

     

     

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  • Totem, Premier niveau, Kid TOUSSAINT & James CHRISTTrois jeunes gamers qui ne se connaissent pas reçoivent un jour un mystérieux colis. Le mystérieux professeur Teuma leur livre un nouveau jeu en réalité virtuelle baptisé « Totem » qu’ils sont chargés de tester. Abel habite en France, Elif est Turque et Yorick est Canadien.

    En Turquie, un mystérieux virus contraint Elif a resté chez elle, les écoles étant fermées pour éviter la contagion. En France, on parle beaucoup de ce virus mais il semble ne pas avoir encore contaminé la population.

    C’est dans ce contexte que les trois jeunes vont se lancer dans l’aventure, chacun ayant reçu un animal totem pour les représenter dans le jeu : Elif est un porc-épic, Abel un raton-laveur et Yorick un castor. Ils vont devoir s’unir pour avancer et faire des compromis. Au départ, le jeu leur semble enfantin et peu intéressant mais très vite, des faits inattendus vont piquer leur curiosité.

     

    Kid Toussaint est Belge et est le scénariste de « Elles » et « Masques », entre autres. Il s’associe ici à James Christ, illustrateur français et auteur des « Géants » et « Strom », pour proposer cette nouvelle série aux adolescents. La thématique des jeux vidéo est, à coup sûr, un atout. Associée à des thèmes d’actualité et à un récit d’aventure, il rendra la série attrayante auprès des jeunes.

    Ce premier tome, paru dans la collection "Bande d'Ados" chez Bayard, présente les protagonistes et la situation initiale laissant planer le mystère sur le concepteur du jeu, son but caché et le rôle que joueront réellement les jeunes. Espérons que le rythme de la série sera soutenu et ne tirera pas l’idée originale du départ en longueur.

     

     

     

     

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  • Fin du XIXe siècle. Buck, un croisé Saint-Bernard et Colley, mène une vie paisible dans un doux foyer. Mais tout bascule le jour où, victime de la traîtrise d'un homme, il se retrouve enlevé à son maître et vendu à des chercheurs d'or du Grand-Nord canadien. Il devient alors chien de traîneau dans un univers glacial et sans pitié. Saura-t-il survivre dans ce monde où règne la loi du plus fort ?

     

    Mon avis :

     

    Roman de ma jeunesse, « L’appel de la forêt » vient d’être adapté en BD par Pierre-Emmanuel Dequest.

    Ce récit nous raconte la ruée vers l’or de 1896. Nous sommes dans la région du Klondike où les températures glaciales imposent une vie rude et pleine de tensions.

    J’avais le souvenir d’un récit d’aventures, d’un chien d’exception… mais la relecture des décennies plus tard montre que le récit est bien plus complexe. Le cadre spatio-temporel réaliste témoigne de la violence des conditions de vie des chercheurs d’or : agressions, vols, meurtres sont fréquents. 

    Volé à son maitre, le juge Miller, Buck rejoint une meute de chien de traineau. ¨Pour résister à la brutalité de sa nouvelle condition, Buck doit s’adapter, s’endurcir et lutter. Il apprend à voler de la viande, à se battre jusqu’à ce qu’un autre maître correct et non violent l’achète. Mais quand celui-ci est tué par des amérindiens, Buck redevient un loup.

     

    A travers les aléas de la vie de Buck, l’auteur met en lumière le courage d’un chien. A travers le symbole de cette vie animale, il exalte une volonté indomptable, un courage infini et un besoin vital de liberté, dans la société impitoyable de l’Amérique du début du siècle dernier.

     

    Malgré la nécessité d’élaguer le récit pour passer de 230 pages à 46 planches, Pierre-Emmanuel Dequest reste fidèle à l’œuvre. Bien sûr, l’histoire se focalise surtout sur Buck (les personnages humains sont très secondaires) mais l’auteur parvient par ses dessins à rendre la beauté et la grandeur de la nature. J’ai beaucoup aimé les dessins, magnifiques paysages glacés, et le rendu des sentiments canins, très expressifs.

     

     

     

     

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